Journal C'est à dire 228 - Janvier 2017
D O S S I E R
17
Depuis la votation du 9 février 2014 où le peuple suisse s’est pro- noncé à une courte majorité “contre l’immigration de masse”, les travailleurs frontaliers sont la cible de discriminations plus ou moins fortes selon les cantons. Les débats politiques qui ont conduit jusqu’au vote de la loi par le Parlement le 16 décembre dernier n’ont fait que nourrir ce climat pesant. LES FRONTALIERS MONTRÉS DU DOIGT
Votation
“Contre l’immigration de masse”, le paradoxe suisse
Il y a en Suisse une forme de paradoxe. D’un côté son éco- nomie encore prospère a recours à la main-d’œuvre étran- gère pour fonctionner, et de l’autre ce pays légifère pour inciter les entreprises à recruter en priorité des résidents suisses.
L a loi votée par le Parlement fédéral suisse le 16 décembre dernier ne reflète pas l’es- prit de l’initiative populai- re de février 2014 “contre l’immigration de masse.” Les élus ont rejeté le principe d’introduire, par exemple, des quotas migratoires com- me veut en instaurer le parti popu- liste U.D.C. à l’origine du référendum. Mécontents, ses représentants accu- sent désormais le Parlement d’avoir capitulé devant l’Union Européenne au nom du respect des accords bila- à privilégier une main-d’œuvre loca- le dans leur politique de recrutement en lien avec les Offices Régionaux de Placement (l’équivalent de Pôle Emploi en France). Une mesure qui est toutefois contrainte puisqu’elle ne peut s’appliquer, par exemple, que dans les régions où le taux de chômage est supérieur à la moyenne. Sur le fond, le vote du Parlement a contenté l’Union Européenne qui avait engagé un bras de fer avec Berne sur ce dossier. Dans la foulée du vote du téraux qui lient la Suisse à l’U.E. et qui garantissent la libre cir- culation des personnes. En revanche, le Parlement fédé- ral a acté le principe d’inciter tant que possible les entreprises
16 décembre, le gouvernement hel- vétique doit maintenant émettre une ordonnance d’application d’ici le 9 février. Le texte devrait donc pro- chainement entrer en vigueur. Si les élus du Parlement suisse se sont entendus sur une interprétation lar- gement moins radicale que la votation d’il y a trois ans contre l’immigra- tion de masse, la question de la pré- férence nationale (ou locale) suscite des interrogations du côté des acteurs de l’économie, même si cette mesure est assortie d’un certain nombre de contraintes. “Lorsqu’un çois Besson, le secrétaire général du Groupement Transfrontalier Euro- péen. La compétence prime donc, y compris sur le risque de dumping sala- rial. “C’est d’ailleurs indispensable qu’un frontalier soit embauché aux mêmes conditions qu’un Suisse, afin que les gens comprennent qu’il n’a pas été recruté par une entreprise au motif qu’il aurait accepté un bas salaire, mais bien parce qu’il est compétent pour le poste” ajoute-t-il. Le réalisme et le bon sens économique employeur suisse embauche un frontalier, c’est parce qu’il n’a pas trouvé les compétences équi- valentes parmi les résidents suisses” remarque Jean-Fran-
La Suisse n’a pas le choix.
Dans le canton de Genève, le nombre de frontaliers progresse encore malgré le contexte.
l’emportent sur la posture politique. La preuve, dans le canton de Genève où le nombre de travailleurs fronta- liers a encore augmenté de 6 % alors que le “racisme” anti-frontalier est très fort, et que la poussée politique pour la “préférence cantonale” est active ! La Suisse n’a pas le choix. Elle recru-
te à l’extérieur car elle n’a pas toutes les compétences, ni toute la main- d’œuvre suffisante pour faire fonc- tionner son économie. Les frontaliers nourrissent l’économie suisse, mais ils sont victimes de dis- crimination, conséquence collatérale de tout le débat qui a animé l’opinion
publique entre le référendum de 2014 et le vote du parlement de décembre dernier. Pour se préserver des remarques désobligeantes dont ils font l’objet, une des solutions qui s’offre à eux est d’abandonner un statut de pen- dulaire pour s’installer en Suisse. n T.C.
Made with FlippingBook - Online Brochure Maker