Journal C'est à dire 289 - Décembre 2022
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“Réduire l’emploi à un raisonnement mécanique est une sorte de paresse intellectuelle” Analyse
Directeur territorial de Pôle Emploi, Jean-François Locatelli commente les bons chiffres actuels de l’emploi et le corollaire qui accompagne cette situation avec une pénurie de main-d’œuvre handicapante pour les entreprises.
C’ est à dire : Quelle est la situation de l’emploi dans le Haut-Doubs ? Jean-François Locatelli : Dans la zone d’emploi de Morteau, le taux de chômage au deuxième trimestre 2022, derniers chiffres disponibles, est de 4,8 %. Il est encore en baisse de 0,9 point par rapport à la même période il y a un an où il était situé à 5,7 %. À l’échelle du Doubs, ce taux de chômage est de 6,8%, contre 7,4% un an auparavant. Sur la zone d’emploi de Morteau, comme à l’échelle départementale, on retrouve des niveaux d’emploi comparables aux années 2007 2008avant la crise des subprimes, et un taux de chômage particu lièrement bas. Dans le Haut Doubs, on n’est pas encore au plein-emploi, mais on s’en approche. Càd : Raison pour laquelle les employeurs ont tant demal à embaucher ? J.-F.L. : Quand on est à ce niveau là de chômage, ceux qui restent sur le carreau sont les plus éloi gnés de l’emploi et dans ces cir constances, il y aunvrai problème de temporalité. Ces personnes, souvent au chômage depuis plus d’un an, ne sont pas immédiate ment employables, elles ont besoin d’être accompagnées plus précisément sur un diagnostic d’abord, sur de la formation ensuite, et enfin sur de l’emploi. Pour tout ce processus, il faut plusieurs mois, alors que les besoins en termes demain-d’œu vre sont immédiats.D’où ce déca lage inévitable dans les chiffres de l’emploi et les difficultés pour les employeurs de recruter vite. Càd : Des employeurs s’éton nent souvent dene pas trouver de main-d’œuvre alors qu’il y a encore des demandeurs d’emploi inscrits à Pôle Emploi. Que leur répondez vous ? J.-F.L. : Que cette question de temporalité est un obstacle réel. Un employeur qui a besoin d’un chef de chantier aura beaucoup de mal à en recruter un directe ment, justement parce que les personnes qui sont encore à l’heure actuelle demandeuses d’emploi ne sont pas employables à ces postes-là. Nous encoura geons dans ce contexte à miser sur les ressources internes. Un carreleur qui a une certaine expé rience au sein d’une entreprise pourrait être promu chef de chan tier, et que l’entreprise embauche alors un apprenti ouun carreleur
inscrits depuis plus d’unan.L’em ploi est un peu à l’image d’un manège.C’est une roue qui tourne et quand on est sur le manège, on n’a pas trop de difficulté de passer d’un siège à l’autre.Mais quand onest endehors, c’est beau coup plus difficile à gra vir le marchepied et à remonter sur lemanège. Mais nos efforts paient, et même si on a plus de mal à le faire baisser, le chômage de longue durée est également en forte baisse. Càd : Dans quelles propor tions ? J.-F.L. : Sur la zone d’emploi de Morteau, le nombre de deman deurs d’emploi inscrits depuis plus d’un an a baissé de 19,9 % en un an. Ce sont à peu près les mêmes proportions au plan départemental avec une baisse de 16,2 %, alors que la baisse pour les inscrits de moins d’un an était de - 2,5 % (- 11,9 % pour les moins d’un an dans le Haut Doubs). Proportionnellement, la baisse dunombre de demandeurs d’emploi de longue durée est donc plusmarquée.Nos efforts paient car on va chercher de plus en plus les gens éloignés de l’em ploi. Càd : Par quel genre de méthodes ? J.-F.L. : Par des opérations spé ciales comme celle que l’on a démarrées il y a quelques semaines et qui va couvrir une bonne partie du territoire.Baptisé le“C.A.P.E.B.Tour”, il est organisé en partenariat avec laC.A.P.E.B., la chambre des artisans du bâti ment, et consiste à organiser des rencontres entre nos services sur le terrain et les artisans pour tenter de trouver des solutions à leurs problèmes de recrutement. On sait que 81%des employeurs qui font appel à nos services se déclarent satisfaits. Il nous reste à convaincre et satisfaire les 19% restants quiméconnaissent peut être l’étendue de nos services ou qui ont eu par le passé unemau vaise expérience. Il faut aussi que les employeurs aient conscience “qu’on n’attire pas les mouches avec du vinaigre” et, pour reprendre l’exemple d’un carreleur, si un employeur poste une annonce avec une offre à 1 500 euros mensuels dans le Haut-Doubs par exemple, ça ne peut pas fonctionner… Nous avons aussi toute une batterie d’outils à leur service.
