Journal C'est à dire 267 - Novembre 2020

D O S S I E R

Suisse

“C’est l’assurance de bien mourir et le respect de l’ultime liberté”

En 2019, 352 personnes de la partie francophone du pays sont décédées avec l’aide de l’association EXIT. Un chiffre en constante augmentation. Le suicide assisté n’est pas un tabou chez nos voisins mais une “liberté” estime le Chaux-de-Fonnier Jean- Jacques Bise, coprésident de cette association habilitée à délivrer le produit létal. Quelles sont les conditions pour en bénéficier ? Que dit la loi suisse ? Accueille-t-elle des Français ? Il répond.

C’ est à dire : La Suisse est réputée comme un pays libéral enmatière de suicide assisté. Pourquoi ? Jean-Jacques Bise : En effet, l’assistance au suicide est légale en Suisse depuis 1942, date de l’entrée en vigueur de notre Code pénal. Cette attitude libérale a ainsi des racines historiques bien antérieures à la discussion moderne centrée sur l’autonomie de la personne face à la mort. En France, le suicide n’est plus réprimé depuis 1810. En Suisse, cet acte a été décriminalisé à l’occasion de l’unification du droit pénal. En conséquence, la com- plicité de suicide ne pouvait exis- au suicide. L’article 115 du Code pénal suisse dispose ainsi que “seul celui qui, poussé par un mobile égoïste, aura incité ou aidé à un suicide, sera puni d’une peine privative de liberté.” Ainsi, depuis bientôt 80 ans, l’assis- tance au suicide “à la suisse”, l’assistance altruiste au suicide est un acte légal. Càd : Je souhaite mourir. Pourquoi et comment allez- vous accepter ma requête ? J.-J.B. : EXIT est une association qui a été créée en 1982. Elle a pour but de “promouvoir le droit de l’être humain de disposer libre- ment de sa personne, de son corps et de sa vie.” En 2011, la Cour européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg recon- naissait à tout individu “le droit de décider de quelle manière et à quel moment sa vie doit prendre fin.” Nous agissons pour rendre ce droit effectif et évidemment dans le respect de l’article 115 de notre Code pénal. Ainsi, une personne effectuant une ter dès lors que le sui- cide n’était plus un acte délictueux. Le législateur a cepen- dant adopté un article spécifique sur l’inci- tation et l’assistance

der le suicide assisté ? J.-J.B. : Je le répète : une per- sonne doit être capable de dis- cernement pour pouvoir se sui- cider dans le cadre de l’article 115.Ainsi, si lamaladie est diag- nostiquée suffisamment tôt, la personne pourra mettre fin à ses jours avant d’avoir perdu cette capacité. C’est alors un acte de grand courage que nous ren- controns rarement. Càd : Qu’en est-il de la pro- cédure pour mourir ? J.-J.B. : Il faut contacter le secré- tariat de l’association, présenter un rapportmédical récent, rédigé par un médecin exerçant en Suisse, qui décrit votre état de santé et atteste de votre capacité de discernement. La personne doit rédiger une lettre manus- crite ou s’il n’en est pas capable, faire appel à un notaire, deman- dant notre aide. Chaque demande est étudiée par l’un de nos médecins-conseils avant d’être transmise à une accom- pagnatrice ou un accompagna- teur de notre association. Càd : Vous n’accueillez donc pas de Français. ? J.-J.B. : Non. Cependant, quo- tidiennement, nous recevons entre 30 et 50 appels télépho- niques à notre secrétariat dont de nombreux venus de France. Nous dirigeons alors les Fran- çais(e)s principalement vers deux associations en Suisse aléma- nique qui les accueillent : Digni- tas à Zürich et Lifecircle à Bâle. Càd : Combien coûte une assistance ? J.-J.B. : Elle est “gratuite”, com- prise dans la cotisation si vous êtes membre depuis plus d’une année. Cette dernière est d’en- viron 30 euros. Cela coûte 350 francs suisses aux personnes qui requièrent notre aide en situation d’urgence sans avoir payé de cotisation annuelle.

