Journal C'est à dire - Février 2024
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DOSS I ER
Les clefs de la réussite de la filière comté Historique À l’heure où la France agricole s’évertuait à bloquer le pays pour crier son désarroi, dénoncer des revenus indécents, une concurrence déloyale, le poids des normes, les difficultés à renouveler les générations, tous les acteurs de la filière comté s’ils partagent les revendications de la profession, ne pouvaient que se féliciter de la réussite assez insolente d’une production de terroir qui rime avec qualité, satisfaction des consommateurs et des membres de la filière. Décryptage avec Alain Mathieu, le président du C.I.G.C. (Comité interprofessionnel de gestion du comté) depuis 2018.
risation, de la production et des stocks. Il n’y a donc pas d’asymétrie d’infor mations entre les producteurs, leurs fruitières et les affineurs. Cela favorise une bonne répartition de la valeur entre tous les acteurs. l Les plaques vertes Les plaques vertes sont avant tout des plaques d’identification. Elles garan tissent aux consommateurs que ce qu’ils achètent est bien du Comté. Au-delà de cet élément de traçabilité, la filière à la capacité d’en réguler la quantité utilisable. Ce mécanisme de régulation, outil de la politique agricole commune, a pour objectif de maintenir une bonne adéquation entre l’offre et la demande, dans le souci de ne pas dégrader la qua lité. Les règles de régulation sont uti lisées depuis les années quatre-vingt dix. Elles ont accompagné la demande des consommateurs en Comté et ainsi permis l’accueil de nombreuses exploi tations. Le Comté est avant tout un produit artisanal, fruit notamment des savoir faire des femmes et des hommes de la filière. Il est donc stratégique de conser ver les gestes qui donnent à chaque comté un goût unique. Dans cette pers pective, les acteurs de la filière ont tou jours su choisir et décider leur destin, le sens qu’il donnait à leur métier autour du comté en alliant tradition et moder nité. À titre d’exemple, le robot de traite n’a pas été interdit par dogmatisme mais parce que le choix a été fait de l La résistance à certaines avancées technologiques
Alain Mathieu, le président de l’interprofes sion du comté, 1 er fromage A.O.P. de France (photo C.I.G.C.).
privilégier le lien entre l’éleveur et sa vache. La traite est en effet un moment essentiel à la maîtrise du lait cru. De la même manière, ce sont les fromagers qui déclenchent manuellement les opé rations, notamment de décaillage et de soutirage de leurs cuves. Les savoir faire des affineurs résident dans la détermination des soins qu’ils apportent à chaque meule. l Le rapport au consommateur La confiance des consommateurs est une préoccupation majeure à tous les stades de la filière. Conserver cette confiance nécessite de garantir des fro mages d’une qualité organoleptique irréprochable et produits de manière durable, c’est-à-dire prenant en compte l’environnement, le social et l’économie. Cette exigence est très engageante. La
fidélité des consommateurs est aussi une véritable source de reconnaissance et de fierté du travail réalisé par chaque acteur de la filière. l La communication Parce que le comté évolue dans un uni vers de concurrence et qu’il faut se démarquer, la filière s’est dotée de moyens pour communiquer. C’est en 1945 que les premières actions de com munication sont réalisées localement. À partir des années soixante-dix, des actions à l’échelle nationale sont entre prises. Aujourd’hui, le Comté est présent tout au long de l’année dans tous les médias : télévision, radio, sur internet. Dans la région, les Amis du Comté, la Maison du Comté et de nombreux acteurs de la filière font découvrir le Comté aux consommateurs et animent ainsi l’économie du territoire. n
culture du “faire ensemble” est née la coopération avec ses valeurs de solidarité qui vit encore aujourd’hui à travers ses nombreuses fruitières. Ce mode de pro duction dans de petites unités de trans formation favorise l’implication des pro ducteurs dans la fabrication, source de fierté et de reconnaissance de leur rôle au côté du fromager et de l’affineur. Il s’agit aussi de conserver le caractère artisanal du Comté et d’offrir aux consommateurs une diversité de goût. l le mode de rémunération où chacun s’y retrouve La rémunération des producteurs de lait dans la filière dépend de la capacité des affineurs à bien valoriser le Comté auprès de leurs clients. Il y a, à l’échelle de la filière, et ce depuis des décennies, une transparence à la fois de cette valo
