Journal C'est à dire 268 - Décembre 2020

P O L I T I Q U E

“Il y a des libertés auxquelles on ne peut pas toucher” Politique

Au moment où la France prépare son deuxième déconfinement, la députée du Haut-Doubs juge l’action du gouvernement dans sa politique sanitaire et économique. Interview.

C’ est à dire : En tant que première vice-prési- dente de l’Assemblée nationale, vous suivez aux premières loges les débats autour de la crise sanitaire et éco- nomique. Comment jugez-vous l’ac- tion du gouvernement depuis plu- sieurs mois ? Annie Genevard : Sur le plan sani- taire, c’est une crise dont l’ampleur a frappé tous les pays du monde et dont on ne peut évidemment pas sous-esti- mer la gravité.Mais cette crise a d’abord révélé notre dénuement total sur le plan sanitaire. Les difficultés de l’hô- pital ne datent pas d’hier, elles ont débuté au moment de la mise en place des 35 heures où on a alors privé l’hô- pital de 10 % de ses capacités de travail. La deuxième vague n’a fait que ren- forcer ce sentiment de fragilité. En visite à l’hôpital de Pontarlier il y a une dizaine de jours, j’ai vu un per- sonnel engagé et solidaire, mais véri- tablement affecté par les efforts consi- dérables qu’il faut faire pour compenser cette faiblesse de moyens. Càd : Que l’opposition aurait-elle mieux fait que le gouvernement face à l’ampleur de cette crise ? A.G. : En tant qu’opposition, nous avons essayé de nous positionner à la hauteur de l’enjeu en n’étant pas dans la critique systématique, mais dans l’exigence de vérité et dans les propo- sitions. Nous en avons fait plusieurs. Nous avons d’abord réclamé une stra- tégie parce que le discours du gouver- nement a souvent été à géométrie varia- ble avec une impression régulière de naviguer à vue. La confusion était ren- forcée par le discours du corps médical qui a dit tout et son contraire sur cette épidémie. Nous avons également plaidé pour le maintien de l’ouverture des nement a décidé de fermer les com- merces de proximité en novembre. Je fais souvent mes courses à Morteau et à Pontarlier et je vois bien que les clients sont disciplinés. Était-il justifié de pénaliser le commerce de proximité ? À mon sens, non. Càd : Le Haut-Doubs était pourtant un des territoires les plus touchés par l’épidémie ! A.G. : Le Haut-Doubs est un territoire où les températures sont plus basses que la moyenne. C’est un élément d’ex- plication. L’autre élément est qu’ici on a proportionnellement plus testé les gens que dans d’autres territoires. On a évoqué également la mobilité de la main-d’œuvre et enfin, on a subi la remontée rapide des contagions venant d’Auvergne-Rhône-Alpes via le Jura. Le maintien des petits commerces était une question de cohérence : on a permis de fonctionner aux services publics, commerces de proximité sachant que le gouvernement avait choisi de concilier la protection de la santé et la relance de l’économie. Sauf que ce principe a été battu en brèche quand le gouver-

aux écoles, aux artisans, à la grande distribution et on ne l’a pas fait pour le petit commerce. Cette décision reste incompréhensible. Càd : L’opposition parlementaire que vous représentez ne sentirait donc pas écoutée ? A.G. : Non. Pourtant, nous avons apporté nos contributions sur le fond de solidarité, sur la transformation partielle du P.G.E. en fonds propres, sur les exonérations de charges, sur la prise en compte des loyers, mais jamais on ne nous a suivis à l’occasion des projets de loi de finances rectifi- cative. Pourtant, la majorité a fini par se rendre compte que certaines de nos propositions étaient bonnes puisqu’elle s’en est inspirée, comme la question des loyers. Càd : On sent une vraie défiance des Français après ces mois de crise. Vous la comprenez ? A.G. : C’est logique, il y a eu tellement de discours contradictoires depuis des mois entre ce que disait Agnès Buzyn au départ jusqu’aux contradictions d’Olivier Véran qui a tenu des propos inacceptables en nous accusant par exemple de négliger la santé des Fran- çais parce qu’on défendait l’ouverture des commerces de proximité. En poli- tique, la confiance se construit sur la vérité du discours. Tout cela contribue sans doute aussi à nourrir ce complo- tisme ambiant qui est également très inquiétant et encore plus dangereux car en plus, ces complotistes remettent en cause les mesures sanitaires. Càd : La perspective proche d’un vaccin rassure. Quelle est votre position sur ce point ? A.G. : Bien sûr que cette perspective rassure mais on voit déjà arriver une la logistique quasi-militaire qu’il faudra mettre en place pour acheminer, conser- ver, et distribuer ce vaccin, et lamanière de donner confiance aux Français sur la nécessité de se faire vacciner. Je ne suis pas favorable à ce que ce vaccin soit rendu obligatoire parce que la coer- cition suscitera forcément de la rébel- lion. En revanche, il est indispensable de commencer sans tarder à cibler les populations prioritaires (personnel de santé, personnes fragiles, etc.). Ce qui me désole, c’est cette montée en puis- sance d’une méfiance vis-à-vis de la vaccination dans le pays de Pasteur. Elle rejoint une méfiance généralisée que l’on constate aujourd’hui vis-à-vis du progrès qui en dit long sur notre époque. Càd : Personnellement, vous vous ferez vacciner ? A.G. : Dès que ce sera possible, je n’hé- siterai pas à le faire, bien sûr. controverse autour de cette question. L’arrivée d’un vaccin est un grand espoir et les perspectives semblent très encourageantes. La réussite de l’opération résidera dans deux éléments principaux :

