Journal C'est à dire 267 - Novembre 2020

D O S S I E R

Médecine

“Il faut privilégier la qualité de vie à l’espérance de vie”

Chef du pôle “autonomie-handicap” au C.H.U. Jean- Minjoz à Besançon et membre du comité consultatif national d’éthique, le Professeur Régis Aubry est un des grands spécialistes de la fin de vie. Une question aux confins de la médecine et de la philosophie.

C’ est à dire : Plus la médecine pro- gresse etmoins on semble appréhen- der avec aisance ces questions de la finde vie. Comment l’ex- pliquez-vous ? Professeur Régis Aubry : C’est justement le paradoxe d’une médecine qui sait de plus en plus maintenir en vie et par consé- quent tend à fabriquer des vul- nérabilités plus importantes avec contribue à générer. Nous sommes dans une société qui valorise la performance, qui contribue donc à rendre possible notre maintien en vie mais qui en face n’est pas capable de ren- dre la fin de vie acceptable. Je rencontre de plus en plus de per- sonnes qui souffrent d’un senti- ment d’indignité, se sentant un poids pour leur famille,mais c’est juste le regard de la société qui considère les gens faibles et en fin de vie comme indignes. Mon souci est de veiller à ce que notre société protège les gens les plus vulnérables en leur restituant un peu de dignité.Une personne faible, fatiguée par une maladie chronique, n’est pas inutile. Elle nous pousse justement à réfléchir sur l’utilité de la vie. La fin de vie, c’est le corollaire douloureux du progrès, l’autre versant du progrès étant que la médecine guérit plus et sauve plus de vies. Càd : Quelle est la position du comité national d’éthique dont vous êtesmembre concer- nant la nécessaire évolution, ou pas, de l’actuelle loi Léo- netti-Claeys sur la fin de vie ? R.A. : Nous avons rendu un avis sur cette question à l’occasion des derniers états généraux de des gens qui restent en vie mais qui sont très malades ou très faibles.Notre système de santé n’accom- pagne pas correcte- ment ceux qui qu’il

la bioéthique lancés par le gou- vernement en 2018 et qui doit aboutir au vote d’une nouvelle loi de bioéthique dans quelques semaines, même si la question de la fin de vie ne sera sans doute pas modifiée dans cette pro- chaine loi. La loi actuelle est- elle suffisante ? Je réponds que non.Mais si la loi devait évoluer, elle ne serait sans doute pas suf- fisante non plus car il y aura toujours une interprétation pos-

sible de la loi. La vraie question à mon sens est la suivante : faut- il modifier la loi ou ne vaut-il pas mieux modifier la pratique de la médecine qui

“Les soins palliatifs sont nécessaires, mais jamais suffisants.”

produit parfois des situations épouvantables de personnes maintenues en vie mais dans un état végétatif ? Des personnes dans cet état, il y en a 1 500 en France. Càd : Que faudrait-il faire alors ? R.A. : Il faut commencer par for- mer les soignants à la réflexion éthique, ce qui n’est pas suffi- samment fait. Les soignants ont tendance à faire des actes tech- niques au seul motif qu’ils savent les faire. Il nous paraît donc important déjà que la réflexion éthique soit considérée comme un acte technique, et donc qu’il soit valorisé à travers la tarifi- cation à l’activité. On contribue- rait sans doute à éviter des situa- tions épouvantables comme on en connaît trop. Le deuxième aspect de notre avis, c’est la manière de traiter les cas excep- tionnels qui feraient qu’on ne prolonge pas la vie, l’idée étant d’introduire des exceptions à la loi, mais dans des situations au cas par cas, qui nécessiteraient évidemment une large discus- sion, y compris avec des magis- trats.

Le Professeur Régis Aubry, en tant que membre du comité consultatif national d’éthique a été chargé de l’organisation des états généraux de la bioéthique.

l’euthanasie ou le suicide assisté, ni pour laisser la loi en l’état. Cette troisième voie que vous prônez résoudrait- elle tous les cas compliqués ? R.A. : Si un homme commeVin- cent Lambert est resté en vie, c’est parce qu’il y avait un héli- coptère pour aller le secourir, unmédecin qui a réalisé un acte pour le sauver, sans quoi il serait mort et le débat n’existerait pas. Les progrès de la médecine maintiennent des centaines de personnes en vie, mais dans un état végétatif chronique. Il faut donc qu’on se laisse le droit d’étu- dier ces situations exception- nelles en apportant sans doute de nouvelles exceptions à cette loi, sans forcément la dénaturer. Sans modifier la loi, il faut sans doute modifier l’usage qu’on en fait. Pour ne pas susciter des situations inextricables comme celle du cas Vincent Lambert, il

