Journal C'est à dire 314 - Mars 2025

LA PAGE DU FRONTALIER

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“Les problématiques transfrontalières semblent très éloignées vu de Paris” Projet La députée alsacienne et ancienne ministre Brigitte Klinkert (E.P.R.) a conduit une mission parlementaire dédiée aux problématiques rencontrées par les Français vivant en zone transfrontalière. Avec à la clé, une bonne cinquantaine de recommandations qu’elle compte bien voir menées à bien. Interview.

C ’ est à dire: Pourquoi avoir initié cette mission flash? Brigitte Klinkert: C’est moi qui ai demandé à la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale de l’initier. Étant une élue d’un territoire frontalier, je me suis rendu compte depuis longtemps que les personnes résidant dans ces territoires frontaliers rencon trent de nombreuses difficultés qui tou chent leur quotidien et qui souvent, ont du mal à trouver les bonnes réponses et le bon interlocuteur. J’appelle ça les “irritants transfrontaliers”. Dans des domaines aussi variés que les déplace ments, la santé, l’emploi, la formation, le logement… Au moment où je me suis vue confier cette mission, je me suis aperçue que la dernière mission consa crée à ce sujet datait de 2010 et elle ne concernait que la partie franco-alle mande. Il était donc temps de se pencher sur cette question plus large ment. de personnes que j’ai auditionnées étaient toutes heureuses qu’on s’intéresse à elles et à leurs problématiques. À tous il semblait que les frontières et tout ce qui en découle semblent très éloignées vu de Paris. La mission que je suis fixée est claire : cerner un maximum de pro blématiques et y apporter des réponses concrètes dans un délai de 6 mois à un an. Les seules questions que je n’ai pas abordées parce qu’elles relèvent de conventions bilatérales entre pays sont celles relatives à la fiscalité du travail ou à l’indemnisation du chômage. Zoom Les autorités locales entendues par la mission flash D ans les trois mois qu’a duré la mission menée par Brigitte Klin kert, cette dernière a entendu plu sieurs personnalités du Doubs pour recueillir leur avis sur la question. Elle a eu des entretiens avec Rémi Bastille, le préfet du Doubs, Sébastien Populaire, maire de Touillon-et-Loutelet et co-pré sident du groupe de travail sur la coo pération transfrontalière de l’Association des maires de France, Philippe Alpy, vice-président du Département du Doubs en charge du développement territorial, de l’attractivité, des affaires européennes et transfrontalières ainsi que Michel Rivière, président de l’Amicale des fron taliers. n Càd: Qu’avez-vous soulevé comme problèmes? B.K. : Avant d’aborder les thé matiques, je me suis immédia tement rendu compte qu’il y avait une vraie attente sur cette question. La soixantaine

les personnels dans les hôpitaux de la Haute-Savoie et de l’Ain. L’harmonisation des cartes d’invalidité entre les pays est un autre exemple de mesure simple à mettre en œuvre. Càd: Le logement, avec la question du foncier et des loyers, est aussi un des points noirs de nos zones transfronta lières. Que proposez-vous pour améliorer la situation? B.K. : La première mesure que je prône sur cette question est d’identifier le ter ritoire transfrontalier dans le Code de l’urbanisme, au même titre qu’il l’est pour le littoral ou la montagne en pré voyant l’identification des zones tendues transfrontalières afin de permettre à ces zones de déroger à certaines contraintes législatives et réglementaires pesant sur la gestion du foncier. Clai rement, ces zones devraient pouvoir bénéficier de dérogations au Z.A.N., le fameux Zéro artificialisation nette. Je propose aussi de prévoir un mécanisme permettant de collecter auprès des employeurs étrangers l’équivalent du 1 % logement français (qui permet de financer le logement social) lorsqu’ils emploient des salariés français. J’ai fait un autre constat : il arrive fré quemment que les fonctionnaires renon cent au bénéfice de leur concours quand ils sont nommés en zone frontalière à cause du prix des logements. Je propose donc de prévoir la mise à disposition de logements réservés aux fonctionnaires dans ces zones frontalières en tension, tout comme je propose aussi de généra liser la revalorisation de l’indemnité de résidence pour les agents publics exer çant en zone frontalière. De manière générale, je soutiens la possibilité de mettre en œuvre un mécanisme d’en cadrement des loyers dans les zones frontalières tendues. voisin, prévoir des formations communes cofinancées par le futur pays d’emploi et encourager la création d’instituts de formation mixtes. Ou encore développer des certificats complémentaires reconnus des deux côtés de la frontière pour ren forcer l’offre de formations linguistiques spécifiques pour le personnel soignant. Et généraliser les équivalences de diplômes. J’ai l’exemple en tête de ces élèves français privés d’apprentissage de la natation parce que les piscines belges, prêtes à les accueillir, ont des maîtres-nageurs dont la formation n’est pas reconnue par la France. Pour les entreprises, je prône la création d’un statut d’entreprise frontalière pouvant exercer de part et d’autre de la frontière sans recourir aux procédures de déta chement. Càd : Et au chapitre de l’emploi et de la formation, quelles seraient les mesures simples à mettre en œuvre? B.K. : Par exemple dans les filières formant des soignants destinés à exercer dans le pays

