Journal C'est à dire 287 - Octobre 2022
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“Il ne peut pas y avoir une commercialisation de la mort” Membre du conseil national consultatif d’éthique, le Professeur bisontin Régis Aubry estime que la loi peut évoluer, mais estime indispensable que les débats soient éclairés, dépassionnés et ne résument pas à une position pour ou contre le suicide assisté. Le Professeur Régis Aubry
Le Professeur Régis Aubry, médecin chef du département douleurs-soins palliatifs du C.H.U. de Besançon, est membre du comité consultatif national d’éthique.
C’ e st à dire : Était il nécessaire de relancer le débat autour de la fin de vie ? P r Régis Aubry : Je pense qu’il y a une utilité à relancer le débat si ce débat est bien organisé. Si on réduit ce débat à la question pour ou contre l’euthanasie ou le suicide assisté, alors non. Depuis quelques années dans notre société, et même si c’est discutable, on investit beaucoup la question de l’autonomie de la personne, les citoyens semblent ne plus avoir envie qu’on décide pour eux, dans toutes les sphères de la vie. Parallèlement, le corol laire des progrès de lamédecine, c’est qu’on fabrique des situa tions de longue fin de vie et qu’on confronte la personne à sa propre finitude pendant de longs mois. Tout cela crée donc de nouvelles questions qu’on ne peut pas nier et en cela, le débat qui va s’ouvrir est utile. Càd : Que pensez-vous de la méthode avec une convention citoyenne composée de 150 citoyens, qui doit se mettre en place en décembre ?
R.A. : Cet échantillon de 150 citoyens représentatifs sera nécessaire, mais pas suffisant. Notre rôle au conseil national consultatif d’éthique sera jus tement d’éclairer les débats afin que le plus grand nombre se sai sisse des enjeux et de la com plexité de cette question. Des débats doivent donc avoir lieu dans les régions, via les Espaces de réflexion éthique sur la base de l’avis que nous avons rendu récemment. Il est également capital que les parlementaires, ceux qui voteront une éventuelle nouvelle loi, soient eux-mêmes éclairés sur cette question. Et dans le contexte actuel d’hysté risation des débats, j’avoue que c’est un peu ma crainte. Càd : Dans les enquêtes d’opi nion, il apparaît de plus en plus que les personnes inter rogées sont favorables pour choisir leur fin de vie. Les mentalités ont donc bien évo lué ? R.A. : C’est un fait. Pour autant, il faut analyser cela de plus près et se rappeler d’abord que les sondages ne s’adressent pas aux personnes concernées mais à
des bien portants. Des travaux de recherche ont été menés qui montrent que quand on s’inté resse aux patients, leur avis varie beaucoup et ils changent de position beaucoup plus que les bien portants. Plus on s’ap proche de leur fin de vie, et plus les gens changent d’opinion.C’est la raison pour laquelle il ne faut surtout pas se baser uniquement sur une opinion des bien por tants. Càd : Pour vous, la législation suisse à laquelle on se réfère parfois est-elle un exemple à suivre ? R.A. : Cette législation se base sur un défaut du droit, et pas sur le droit positif. Ensuite, ces pratiques reposent sur des asso ciations, et ce droit est payant et souvent très cher. Pour moi, ce n’est pas admissible d’un point de vue éthique. Il ne peut pas y avoir une commercialisation de la mort, ce n’est pas envisagea ble. Il est plus intéressant de s’intéresser à ce qui s’est passé dans l’État de l’Oregon aux États-Unis qui a ouvert la porte au suicide assisté. On s’aperçoit qu’une partie des patients ne
le champ des soins palliatifs et la question de l’autonomie des personnes âgées. Or, je crains que la loi autonomie ait été mise de côté pour l’instant. Càd : Ça en dit long sur l’évo lution de notre société ? R.A. : C’est un symptôme inquié tant en effet. Je pense qu’on est désormais dans une société qui n’a pas compris qu’il était néces saire de protéger les personnes vulnérables. Cette petite musique qu’on entend selon laquelle les plus vulnérables ne sont pas importants est dange reuse. Si l’espèce humaine a per duré à travers les millénaires, c’est justement parce qu’elle s’est toujours occupée des plus vul nérables de ses membres. Si l’es pèce humaine oublie cela, elle va dans le mur… n Propos recueillis par J.-F.H.
