Journal C'est à dire 276 - Octobre 2021
D O S S I E R
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“Il y a eu une forme de déviance, voire de perversité de certains religieux” Réaction
concernant le denier de l’Église, je ne le cache pas. On ne craint pas forcément des vagues de désaffectionmais on sait enmême temps que nous sommes dans une époque de fragilités. n Propos recueillis par J.-F.H. En second lieu, la Commission indé- pendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (C.I.I.V.I.S.E.), dont il a été dit publi- quement qu’elle avait été instituée dans un format inspiré de celui de la C.I.A.S.E. poursuivra ses travaux. Là encore, la C.I.A.S.E. aura été un point de départ. Tout au long de ces trente-deux mois d’enquête, les membres de la C.I.A.S.E. disent avoir “éprouvé au fil des mois des sentiments de révolte et même d’indignation face aux fautes graves et aux dissimulations qu’ils décou- vraient.” Ils disent avoir “été bouleversés et aussi transformés par la rencontre et les échanges avec ces femmes et ces hommes qui avaient souffert d’agressions sexuelles et en sont le plus souvent restés blessés et meurtris. Nous avons été révoltés et nous avons dit non à l’intolérable, après tant de témoins et de “témoignaires” qui se sont penchés sur le douloureux dossier des violences faites à des enfants. Mais à la manière de Camus dans L’Homme révolté, en refusant, nous n’avons pas renoncé” , avant de conclure en disant : “Nous formons le vœu que l’Église catholique qui a eu le courage et l’au- dace de nous saisir puisse maintenant s’emparer de nos réflexions et de nos propositions et conduire ce travail de la manière la plus ouverte, en interaction avec ses fidèles et dans un dialogue confiant avec le reste de la société.” n Enquête Le rapport de la C.I.A.S.E., et après ? A près un admirable travail (rap- pelons tout de même que c’est l’Église qui a demandé cette enquête) ayant donné lieu à un rapport de plus de 500 pages, sans compter les annexes, la C.I.A.S.E. a donné quelques pistes de réflexion en guise de conclusion. “Les effets de la libération de la parole, dont on a dit combien ils relevaient du temps long, vont continuer à mettre au jour d’autres faits, d’autres souffrances et d’autres responsabilités” note la commission, précisant bien que c’est bien à l’Église elle-même qu’il reviendra à formuler des propositions. Plusieurs prolongements des travaux de la C.I.A.S.E. vont pouvoir se déployer dans les mois et années à venir. En premier lieu, les riches matériaux utilisés par la commission pour nourrir son rapport vont, sitôt sa mission achevée, être versés aux Archives nationales, au sein du fonds des archives privées et en lien avec le département des Archives de la justice. “À cet égard, les travaux de la commission sont donc un point de départ, et non un point d’arrivée.”