Càd : Abordons les problématiques que vous avez traitées. Le transport par exem ple. Que prônez-vous pour améliorer les choses ? B.K. : Cette question est récurrente dans tous les territoires frontaliers. Il y a des choses toutes simples à mettre en place comme la création de parkings-relais ou d’aires de covoiturage à proximité des gares. On peut aussi envisager une reconnaissance mutuelle des vignettes écologiques pour les véhicules de l’en semble des zones frontalières, ce qui n’existe pas. Le soutien de l’État aux projets de lignes ferroviaires régionales transfrontalières paraît aussi primordial. Tout comme l’engagement d’un travail d’harmonisation des critères de recru tement et des exigences techniques pour favoriser la mise en œuvre de lignes de transport en commun transfrontalières. La S.N.C.F. soit également être sollicitée pour, par exemple, faire figurer dans ses applications mobiles l’ensemble des trajets trans frontaliers et harmoniser leurs tarifs. Il faut aussi demander à la S.N.C.F. de mettre en place une reconnaissance mutuelle des billets en cas de correspon dance transfrontalière manquée en raison d’un retard. Une série de mesures très simples à mettre en œuvre. Càd : Les questions de santé sont égale ment apparues parmi les thèmes prio ritaires ? B.K. : Une mesure toute simple: per mettre aux frontaliers de se faire soigner dans leur pays de travail quand ils n’ont du mal à trouver un rendez-vous en France, pour des examens d’imagerie par exemple. Actuellement, il faut une autorisation préalable de la caisse pri maire d’assurance maladie, ce qui est un non-sens. Pour pallier ce problème, il faut juste modifier un arrêté de 2014 pour supprimer l’autorisation préalable. L’assurance-maladie aurait tout à y gagner. Toujours sur le plan de la santé, on pourrait envisager aussi l’élaborer schémas de coordination territoriale transfrontaliers en coordination avec les autorités des pays voisins. Ou encore engager, dans chaque zone transfron talière, avec l’appui des A.R.S., des dis cussions pour mettre en place des cor ridors sanitaires via des conventions entre établissements, filière par filière. Autre sujet très sensible dans ces zones frontalières : il serait opportun de prévoir un dispositif contractuel incitatif ou contraignant les soignants formés gra tuitement en France à y travailler plu sieurs années, avant de partir en Suisse par exemple. À ce sujet, en Haute-Savoie, une solution amiable a été trouvée avec la Suisse : entre les hôpitaux universi taires de Genève, le canton de Genève, la préfète de Région et l’A.R.S. pour for maliser un “gentleman’s agreement” visant à ce que les hôpitaux universi taires de Genève ne débauchent pas directement ou via leurs mandataires

coopération transfrontalière, le dialogue entre les pays frontaliers est encore insuf fisant selon vous ? B.K. : Oui. Je recommande de revenir en profondeur sur l’organisation du dia logue frontalier rendu difficile par les cadres d’organisations territoriales de nos pays. Je pense que l’État français doit être plus présent pour accompagner les usagers, les associations de frontaliers, les collectivités locales. Je soutiens l’idée de désigner dans chaque préfecture de département frontalier un “référent coo pération transfrontalière”, qui serait l’interlocuteur unique des associations d’information des usagers et des collec tivités. Je propose aussi de développer des maisons France services spécialisées en matière transfrontalière et organiser des permanences des administrations concernées, y compris étrangères. Au niveau gouvernemental, je recommande la nomination d’un secrétaire d’État ou d’un haut-commissaire dédié aux rela tions transfrontalières pour qu’il existe enfin un point unique d’entrée pour les collectivités locales et leurs partenaires étrangers. Plus globalement, je pense qu’il faut associer davantage les collec tivités territoriales et les administrations déconcentrées aux discussions trans frontalières et leur laisser une marge Càd : On a vu de nombreux rap ports parlementaires finir dans les oubliettes de l’Assemblée nationale. Êtes vous convaincue que cette mission abou tira à des solutions concrètes? B.K. : Je compte bien suivre cela de très près. Toutes les mesures envisagées relè vent du bon sens, c’est du pratico-pra tique. Ce qui me fait dire qu’on n’en res tera pas là, c’est d’abord ma détermination à voir ces propositions aboutir, mais aussi le fait que le ministre délégué aux Affaires européennes Ben jamin Haddad a immédiatement sou haité me rencontrer dès la sortie de ce rapport mi-mars et j’ai senti qu’il avait bien conscience de tous ces soucis à régler. Une chose est sûre: il y a une vraie attente sur ces questions et sur ce dossier, je ne lâcherai rien. n Propos recueillis par J.-F.H. d’initiative pour élaborer des solutions au niveau local dans le cadre prévu par les accords bilatéraux en matière de droit à la différenciation.

l Métiers d’Art Les Journées Européennes des Métiers d’Art sont organisées les 4, 5 et 6 avril par François Boinay aux Écorces. Neuf arti sans d’art et producteurs locaux présenteront leurs savoir-faire dans sa ferme des Maisons Dessous et il y en aura pour tous les goûts: tournage sur bois, poterie-céramique, vitraux perles de verre, cuir-maroqui nerie, ébéniste-forgeron, api culteur, horloger-pendulier, et François Boinay et ses sta giaires). À 17 heures, son voisin Vincent Laubert accueillera les visiteurs pour le rituel quotidien de la traite des vaches. Les che vaux comtois seront aussi pré sents avec des démonstrations d’attelage et de ferrage. Bonne humeur et convivialité seront de mise. D’autant plus qu’un bar et un food-truck seront de la partie. À noter que le vendredi 4 avril est principalement dédié aux élèves des écoles. En bref… pour améliorer la vie des personnes habitant sur un territoire frontalier (photo D.R.). L’ancienne ministre aujourd’hui parlementaire Brigitte Klinkert a déroulé une cinquantaine de propositions

“Permettre aux frontaliers de se faire soigner dans leur pays de travail.”

“Il faudrait créer un statut

d’entreprise frontalière.”

Paul Boinay en démonstration à la forge lors de la dernière édition.

Càd: Malgré l’existence d’instances de

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