La Presse Bisontine 104 - Novembre 2009

LE PORTRAIT

La Presse Bisontine n° 104 - Novembre 2009

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BESANÇON

Maison d’arrêt Sébastien Grignard,

médecin des détenus

Sébastien Grignard a suivi une formation en médecine légale. Il a effectué des remplacements dans ce service du C.H.U. avant d’être titularisé.

sont jamais communiquées ni au Parquet, ni à l’administration pénitentiaire. L’U.C.S.A. est indépendante. Les motifs de consultation sont nombreux. Il arrive que des détenus émettent chaque jour une demande de rendez-vous, sans raison médi- cale valable, juste “pour être écoutés” et pour rompre la monotonie du quotidien comme s’ils allaient au parloir. Charge à l’équipe médicale de faire le tri dans les dizaines de courriers dépouillés (par jour, en moyenne, une cinquan- taine de détenus sont pris en charge par l’U.C.S.A.) et d’en évaluer le caractère d’urgence. “Celui qui est le plus sollicité est le dentiste” constate Sébas- tien Grignard. La santé dentaire des détenus est “catastrophique. Souvent, ce sont des per- sonnes qui viennent de milieux défavorisés et qui n’avaient pas les moyens de se faire soigner. Para- doxalement, ces gens sont sans doute mieux pris en charge en prison que s’ils étaient à l’extérieur. Notre combat est aussi de leur faire comprendre que dès qu’ils sortiront ils devront continuer les

Médecin généraliste, il consulte à la maison d’arrêt de Besançon depuis deux ans où se trouve son cabinet. Chaque jour, il en apprend un peu plus sur un univers carcéral en quête d’humanité.

d’arrêt ont un traitement à visée psychiatrique. Il y en a de plus en plus.” Le risque suicidaire existe. Tout le problème est de parvenir à l’évaluer, mais cela n’est pas propre à l’univers carcéral qui le favorise toutefois tant les conditions de détention sont difficiles (400 détenus pour 296 places). L’année dernière, dans l’établissement pénitentiaire bisontin, trois déte- nus se sont donné la mort. Chaque mois, “une commission suicide” se réunit pour tenter de prévenir ces actes qui témoignent de la violen- ce de la prison. Violence morale, physique aussi, dont les méde- cins ont un vague aperçu, mais dont ils suppo- sent l’ampleur, lorsque des détenus osent se confier, souvent avec retenue, par peur des repré- sailles de leurs voisins de cellules. “Ici, c’est la loi du plus fort” déplore Sébastien Grignard convaincu que certaines personnes n’ont pas leur place en prison. “Nous ne sommes pas juges. Mais il arrive qu’on se pose des questions sur le sens de la peine qui ne peut qu’aggraver les choses. On sent quand un type respire la colère. Il est probable qu’il soit plus haineux encore à sa sor- tie de prison. C’est un problème philosophique.” La nouvelle loi pénitentiaire semble vouloir tenir compte de cela puisqu’elle propose des moyens autres que la détention pour purger une peine. En attendant, Sébastien Grignard, comme le reste de l’équipe de l’U.C.S.A., ajuste son servi- ce médical en tenant compte de toutes les com- posantes du milieu carcéral. À la fin des consultations, lorsque la porte de la maison d’arrêt de Besançon se referme sur lui dans un fracas du diable, il a au moins le senti- ment d’avoir apporté “un peu d’humanité.” T.C.

L a matinée commence par le “dépouille- ment.” L’équipe médicale ouvre une à une les enveloppes cachetées que leur adres- sent les détenus. Ce sont des demandes de soins, formulées avec plus ou moins de pré- cisions, mais qui retiennent toute l’attention des professionnels de santé. En prison, pas de télé- phone, c’est par écrit que le patient prend ren- dez-vous avec un médecin, un dentiste, une infir- mière, en remplissant les formulaires mis à sa disposition dans chaque division. Bienvenue à l’U.C.S.A. (unité de consultations et de soins ambulatoires), le service médical de la maison d’arrêt de Besançon. En 2007, Sébastien Grignard a rejoint cette uni- té chapeautée par le professeur Chopard, qui dépend du service de médecine légale du C.H.U. C’est un concours de circonstances qui a amené petit à petit ce médecin généraliste de 35 ans à exercer son métier en milieu carcéral à une époque où il aurait pu faire le choix du libéral comme la plupart de ses camarades de promo- tion. Chaque matin, il consulte à la maison d’arrêt de Besançon, “une ville dans la ville, qui fonction- ne avec des règles pénitentiaires, et des règles que les détenus instaurent entre eux mais dont ils

parlent rarement” observe-t-il. Un univers clos, aux couloirs oppressants, fait de bruit et d’odeurs, auquel il ne s’habitue pas. Malgré les barreaux aux fenêtres, le médecin fait pourtant abstraction de cet environnement dès qu’il entre en salle de consultation. Un cabi- net modeste de 25 m 2 , situé dans la quatrième division de l’établissement pénitentiaire, qu’il partage avec un kiné et un ophtalmologue. C’est là qu’il examine les détenus, des patients com- me il en rencontrerait à l’extérieur, qui se diffé- rencient des autres par leur histoire qui les a conduits derrière les barreaux. Un passé lourd parfois, dont Sébastien Grignard ne sait rien et qu’il ne cherche pas à connaître. “Demander à ces gens pourquoi ils sont là, c’est prendre le risque de changer d’attitude vis-à-vis d’eux. La difficulté de soigner en milieu carcéral est d’éviter de devenir juge et partie. Je ne pose pas de ques- tions sur les raisons de leur présence en prison, en revanche, je leur demande pour combien de temps ils sont là afin d’organiser les soins.” Le médecin s’impose cette règle et n’y déroge pas.Tout comme il refuse qu’un surveillant assis- te à l’examen pour préserver le secret médical, fidèle au serment d’Hippocrate. D’ailleurs, les informations sur la santé de chaque détenu ne

soins.” Les messages de préven- tion passent, mais de là à dire qu’ils seront suivis, c’est une autre histoire. L’équipe médicale n’en a pas la certitude. Outre les problèmes de toxico- manie, les pathologies cardiaques, qui nécessitent un suivi régulier, ce qui préoccupe le généraliste est la santé psychologique des détenus. “C’est une population jeune. En 2008, 57 % avaient moins de 30 ans. D’un point de vue somatique, ils vont bien. Or, 30 % des détenus de la maison

“Ici, c’est la loi du plus fort.”

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