C’ est à dire : Que re ssen- tez-vous suite à la publi- cation de ce rapport de la commission indépen- dante sur les abus sexuels dans l’Église (C.I.A.S.E.) ? Mgr Jean-Luc Bouilleret : Je ressens un grand choc. L’ampleur du chiffre des victimesme consterne, il m’interroge aussi. C’est évidemment vers ces vic- times qu’on se tourne en priorité. Càd : Envisagez-vous de démission- ner ? Mgr J.-L.B. : À ce jour, je n’ai pas l’in- tention de démissionner. Cette inter- pellation de certains à entraîner notre démission sera évidemment débattue à Lourdes début novembre à l’occasion de la prochaine Conférence des évêques de France, mais cette question d’une éventuelle démission n’est pas à l’ordre du jour. J’étais en visite pastorale récem- ment sur le diocèse et je n’ai pas du tout senti cette demande de la part des fidèles. Càd : L’Église a-t-elle mis trop de temps à réagir sur cette question ? À la tête du diocèse, l’archevêque de Besançon Monseigneur Jean- Luc Bouilleret commente l’ac- tualité tourmentée de l’Église depuis la parution du rapport- choc de la commission sur les abus sexuels dans l’Église. tention aux victimes a mis trop de temps à se mettre en place.Au sein du diocèse de Besançon, nous avons une cellule d’écoute depuis 2016. Les vic- times prennent directement rendez- vous et je les reçois personnellement, avec le vicaire général. Càd : Combien en avez-vous reçu ? Mgr J.-L.B. : J’en ai rencontré une dizaine déjà. Leurs priorités étaient d’être entendues et écoutées par la plus haute autorité religieuse de la région et c’est normal que je le fasse moi- même. Ensuite, ces victimes n’émet- taient pas forcément le souhait de pour- suites judiciaires, mais dans tous les cas, je fais un signalement au procureur de la République. Nous sommes d’ail- leurs accompagnés d’un avocat. La règle est claire : dès qu’il y a un doute ou une présomption d’agression, nous en informons le Parquet et c’est la justice qui prend le relais car nous n’avons pas l’autorité pour provoquer une enquête policière. Càd : Quelles sont les suites en géné- ral ? Mgr J.-L.B. : La plupart des faits sont anciens et donc prescrits, et les pour- suites s’arrêtent par conséquent. Mais Mgr J.-L.B. : Oui, nous avons mis trop de temps à réagir, bien que nous n’ayons pas attendu ce rapport pour le faire. Nous avons pris des mesures à partir des années 2000 mais il est clair que l’at-
Monseigneur Jean-Luc Bouilleret, archevêque de Besançon.
la C.I.A.S.E., lesquelles il faut adopter en priorité. Sachant que je le répète : depuis les années 2000, nous avons travaillé fortement sur cette question et qu’on a mis les victimes au cœur de nos réflexions. Ces victimes sont des gens écorchés, souvent blessés, parfois détruits. C’est à elles qu’il faut penser pour choisir en priorité les recomman- dations prioritaires que nous devons mettre en place. Càd : On reparle régulièrement de la question du célibat des prêtres dans ce débat sur la sexualité. Quelle est votre position ? Mgr J.-L.B. : Cette question des abus sexuels n’est pas liée à celle dumariage si on considère, encore une fois, que 80 % de ces abus s’exercent dans la sphère familiale. Il n’y a aucun lien strict entre célibat et pédophilie et la question de la sexualité concerne tout le monde, célibataire ou marié. L’évo- lution de l’Église fera peut-être qu’un jour elle pourra appeler comme prêtres des hommes mariés. Cela existe déjà dans l’Église catholique d’Orient. Nos frères protestants ont les mêmes dif- ficultés que nous à trouver des pasteurs. Si l’Église décide de lever le lien entre prêtrise et célibat, alors on s’adaptera ! Càd : Cette affaire aura-t-elle aussi des répercussions sur le plan des vocations ? Mgr J.-L.B. : Il est sans doute trop tôt pour le dire. Depuis mon arrivée dans le diocèse, j’ai déjà ordonné 8 prêtres et 7 séminaristes sont actuellement en formation. Càd : Craignez-vous d’autres consé- quences : fréquentation du caté- chisme, des églises, sur le denier de l’Église, etc. ? Mgr J.-L.B. : La baisse de la pratique religieuse ou l’éloignement de la société actuelle de l’Église ne sont pas des phé- nomènes nouveaux. Tous les ans, nous avons par exemple une cinquantaine de baptisés qui renoncent à leur foi et qui nous demandent d’être rayés de la liste des baptisés. Les conséquences de ce rapport commenceront sans doute à être visibles d’ici la fin de l’année. Nous avons aussi une vraie crainte