rité de ces demandes disparais sent.Un certain nombre perdure, qui font appel à une question existentielle du patient et pour qui la sédation profonde et conti nue ne fonctionnera pas. Ces cas sont exceptionnels mais on se doit de les penser avec beaucoup de respect. Càd : Les soins palliatifs sont ils assez développés et connus en France ? R.A. : Il y a encore unemauvaise connaissance de cette question alors que lemouvement des soins palliatifs est justement à l’origine des lois qui interdisent l’achar nement thérapeutique. Les soins palliatifs surviennent toujours quand les traitements conven tionnels sont finis. Selon moi, on ne peut donc réfléchir à une évolution éventuelle du droit que si on investit enmême temps
sont pas venus chercher le pro duit létal, même après l’autori sation, et qu’une partie des patients qui l’ont acheté ne l’ac tivent pas. Les citoyens de cet État se satisfont de la possibilité d’y avoir accès. Càd : L’actuelle loi Claeys Léonetti ne se suffit plus à elle-même ? R.A. : Les dispositions actuelles de cette loi sont suffisantes pour la plupart des cas, en tout cas pour toutes les situations de fin de vie à court terme (c’est-à-dire de quelques heures à quelques jours). Mais l’analyse de l’évo lution des situations de fin de vie fait qu’on voit émerger des demandes d’aide active àmourir qui appellent dans un premier temps les soins palliatifs et de fait, quand on écarte la douleur, on s’aperçoit que la grandemajo
Spectacle
“Le théâtre permet une distance nécessaire quand on emploie le mot mort” Marylin Pape de la Compagnie Les Trois sœurs a écrit, mis en scène
et joué trois spectacles, dont deux théâtres forums qui traitent de la fin de vie sur le ton de l’humour. Une nouvelle façon d’aborder ce sujet qui reste tabou en libérant un formidable espace de parole.
forums sur les aidants et la dépres sion et le suicide chez les personnes âgées ? M.P. : Les gens disent beaucoup de choses puisqu’ils trouvent des alter natives avec nous sur scène. Celui sur les aidants montre les difficultés à gar der une vie sociale, privée, tout en étant aidant. Les personnages se font bouffer par leur compassion et leur empathie car ils ne peuvent plus dire non. Le spectacle sur la dépression et le suicide chez les personnes âgées met en scène une vieille dame aidante qui perd pied quand son mari disparaît. Elle dépérit et finit par se suicider. Sa voisine ne sait pas comment l'aider. Une fois, un monsieur de 84 ans s'était mis à genoux sur scène pour empêcher le personnage de mourir. C’est beaucoup d’émotions, c’est difficile de retenir ses larmes. Mais chacun de nos spectacles garde le ton de l’humour. n Propos recueillis par L.P. La Compagnie joue également la Nostalgie des Blattes, texte de Pierre Notte qui questionne sur la vieillesse
tout quand on emploie le mot “mort”. Pour écrire ce spectacle, j’ai été aidée par les bénévoles de Jalmalv, qui m’ont accompagnée vers des personnes en fin de vie. J’ai été complètement sur prise par leur sens de l’humour, la bon homie, elles dédramatisent le sujet beaucoup plus que nous. Càd : Comment réagit le public ? M.P. : Nos dernières représentations ont fait salle pleine, c’est un sujet qui intéresse. Ils ont ri du début à la fin, ça fait du bien. Qu’est-ce que les direc tives anticipées ? À qui les confie-t-on ? Ce sont des questions qu’a posées le public pendant le débat à l’issue du spectacle. Le théâtre crée un espace de parole extraordinaire. Cela permet de sortir des canaux de communication traditionnels. Nous sommes de plus en plus sollicités, notamment pour les théâtres forums. Càd : Le théâtre forum est une méthode de théâtre interactive, où le public vient sur scène et trouve des solutions avec les comédiens. Quels ont été les retours des spec tateurs lors de vos deux théâtres
était en 2015 et nous continuons à le jouer, car ce sujet est toujours remis sur le tapis. Le spectacle se compose de quatre saynètes ponctuées par des intermèdes musicaux joués par une chanteuse harpiste. Il y a une touche très humoristique. Le théâtre permet de mettre une distance nécessaire, sur
C’ e st à dire : Comment avez-vous appréhendé l’écriture du spectacle Fin de vie, oser l’écrire et des deux théâtres forums, l’un sur les aidants, le second sur la
dépression et le suicide chez les personnes âgées ? Marylin Pape : Le spectacle Fin de vie, oser l’écrire, traite des directives anticipées, il fait suite à une commande de l’association Jalmalv. La première
Le théâtre forum sur les aidants montre l'impact sur la vie sociale et professionnelle des aidants qui s’impliquent souvent jusqu’à en être débordés.
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