Parce qu’elle est première vice-présidente de l’Assemblée nationale, Annie Genevard a pu embaucher un sixième collaborateur récemment pour renforcer sa permanence de Pontarlier.

d’images de policiers ou de gendarmes. Et son souhait de d’exiger des journa- listes qu’ils se fassent accréditer par les préfectures pour couvrir une mani- festation est tout simplement hallu- cinant ! Je pense que ce texte évoluera et ne passera pas en l’état. Dans cette affaire, Gérald Darmanin a été incon- séquent, il est trop sûr de lui. Le moment est d’autant plus sensible car les Français ont perdu beaucoup de leurs libertés et il y a des libertés, notamment celle de la presse, aux- quelles on ne peut pas toucher. Càd : Et le projet de loi sur les sépa- ratismes, sobrement rebaptisé “pro- jet de loi confortant les principes républicains”, va-t-il assez loin ? A.G. : On se dirige vers un texte de loi se contentant de protéger la laïcité et les principes républicains. Encore une fois, il y aura de bonnes choses dans ce texte, mais il est indispensable de mieux armer notre droit et de frapper plus fort en modifiant la Constitution. Il faut changer l’article 1 pour inscrire dans le marbre que nul individu ou groupe peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer des règles communes et l’article 4 pour dire que tout parti ou groupement poli- tique doivent respecter la laïcité, afin d’empêcher certains groupes politiques à vocation communautaire de faire de l’entrisme et de se présenter à certaines élections. n Propos recueillis par J.-F.H.

Càd : Pour l’instant, qui pourrait le mieux représenter la droite ? A.G. : Nous n’en sommes pas encore là. Nous avons déjà réussi à remettre autour de la table des personnes qui ne se parlaient plus, avec Valérie Pécresse et Xavier Bertrand notam- ment. Nous nous mettrons d’accord sur un candidat à l’issue des élections régionales (repoussées en juin 2021). À ce moment-là, soit un candidat natu- rel émergera, soit on procédera à un “départage”, pour ne pas dire une pri- maire. Un candidat aura forcément une assise plus large que les autres, je ne fais pas de souci sur cette ques- tion.

Càd : La situation des acteurs éco- nomiques, notamment dans le Haut-Doubs, vous inquiète-t-elle ? A.G. : Les secteurs qui n’ont toujours pas pu retravailler comme la restau- ration, l’hôtellerie, le tourisme, la cul- ture, l’événementiel m’inquiètent beau- coup. Avec les répercussions économiques sur ses acteurs évidem- ment, et aussi les répercussions sur le moral de la population en général. L’être humain ne vit pas que de biologie et de santé, il vit de relations sociales, de culture, de sport et une de mes plus grandes craintes et de constater qu’une partie de la population est affaiblie psychologiquement à cause de l’absence de ces activités. Cette crise aura révélé beaucoup d’inégalités.

“Dès que ce sera possible, je me ferai vacciner.”

Càd : Unmot sur les autres lois actuellement en débat à l’Assemblée : la sécurité globale, et les sépara- tismes ? A.G. : La loi sur la sécurité globale comprend de bonnes mesures, mais Gérald Darma- nin a fait l’erreur de centrer

“Gérald Darmanin a été inconséquent, il est trop sûr de lui.”

Càd : Sur le plan politique, on a tout de même l’impres- sion que dans ce contexte, Les Républicains peinent vraiment à être audibles. Comment la droite se fera- t-elle une place dans le débat d’ici 2022 ?

le débat sur ce fameux article 24. Il est clair qu’il est nécessaire de protéger les policiers et les gendarmes. On ne doit pas interdire de les filmer, mais on doit punir la diffusion malveillante d’images et en même temps garantir la liberté de la presse. Gérald Darmanin a commis une erreur en laissant penser que c’est la presse qui pouvait se rendre coupable de diffusion malveillante

A.G. : Pour l’instant, la préoccupation des Français, c’est la santé, le travail, la sécurité, l’éducation. Ce qui ne nous empêche pas au sein des Républicains, d’avoir engagé un travail de fond sur une stratégie qui nous permettra en temps voulu de proposer un vrai projet aux Français, puis une personne qui incarnera ce projet.

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