demande d’assistance au suicide auprès d’EXIT Suisse romande doit remplir les conditions sui- vantes : être membre de l’asso- ciation, son domicile principal doit être établi sur le territoire suisse, elle doit être majeure, doit disposer de sa capacité de discernement et être atteinte soit d’une maladie incurable, soit de souffrances intolérables, soit de polypathologies invali- dantes liées à l’âge. Càd : Comment expliquer que le suicide assisté soit confié à des associations ? J.-J.B. : Comme je l’ai déjà dit, EXIT a été créée en 1982. Pen- dant presque 20 ans, elle s’est reconnaissance des directives anticipées. Ce n’est qu’au tour- nant des années 2000 qu’elle a effectué ses premières assis- tances au suicide, ayant compris que la seule disposition du droit suisse qui régit cet objet, ce fameux article 115, ne s’oppose pas à cette aide.Ainsi, aux condi- tions que j’ai mentionnées, à la condition essentielle d’être capa- ble de discernement, toute per- sonne peut, avec notre aide,met- tre fin à ses jours. Càd : Il n’y aurait donc jamais eu d’affaire Vincent Lambert en Suisse… J.-J.B. : Vraisemblablement pas. Vincent était capable de discer- nement. Il aurait ainsi proba- blement pu provoquer lui-même, de manière intentionnelle, un “mécanisme”mettant en branle une perfusion contenant le pro- duit létal qui lui aurait permis de mourir selon sa volonté. Càd : Une personne atteinte d’Alzheimer peut-elle deman- opposée au paterna- lisme médical. Elle a œuvré pour s’opposer à l’acharnement thé- rapeutique et a été la première association à militer pour la

Jean-Jacques Bise.

Càd : Et pour les associations suisses alémaniques qui accueillent les Français ? J.-J.B. : Environ 10 000 francs suisses. Càd : Quel est le profil du sui- cidant ? J.-J.B. : En 2019, 352 membres sont décédés avec notre aide, dont 208 femmes et 144 hommes. Un tiers environ atteint de poly- pathologies invalidantes liées à l’âge. Leur âge moyen étant de 86 ans. Les deux autres tiers de différentes pathologies, essen- tiellement des cancers. Leur âge moyen étant de 75 ans, la per- sonne la plus jeune avait 26 ans. Càd : Comment obtenir la potion létale ? Qui l’adminis- tre ? J.-J.B. : Unmédecin doit rédiger une ordonnance médicale qu’il remet uniquement à l’accompa- gnatrice ou l’accompagnateur d’EXIT. C’est cette personne qui se procure la potion létale dans une pharmacie, la prépare et la remet directement en main de la personne demandeuse au moment de l’autodélivrance. C’est le suicidant qui porte la potion à la bouche et l’ingurgite. S’il n’est pas en capacité de le faire, une infirmière pose une perfusion que le patient ouvrira. Càd : Une fois la personne décédée, qui contrôle ? J.-J.B. : Un médecin extérieur

de mourir délibérément) et ce que je pourrais appeler une “obli- gation” de réciprocité : je fais aujourd’hui pour autrui, ce dont possiblement j’aurai besoin un jour, être aidé à mourir digne- ment. Et permettez-moi encore une précision. À l’exception du personnel de notre secrétariat à Genève, toutes les personnes actives au sein de l’association sont des personnes bénévoles. C’est aussi le cas des deux copré- sidents. Càd : Peut-on parler d’un “tourisme de la mort” en Suisse, sachant que d’autres associations accueillent les étrangers dont de nombreux Français, Allemands, Anglais ? J.-J.B. : Cette expression est honteuse, elleme scandalise.Un voyage touristique implique un aller et un retour. Dans le cas d’une assistance à mourir d’une personne résidant à l’étranger et se déplaçant en Suisse pour mettre fin dignement à sa vie, il n’y a alors qu’un aller simple. Pensez-vous que mourir dans un autre pays que le sien, loin de chez soi, de sa famille et de ses proches est vraiment du tou- risme ? Ce dernier en outre dis- paraîtra le jour où l’euthanasie ou le suicide médicalement assisté seront légalisés dans ces pays ! n Propos recueillis par E.Ch.