aussi qu’un tiers des personnes incri- minées ont été des laïcs. Je veux aussi redire que la société tout entière est hélas marquée par ces phénomènes d’agressions sexuelles.À l’échelle natio- nale, 5,5 millions d’adultes auraient été abusés. Ce chiffre n’enlève évidem- ment pas la responsabilité énorme de l’Église, mais je rappelle que 80 % des agressions ont lieu dans la cellule fami- liale, et 10 % dans l’entourage familial. Pour les 10 % restants, l’Église est en effet le premier cadre, avant l’école ou le sport. Il y a eu au cours des années précédentes, une forme de déviance, voire de perversité de certains religieux en lien avec le pouvoir hiérarchique et autoritaire qu’ils exerçaient sur des jeunes. Càd : Le président de la Conférence des évêques de France, Éric deMou- lins-Beaufort qui affirmait que le secret de la confession est plus fort que les lois de la République a été sévèrement recadré par le ministre de l’Intérieur. Quel est votre point de vue sur cette question ? Mgr J.-L.B. : Il y a une vraie question qui se pose autour de ce secret de la confession qui a 2 000 ans d’ancienneté. D’une façon générale, le secret de la confession n’est pas remis en cause car les lois de la République le protègent justement et permettent de donner à l’absolution tout son fondement. La confession est un lieu de grande liberté où les gens savent que ce qui est dit ne sortira pas, un lieu de confiance où la conscience du pénitent est entière- ment libre.En cela, le secret de la confes- sion est justifié et personne n’a l’inten- tion de le lever. Il reste bien sûr cette vraie question concernant les mineurs. L’ampleur des violences et agressions sexuelles sur mineurs impose bien sûr à l’Église de relire ses pratiques sur ce point. Càd : Quelles suites l’Église de France va-t-elle donner à ce rapport Sauvé ? Mgr J.-L.B. : La prochaine Conférences des évêques de France qui se tient du 3 au 8 novembre à Lourdes va évidem- ment traiter de cette question et voir, des 45 recommandations émises par
pour un certain nombre de prêtres, nous avons pris des mesures de desti- tution de leurministère, de leur fonction de prêtre. Càd : Combien ? Mgr J.-L.B. : Depuis que je suis arrivé à la tête de ce diocèse en 2008, une dizaine de prêtres et diacres ont ainsi été démis de leur fonction. Càd : Vous aviez vous-même été mis en cause quand vous étiez évêque dans la Somme avant d’arriver à Besançon ? Mgr J.-L.B. : J’avais en effet informé
le Parquet d’un fait d’agression dans mon diocèse,mais le Par- quet n’avait pas bougé rapi- dement. Cette affaire remonte à 2004, j’avais suspendu le prêtre en question, il a été condamné et n’est plus prêtre. Avant, il fallait attendre la mise en examen avant de des-
“L’attention aux victimes a
mis trop de temps à se mettre en place.”
tituer un prêtre, c’est cela qui m’avait été reproché, et aujourd’hui, les choses ayant évolué, les demandes de démis- sion sont plus rapides et c’est mieux ainsi. Càd : Combien le rapport de la C.I.A.S.E. recense-t-il de victimes à l’échelle du diocèse de Besançon ? Mgr J.-L.B. : Une quarantaine de vic- times, et une vingtaine de prêtres agres- seurs, dont la plupart sont aujourd’hui décédés car le cœur de ces affaires se situe ici entre les années cinquante et les années soixante-dix. Depuis les années 2000, nous n’avons plus recensé de cas majeurs dans notre diocèse. Depuis, une seule affaire judiciaire encore en cours s’est éteinte par le décès du prêtre incriminé. Depuis la sortie du rapport de la C.I.A.S.E., nous avons eu un nouveau contact, mais de la part d’une victime présumée qui a souhaité garder l’anonymat. Peut-être y en a-t- il eu d’autres et qui se manifesteront suite à la sortie de ce rapport. Lamédia- tisation de ce rapport va peut-être enclencher d’autres contacts. Càd : Les chiffres du rapport sont tout de même effrayants ! Mgr J.-L.B. : Évidemment. Il souligne
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