l Le pari du lait cru Les comtés tirent leur diversité des micro-organismes présents dans le lait cru. Ceux-ci sont liés à la diversité végé tale de la nourriture des vaches, elles mêmes en harmonie avec la diversité des sols et de la faune. En produisant leur lait, les vaches traduisent, d’une certaine manière, le goût spécifique de chaque parcelle du territoire de l’A.O.P. La diversité des goûts des comtés est la première attente des consommateurs. Elle est gage de leur fidélité. l La force de la coopération La coopération fait partie de l’A.D.N. de la filière. Elle en est à la base. Depuis le Moyen Âge, les producteurs se sont regroupés pour mettre en commun leur lait et faire de gros fromages. De cette
Organisation de la filière comté : un long chemin Les Fins
et rapidement bien au-delà des frontières régionales. Les affi neurs ont joué le jeu, en laissant toute latitude au producteur pour la transformation de son lait et aux coopératives la pos sibilité de dénoncer son contrat avec l’affineur quand il le sou haite. Même liberté pour le pro ducteur qui peut quitter sa coo pérative et toute la filière se tient ainsi dans une relation gagnant-gagnant. Aujourd’hui, le lait de la filière A.O.P. comté est vendu aux environs de 600 euros la tonne par les pro ducteurs, contre 400 euros pour du lait standard hors zone A.O.P. Ces bons prix ont permis aux coopérateurs d’investir lourde ment dans la modernisation de l’outil de production. Les 10 pro ducteurs affiliés à la coopérative des Suchaux ont ainsi pu inves tir la bagatelle de 4,5 millions d’euros pour la récente réfection des caves. “Mais tout cela ne s’est pas fait du jour au lende main, résume Claude Taillard. Il a fallu plusieurs décennies pour trouver ce bon équilibre.” La bonne santé de la filière comté ne doit pas masquer pour autant les difficultés globales de la profession agricole. Pour Claude Taillard, “un pays comme la France qui ne serait pas capa ble de nourrir sa population et qui importe 40 % de sa viande ou de ses fruits et légumes, c’est incompréhensible !” juge-t-il. n J.-F.H.
A u hameau de Chez le Roy, aux Fins, la ferme Taillard est embléma tique de cette organi sation désormais bien huilée de la filière montbéliarde et comté.
À l’instar de Jean-Marie Pobelle, ancien président de la chambre d’agriculture, l’éleveur Claude Taillard aux Fins a vécu la mise en place d’une filière qui fait aujourd’hui la fierté du Haut-Doubs. Il se souvient.
directeur des services agricoles qui avait dit : “Il y a 400 coops dans le Doubs, c’est 399 de trop !” Heureusement, la profession a réagi.” Et certains acteurs de la filière lait, l’ancien maire de Loray Jean-Marie Pobelle en fut un, ont réagi. “On doit aussi l’organisation de la filière à des gens comme René Poly, un Jurassien qui avait été nommé directeur de l’agriculture en Franche-Comté. Il avait réussi quelques années plus tôt à fédé rer les viticulteurs de Cham pagne en créant un comité inter professionnel. Il a incité la
Un solide G.A.E.C., membre de la coopérative des Suchaux, contribue comme autant d’au tres exploitations à ce subtil équilibre entre producteurs de lait, coopératives fromagères et affineurs. Les Fins, berceau de la race montbéliarde, se targue d’ailleurs d’être aujourd’hui encore avec une quarantaine d’exploitants sur une vingtaine de fermes, la commune la plus agricole du Doubs. Mais pour en arriver là, “ce fut un très long combat, car tout le monde n’avait pas la même vision des choses dans les années
profession à faire le même travail au sein du C.I.G.C.” Le comté avait alors choisi son camp : celui de la qualité, avec la mise en place d’un cahier des charges strict, une livraison du
soixante-dix” se souvient Claude Taillard. Une époque où le comté s’ap pelait encore gruyère de comté et où les exploitants parta geaient leur production entre gruyère et emmental. “À cette
“Il a fallu plusieurs décennies pour trouver ce bon équilibre”.
lait au maximum à 25 km du lieu de production, l’instauration des plaques vertes, etc. “Mais pendant longtemps, le prix du lait a eu du mal à décoller. Il a fallu attendre le début des années 2000 pour que cette politique commence à payer, avec un prix du lait correct” se remémore Claude Taillard. La notoriété du comté a com mencé à s’imposer dans la région
époque, les Bretons se sont mis à construire de grosses usines pour fabriquer de l’emmental. Il s’est ensuivi une banalisation du produit et une inévitable baisse des prix. On n’aurait pas pu lutter bien longtemps, il a donc fallu que la filière s’organise autrement.” Certains étaient pourtant par tisans de cette course au gigan tisme. “Je me souviens d’un
Producteur de lait aujourd’hui retraité, Claude Taillard a également été président de l’U.P.R.A. Montbéliarde de 1997 à 2007.
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