est désigné pour s’assurer qu’au- cun geste n’ait été porté à l’en- contre de la personne ainsi que pour constater le décès. Un pro- cureur est saisi et si le dossier constitué est clair et respectueux des règles, la procédure s’achève et le corps est libéré. Càd : Où se déroule l’assis- tance ? J.-J.B. : EXIT ne dispose pas d’infrastructure d’accueil en vue d’assistance au suicide. L’auto- délivrance a donc généralement lieu au domicile de la personne demandeuse ou chez un proche domicilié en Suisse romande. Elle peut également avoir lieu dans les établissements médico- sociaux (E.H.P.A.D.) privés ou publics, plus rarement dans les hôpitaux. Càd : Une des difficultés de l’association est de répondre au nombre croissant de demandes ? J.-J.B. : C’est vrai. Il nous manque des médecins prescrip- teurs et nous recevons de plus en plus de demandes “urgentes” de personnes non-membres de l’association. Càd : Pourquoi ce combat ? J.-J.B. : Cela fait plus de 20 ans que je suis très engagé dans la défense de cette noble cause. Deux raisons principales me motivent : agir pour faire res- pecter notre ultime liberté (celle

“Le tourisme de la mort, cette expression me scandalise.”

Elle avait choisi le jour de sa mort, ses deux petits-enfants à ses côtés Témoignage Témoignage d’un accompagnant qui a récemment assisté au suicide d’une octogénaire atteinte d’un cancer en phase terminale.

pas changé d’avis. Le protocole peut alors débuter. Muni du pentobarbital délivré sur ordonnance par le médecin, il verse le produit “dans l’équivalent d’une tasse à café”, et fournit une pastille anti- vomitive. La suite, le bénévole nous la raconte. “Le poème lu par le petit-fils, Marie assise sur son fauteuil saisit la tasse et ingère le produit. C’est elle qui maîtrise l’acte. La lotion ingérée, la

mais cela arrive” expose l’accompagnant bénévole. Dans sa demeure, la dame a convié 6 personnes, dont ses deux petits- enfants. L’un est chargé de lire un poème, l’autre est présent à ses côtés. Lorsque le bénévole de l’association EXIT arrive au domicile, il est 9 heures Il demande à l’assisté s’il n’a pas changé d’avis et le consigne sur un papier prévu à cet effet. Dans le cas présent, l’octo- génaire répond par la négative, elle n’a

dame se met à bailler durant environ 15 minutes. Installée dans son fauteuil, elle s’endort. Ses paupières ne se rou- vriront jamais.” Sachant que cette mort n’est pas considérée comme naturelle, la Police cantonale est saisie, prend connaissance du protocole. “Ce départ était beau mais très triste” se souvient l’accompagnant, encore ému. n

T out était prévu, la date, l’heure, la musique, le poème lu par l’un de ses petits-fils ainsi que les “invités”. Écrit comme cela, le procédé peut paraître glauque. Et pourtant, comme l’indique le bénévole de l’association EXIT, le suicide assisté décidé par cette octogénaire était

empreint de “beauté et de tristesse.” C’était il y a quelques semaines dans le canton de Neuchâtel. Marie* a 80 ans. Elle est atteinte d’un cancer en phase terminale. Comme la loi suisse le lui permet, elle décide d’avoir recours au suicide assisté. “Elle a choisi le jour et l’heure de sa mort. C’est assez rare

*Le prénom a été modifié

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