La Presse Bisontine 105 - Décembre 2009

SOCIÉTÉ

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La Presse Bisontine n° 105 - Décembre 2009

TÉMOIGNAGE

Un couple homosexuel face à l’adoption

Gays, et fiers de l’être Témoignage d’un couple homosexuel de Villers-le-Lac (Haut-Doubs) qui prévoit de s’installer en Espagne pour devenir papas. Ils ont déjà la mère-porteuse.

S ébastien et Régis sortent du silence. Non pas pour s’afficher mais pour montrer que l’homosexualité est encore large- ment taboue et qu’elle véhicule de nom- breux clichés à l’heure où le débat sur l’adoption d’un enfant par un couple homosexuel est relancé après que le tribunal administratif de Besançon a ordonné au Conseil général du Jura de délivrer un agrément d’adoption à Emma- nuelle B., une enseignante homosexuelle vivant avec sa compagne. Le 25 juillet dernier, Régis Cachot (25 ans) et Sébastien Demange (32 ans) ont fait l’amère expérience des préjugés encore vivaces à l’encontre de la communauté gay lorsqu’ils ont demandé au maire d’organiser une cérémonie marquant la célébration de leur P.A.C.S. dans la salle d’honneur communale. Refus de ce dernier. Pro- priétaire depuis cinq ans d’un salon de coiffure à Villers-le-Lac, le couple se confie. Sans tabous. La Presse Bisontine : Quelle fut votre réaction lorsque la mairie de Villers-le-Lac refusa d’organiser une cérémo- nie célébrant votre pacte civil de solidarité (P.A.C.S.) ? Ce que dit la loi Pour pouvoir adopter un enfant en France, il faut obtenir un agrément délivré après évalua- tion des conditions dʼaccueil de lʼenfant sur les plans familial, éducatif et psychologique. Cʼest le président du Conseil général, après consul- tation de la commission dʼagrément du dépar- tement, qui prend la décision finale. Les per- sonnes ayant obtenu lʼagrément (valable cinq ans), peuvent ensuite constituer un dossier en vue de lʼadoption dʼun pupille de lʼÉtat en Fran- ce ou se tourner vers lʼadoption internationale pour accueillir un enfant étranger. Que change la récente décision de justice ? En enjoignant au Conseil général du Jura de délivrer un agrément à une femme en couple avec une autre femme, la justice relance le débat sur lʼégalité des droits face à lʼadoption, suivant que lʼon est célibataire, marié, hétérosexuel, homosexuel. Le tribunal administratif de Besançon a rappe- lé ceci : oui, en France, un célibataire (de plus de 28 ans) a le droit dʼadopter un enfant. Lʼorientation sexuelle ne doit pas être un motif pour refuser lʼagrément. Le tribunal de Besan- çon se conforme à un arrêt de la Cour euro- péenne des droits de lʼHomme qui a condam- né la France pour “discrimination” basée sur lʼorientation sexuelle. Le président du Conseil général du Jura, Jean Raquin (Divers droite) aurait pu sʼy tenir. Il ne lʼa pas fait et a été rap- pelé à lʼordre. Qui peut changer la loi ? Nicolas Sarkozy est trop attentif à sa majorité pour lui faire avaler lʼadoption par des couples de même sexe. Nadine Morano et Luc Chatel ont répété que le gouvernement nʼétait pas favo- rable à un changement de la loi. La gauche est acquise au principe de lʼégalité des droits. Et se sert de lʼargument de lʼEurope. En Belgique, au Danemark, en Espagne, en Norvège, aux Pays-Bas, en Suède et au Royaume-Uni, les couples de même sexe peuvent adopter des enfants.

Sébastien : Nous étions très déçus même si nous avons compris. Nous avions demandé au maire (N.D.L.R. : Jean Bourgeois) la possibilité d’organiser une cérémonie pour marquer le coup. Dans un courrier, il nous a répondu - après avoir consulté le conseil municipal - par la négative. Je peux comprendre. L.P.B. : Il est effectivement dans ses droits. Aucune mai- rie n’est obligée d’organiser une cérémonie dans ce cadre. Sébastien : Effectivement, mais c’est la manière de le faire qui nous dérange : lorsque nous avons fait part de notre volonté, il nous a ri au nez (il soupire). Puis, nous avons eu connaissance d’un article où il dit “n’être pas très chaud à l’idée de célébrer des P.A.C.S. pour homosexuels”. Cette phrase nous choque, elle est discriminatoire. L.P.B. : Ce P.A.C.S., c’est donc plus qu’un bout de papier pour vous… Sébastien : Voilà sept ans que Régis et moi sommes ensemble. Nous avons invité 130 personnes au repas pour célébrer notre P.A.C.S. le 25 juillet 2009. La cérémonie (close par un feu d’artifice), c’était pour débuter la journée et faire comme un couple hétérosexuel sachant que nous n’avons pas le droit au mariage. Avec ce P.A.C.S., nous avons les mêmes droits que les autres… et aus- si un avantage financier, je l’avoue. L.P.B. : La finalité d’un couple n’est-elle pas de fonder une famille ? Aimeriez-vous devenir papas ? Régis : Oui. Nous avons tout ce qu’il faut : la mère- porteuse, les ovules, les spermatozoïdes… mais nous n’avons pas la légalité. Sébastien : Les pays européens sont beaucoup plus évolués que nous. En Espagne, pays très catho- lique, les homosexuels peuvent se marier, avoir des enfants. Idem en Belgique. L.P.B. : Imaginez-vous de tomber dans l’illégalité pour avoir cet enfant tant désiré ? Sébastien : Non, mais nous irons à l’étranger pour le faire. Notre but est d’aller travailler et vivre en Espagne. Peut-être dans deux ans. La coif- fure à l’étranger, c’est comme la cuisine fran- çaise : ça marche. En France, nous sommes trop taxés. Ce départ est un projet familial et pro- fessionnel. L.P.B. : Le débat sur l’adoption est relancé par une déci- sion du tribunal administratif de Besançon (lire ci-des- sous). Pourquoi tant de difficultés à adopter en France ?