débutant.C’est toute la difficulté actuelle. Il faut bienavoir à l’esprit que quelqu’unqui n’apas travaillé depuis plusieurs années, ou très peu, ne peut pas en un instant occuper un poste dans une entre prise.La perte de confiance inter
Jean-François Locatelli est directeur terri torial de Pôle Emploi en charge des départements du Doubs et du Territoire-de Belfort. Il est
vient souvent chez ces demandeurs d’emploi, sans parler de la tech nicité des métiers qui évolue sans cesse.Tout cela explique la relative inertie actuelle dumar
“On n’est pas encore au plein-emploi, mais on s’en approche.”
ché du travail.Plus on est éloigné de l’emploi, plus le processus est long. Càd :Certainsmétiersne trou vent même plus preneurs, même pour des emplois peu qualifiés. Pourquoi ? J.-F.L. : On touche là la question de l’attractivité des métiers. Les branches professionnelles font depuis quelques années de gros efforts pour montrer toutes les facettes de leursmétiers, je pense notamment auxT.P.,mais il existe encore un delta trop important entre ce qu’on voit de cesmétiers au bord des routes et la réalité de ces métiers qui sont d’une grande diversité. Les actions menées par les branches portent leurs fruits, hélas pas suffisam ment. Il y a un autre obstacle au plein-emploi, il est géographique. Càd : C’est-à-dire ? J.-F.L. : Dans les zones très rurales, il manque forcément des emplois. Même si Pôle Emploi s’attache à travailler de plus en plus en proximité avec ces terri toires, il y a une réalité sociale qui fait que pour une série de problèmes concrets (garde d’en fant, problèmes de santé,manque de moyens pour disposer d’un véhicule), il est difficile voire impossible pour de nombreuses personnes d’aller capter unemploi ne serait-ce qu’à 15 kilomètres de leur domicile.On travaille acti vement pour lever ce genre de freins,mais il reste des situations très compliquées et des obstacles très difficiles à lever. Certains élus ou chefs d’entreprise pensent qu’il y a un côtémécanique dans l’emploi et qu’il suffit de mettre quelqu’un en face d’une offre d’emploi pour que ça fonctionne. Ce n’est pas la réalité. Réduire l’emploi àun raisonnementméca nique est une sorte de paresse intellectuelle. Càd : Quelle est la part de ces demandeurs d’emploi de longue durée ? J.-F.L. : Près de 50%des deman deurs d’emploi du territoire sont
originaire du Russey.
nous recevons toutes les demandes d’emploi dès que la personne a une autorisation administrative, c’est le cas récem ment pour les personnes venues d’Ukraine. Pour cette éventuelle nouvelle mesure, nous restons dans notre logique : la première compétence attendue par les employeurs est la maîtrise de la langue française. Et les mêmes fondamentaux que sont le savoir faire et également le savoir être. Càd : Et le projet de réforme de l’assurance-chômage qui exclurait des allocations les demandeurs qui refuseraient trois offres et qui renddégres sive la période d’indemnisa tion en fonction de la bonne santé dumarché du travail ? J.-F.L. : Des dispositifs existent déjà sur le sujet, comme les pos sibilités de sanctionner certaines personnes. Si une réforme est votée, on l’appliquera. Càd : Enconclusion, comment définiriez-vous le marché du travail localement ? J.-F.L. : Dansmarché du travail, il y a le terme travail, mais il y a aussi marché : ce qui signifie que quand l’offre de compétences se raréfie, le marché bénéficie plus aux demandeurs d’emploi. C’est le cas actuellement et cela peut en même temps créer de la concurrence entre employeurs. La situation peut rapidement s’inverser et lemarché du travail peut basculer en faveur des employeurs. Ce n’est pas encore le cas. Mais c’est la raison pour laquelle nous sommes obligés, en tant que service public de l’emploi, de sans cesse adapter notre tra vail, tout comme les employeurs sont contraints de gérer la ques tion de l’emploi de manière évo lutive, également en fonction de la situation du moment. n Propos recueillis par J.-F.H.