nos sociétés. C’est ce qui explique ces débats inces- sants ? R.A. : Les affairesHumbert,Lam- bert, et plus récemment Alain Cocq obligent les citoyens à regar- der en face ces questions et appor- tent un éclairage sur cette réalité complexe. C’est aussi grâce à ces cas complexes que la réflexion et les connaissances avancent et que les citoyens peuvent s’em- parer de ces questions qui tou- chent à l’éthique.Notre système de santé va de toute façon conti- nuer à générer des questions sur la fin de vie qui poseront pro- blème. C’est une façon d’appré- hender aussi la place du droit et de lamédecine de façondifférente. Une société qui réfléchit et qui doute est une société qui a de l’avenir. Et au contraire, une société où le droit réglerait tout court à sa perte. n Propos recueillis par J.-F.H.

faut sans doute prévoir ces mesures exceptionnelles, très en amont, qui consisteraient à faire en sorte d’envisager plutôt le décès qu’un maintien en vie. Dans ces situations exception- nelles, le cas par cas est une manière d’éviter une approche trop normative de la loi.

palliatifs ne soient pas considérés comme une discipline à part mais qu’ils soient intégrés à toutes les autres disciplines médicales, notamment la géron- tologie, la cancérologie, la neu- rologie. D’une manière générale, je pense qu’il faut souvent pri- vilégier la qualité de vie à l’es-

pérance de vie. Les soins palliatifs ont été pensés pour cela. D’ail- leurs, le gouvernement s’apprête à présenter un nouveau plan de développement des

“Une société qui doute est une société qui a de l’avenir.”

Càd : Le développe- ment des soins pal- liatifs constitue-t-il une partie de la réponse ? R.A. : Les soins pallia-

tifs, que j’ai contribué à déve- lopper ici, c’est une réponse nécessaire mais qui ne sera jamais suffisante. Il faut qu’ils continuent à se développer, y compris en milieu rural grâce aux équipesmobiles territoriales de soins palliatifs qui existent d’ailleurs dans le Doubs, mais il est nécessaire que ces soins

soins palliatifs et j’y suis évi- demment favorable. Un des leviers importants à ce dévelop- pement, c’est la formation et la recherche qu’il est nécessaire d’encourager. Càd : Ces questions de fin de vie et de mort semblent tou- jours susciter la peur dans

Càd :Vous n’êtes donc ni pour

Fin de vie : que dit la loi ? Législation

patient. L’autre avancée de la loi concerne ce qu’on appelle le droit à la “sédation profonde et continue” pour les malades

n’est pas exprimée par le patient quand il est encore lucide. D’où l’importance fondamentale des directives anticipées. Sans elle, les médecins s’en remettent

aux personnes de confiance, à la famille ou aux proches. Ces directives anticipées pri- ment sur l’avis de la per- sonne de confiance, de la famille ou des proches et sont révocables ou modifia-

en fin de vie. En cas d’accord collégial avec la famille, le médecin peut mettre en place l’ensemble des traite- ments analgésiques et séda- tifs pour répondre à la souf- france réfractaire du malade

Le droit à la “sédation profonde et continue”.

souffrance, et en clarifiant notamment l’usage de la sédation profonde et conti- nue, jusqu’au décès, en phase termi- nale. Alors que l’interdiction de l’obs- tination déraisonnable de soins était une possibilité ouverte par la loi de 2005, celle de 2016 rend obligatoire cette interdiction de continuer à pro- diguer des soins, sous réserve bien sûr de la prise en compte de la volonté du patient. C’est toute l’ambiguïté de cette notion de volonté qui bien souvent,

La loi Léonetti de 2005, complétée et devenue loi Claeys-Léonetti en 2015 pose 5 grands principes pour les personnes en fin de vie.

C es 5 grands principes sont : l’interdiction de l’obstination thérapeutique déraisonnable, les droits pour le patient à l’abstention ou à l’arrêt de tout trai- tement, le soulagement de la souf- france, le développement des soins palliatifs et la possibilité pour toute

personne d’exprimer par avance ses souhaits pour organiser ses derniers moments. Par rapport à la loi initiale de 2005, la loi du 2 février 2016 est censée per- mettre de mieux répondre à la demande à mourir dans la dignité par une meilleure prise en charge de la

en phase avancée ou terminale, même s’ils peuvent avoir pour effet d’abréger la vie. Ce qui n’est ni un acte d’eutha- nasie active (donner la mort) ni un suicide assisté. C’est toute la nuance de la loi française. n

bles à tout moment pour les personnes qui les ont rédigées. Ces directives anticipées qui doivent être écrites per- mettent le moment venu aux médecins de prendre leurs décisions médicales en tenant compte des souhaits du

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