Régis et Sébastien sont pacsés depuis quelques mois. L’autre étape pour accéder au bonheur sentimental : avoir un enfant.

Sébastien : C’est terrible à dire mais les “homos” sont considé- rés comme des pédophiles et je suis sûr que l’adoption ne se fait pas à cause de ça. Or, personne n’aime plus les enfants que nous. Régis : Je m’identifie plutôt com- me à une femme qui est stéri- le… L.P.B. : Une mère porteuse, est-ce la solution ? Régis : Il faut une femme qui soit forte psychologiquement ! Ma sœur ne pourrait pas porter un enfant et nous le laisser. Par contre, elle n’est pas contre un don d’organe et nous donner ses ovocytes (avec les spermatozoïdes de Sébastien) pour que l’on puis- se avoir un enfant. Une mère porteuse, c’est peut-être plus faci- le car il n’y a rien d’elle. Les femmes qui font ça sont en géné- ral très pauvres et le font pour l’argent. En moyenne : c’est 15 000 euros. Et encore, on n’est pas certain que ça fonctionne et elle peut accoucher et garder l’enfant. L.P.B. : Être homosexuel dans une peti- te ville du Haut-Doubs semble diffici-

“Un don d’organe de ma sœur.

deviendrais coiffeur (rires). Sébastien : Je suis sorti avec des filles pour mon- trer aux gens que j’étais comme eux. Mais je n’étais pas heureux. De plus en plus de pères de famille mariés vont voir d’autres hommes. Ils se cachent, se rendent malheureux pour ressem- bler aux autres et font d’autres malheureux. C’est terrible. L.P.B. : Dans le Haut-Doubs, les gays se cachent-ils pour se rencontrer ? Et que répondez-vous à l’infidélité du milieu. Régis : Les gays ne sont pas plus infidèles que certains couples hétéros. Regardez-nous ! Sébastien : Nous ne fréquentons pas trop ce milieu. Les rencontres gays, c’est plutôt Besançon ou Lausanne mais pas trop le Haut-Doubs. Sinon, c’est Internet. L.P.B. : Qui des deux s’occupe des tâches ménagères ? Régis : (rires) On se partage les tâches car nous travaillons les deux. Sébastien fait plutôt la cui- sine et moi le reste. Nous sommes comme un couple normal : on partage… avec le machisme en moins. L.P.B. Que peut-on vous souhaiter ? Sébastien : On a tout pour être heureux… sauf cet enfant. Propos recueillis par E.Ch.

le surtout lorsque l’on tient un commerce (ils sont coif- feurs). Vous confirmez ? Régis : Oui. On a entendu tout et n’importe quoi. Du style : “Dans leur salon, ils coiffent avec des jupettes.” Sébastien : Avoir un commerce, je dis que ça nous aide car notre clientèle est super-sympa. L.P.B. :Vous semblez assumer votre homosexualité. Racon- tez-nous votre rencontre, et le jour où vous avez annon- cé votre choix à vos proches. Régis : Ma famille a bien réagi. Peut-être parce que je ne suis pas une “folasse” (rires). Je crai- gnais mon père qui au départ ne voulait déjà pas que je devienne coiffeur. Il a finalement bien accepté et j’ai été aidé par ma grande sœur qui en a parlé à ma mère. Avec elle, j’ai discuté tou- te la nuit puis j’ai annoncé la nouvelle à tous avec perte et fracas. Finalement, la famille a accepté. Sébastien : On se souvient toujours de ce moment ! Je l’ai annoncé tardivement, à l’âge de 24 ans, dans un premier temps à ma mère puis ensui- te à toute la famille.Avec Régis, nous nous sommes rencontrés dans le salon de coiffure dans lequel on travaillait. J’étais son maître de stage. L.P.B. : Devient-on ou naît-on avec cette attirance pour un homme ? Régis : J’ai toujours su que j’étais gay et que je

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