J.-F.L. : Par exemple des opéra tions d’immersion d’un ou deux jours dans une entreprise pour tenter demettre le pied à l’étrier des demandeurs d’emploi. Et ça marche. On a aussi des outils pour que les entreprises accèdent à des financements de formations à destination de ceux qui entre raient en emploi, des outils de formation préalable au recrute ment qui sont peut-être insuffi samment connus. J’ai aussi l’ha bitude de dire aux chefs d’entreprise que les ressources humaines, c’est un peu toutes proportions gardées comme l’im mobilier : c’est de l’investissement à long terme. L’apprentissage, les contrats de professionnalisation, les immer sions, les actions de formation préalables au recrutement (A.F.P.R.), les contrats aidés, les emplois francs dans les quartiers prioritaires de Besançon, etc. En mettant en musique avec les employeurs tous ces outils, je pense qu’il y a possibilité de faire encore mieux pour lutter contre l’actuelle pénurie demain-d’œu vre. Il y a d’autres actions plus récentes comme le “Plan tension” branches concernées et qui nous permettent de capter dans nos fichiers des personnes rapidement employables. Ce plan lancé en octobre a été pensé pour répondre aux besoins immédiats des entre prises qui peinent à recruter. Càd : Quel est le niveau des offres d’emploi ? J.-F.L. : Le nombre d’offres d’em ploi collectées par nos services sur un an dans la zone d’emploi deMorteau s’élève à 2 775. C’est une hausse de 58,9%par rapport à l’année dernière !À l’échelle du actionné dans les domaines de l’hôtel lerie, du transport et des services à la per sonne avec les
Doubs, on a comptabilisé 412 000 déclarations préalables à l’em bauche (D.P.A.E.) sur 12 mois, sachant qu’une même personne en intérim par exemple peut cumuler à elle seule une bonne dizaine de D.P.A.E. Sur ce nom bre, 8 % seulement étaient des C.D.I., 33 % des C.D.D. et plus de 55%d’intérim.Nous sommes sur un marché très dynamique, mais si on observe de plus près, au vu du nom d’embauches en intérim, on peut se dire aussi que les perspectives pour 2023 sont indécises pour de nombreux employeurs qui privilégient l’in térim aux embauches en C.D.I. Càd : Comment Pôle Emploi réagit à la concurrence des sites et autres applis de recru tement ? J.-F.L. : En tant que service public de l’emploi, notre politique est claire : nous servons d’agréga teurs.À ce titre, nous avons d’ail leurs conventionné avec les prin cipaux réseaux d’agences temporaires dont nous relayons les annonces. Nous ne sommes pas dans une logique concurren sociaux, l’idée étant demultiplier les atouts pour les entreprises et pour les demandeurs d’emploi. Nous y allons à fond, pourvu que notre travail soit au service de l’emploi. Càd : Le gouvernement évoque lapossibilitéde créerdes titres de séjours pour les migrants qui viendraient occuper des emplois en tension. C’est une bonne chose ? J.-F.L. : Je ne suis pas habilité à commenter des projets poli tiquesmais demanière générale, tielle, y compris avec des sites dont nous relayons également les annonces. On tra vaille aussi beaucoup sur les outils numé riques, les réseaux
“Les ressources humaines, c’est de l’investissement à long terme.”
Càd : Lesquels ?
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