Journal C'est à Dire 260 - Décembre 2019

L A P A G E D U F R O N T A L I E R

Nature

Le loup : mieux le connaître pour mieux s’en protéger La formation d’une meute de loups dans le massif du Jura

suscite beaucoup de craintes, d’espoirs et d’interrogations. Le canton de Vaud en Suisse voisine et le Parc naturel régional du Haut-Jura ont mandaté Jean-Marc Landry et son équipe, un scientifique spécialiste du loup pour apporter de la connaissance et favoriser l’accompagnement des éleveurs.

“L a meute se porte bien. Les louveteaux ont atteint 80 % de leur taille adulte. On a récemment repéré un individu inconnu, d’aspect très juvé- nile, probablement un subadulte (adulte non reproducteur) qui a peut-être dis- paru une partie de l’été. Les résultats de nos recherches dans le sud des Alpes suggèrent que des subadultes peuvent avoir une relation très élastique autour du noyau central associant le couple reproducteur.” Plusieurs indices montrent la présence d’au moins un loup mâle du côté fran- çais, mais nous ne savons pas encore s’il y a un lien avec la meute du Mar-

à comprendre comment ces loups uti- lisent leur territoire. Ce qui nous inté- resse, c’est de pouvoir partager ces infor- mations” , poursuit Jean-Marc Landry sans oublier de rappeler qu’il n’est pas mandaté pour réaliser des films ani- maliersmais d’abord pour accompagner les éleveurs et bien travailler sur la relation à l’élevage. C’est un rôle d’écoute et d’échange. “On discute beaucoup. Aujourd’hui, on ne sait pas si on peut protéger un troupeau de bovins dans le Jura. De façon géné- rale, il y a beaucoupmoins de prédations de loup sur du bétail. À la différence des zones alpines, il y a plus d’activités humaines dans la zone à loup du Jura.

chairuz. Ce secteur s’inscrit dans la zone de présence per- manente du loup dite duMar- chairuz et qui s’étend à cheval sur la frontière entre le Risoux et le Mont Tendre. Le scienti- fique utilise plusieurs outils

Pour aller chasser, les loups passent sur les pâturages occu- pés par les bovins et continuent de le faire après la descente des bêtes. Il n’y a pas eu d’at- taques avérées. Pour l’instant, cela se passe plutôt bien.”

“On a réussi à avoir des images uniques au monde.”

Il n’en va pas de même des deux trou- peaux ovins présents sur ce secteur qui subissent des attaques depuis quelques années. En août dernier, Xavier Broquet, éleveur de brebis à Trélace dans le secteur des Rousses a perdu 9 brebis suite à une attaque, sans compter les bêtes mutilées ou tout simplement effrayées. Son troupeau avait déjà été attaqué en 2013. “Il faut réfléchir pour trouver des solutions plus efficaces” , admet Jean-Marc Landry qui travaille à la mise en place d’un

pour mener à bien son travail d’obser- vation : relevés d’empreintes, crottes, pièges photographiques, suivi par caméra thermique sur les lieux de ren- dez-vous où les louveteaux viennent attendre leur pitance et les pâturages occupés par les troupeaux de bovins… “On a collecté 180 indices, 132 vidéos dont 8 réalisées en caméra thermique. On ne s’attendait pas du tout à recueillir autant d’informations.On amême réussi à avoir des images uniques au monde. Au fil des observations, on commence

Les loups passent à quelques dizaines de mètres des troupeaux. (photo F.M.L.J.).

Plan Initial de Protection qui sera établi à partir d’un diagnostic de vulnérabilité. La prévention passe par la communi- cation entre tous les acteurs qui coha- bitent sur la zone à loup. Il existe par exemple l’application “Proxyloup” pour informer tous les éleveurs inscrits des agissements du loup.À chacun de ren- seigner aumieux cette plateforme. “On a organisé le 3 octobre une séance d’in- formation qui a réuni d’une vingtaine d’éleveurs et de bergers. Ils ont apprécié qu’on soit là pour les écouter et les aider si nécessaire, leur dire aussi la vérité.”

Le loup peut aussi avoir un rôle de régulation sur des populations de cerfs dont se plaignent les forestiers et peut- être sur les sangliers qui causent aussi des dégâts en zone agricole. “Aujourd’hui, les gens sont plutôt dans l’attente de voir ce qui va se passer. Il y a beaucoup d’inquiétudes et de craintes. On doit travailler en partenariat avec les éleveurs, tenir compte de leurs contraintes et peut-être mieux cadrer certaines pratiques, comme arriver à mieux préciser les dates de vêlage, ce qui facilite le travail du berger.” Le

scientifique ne serait pas contre la pose d’un collier sur l’un des membres de la meute, histoire d’affiner le suivi sur les déplacements. Qu’en sera-t-il demain ? Tous les scénarios sont pos- sibles. “L’évolution reste très aléatoire. On peut très bien imaginer qu’il n’y ait plus de loup ou le contraire. Il faut rester prudent, prévoir un suivi régulier, un accompagnement aux éleveurs et surtout ne pas couper le cordon du dia- logue. ” n

Zoom “À tout prix éviter le débat pro contre anti-loup” D epuis plusieurs saisons berger au chalet du Pré Loin situé au cœur du Risoux entre Mouthe et la Vallée de Joux, Gérard Vionnet qui milite depuis longtemps pour la cause environnementale suit de près l’arrivée du loup dans le Jura. “Les premiers signalements du loup dans le massif remontent au début des années 2000. Il aura donc fallu vingt ans pour avoir une meute” , explique celui qui a déjà relevé des indices de passage sur son alpage français. Si la cohabitation se passe plutôt bien avec les bovins, ce berger estime qu’il faut se prémunir pour empêcher le loup de passer à l’action. Un comportement pour l’heure imprévisible. “Il y a plusieurs façons d’agir. On peut avoir des patous capables d’éloigner le loup sans s’en prendre aux promeneurs et chasseurs. Il est très compliqué d’éduquer un tel chien mais il existe des référents même dans le Doubs. La présence du loup impose à mon avis qu’un berger soit sur place. La garde sans l’homme, c’est compliqué. On peut également si le besoin s’en fait sentir, procéder à des tirs sélectifs d’éloignement qui sont très efficaces quand ils sont bien ciblés.” Pour suivre de près ce qui se passe dans d’autres massifs, Gérard Vionnet sait que la confrontation ne mène à rien. “Si la situation se radicalise, il faut qu’on puisse mettre des mesures de protection et éviter d’entrer dans un débat stérile entre pro et anti-loup.” Il met aussi en avant l’importance de l’échange d’informations, notamment avec une application comme Proxyloup qui a déjà fait ses preuves. n “Cela impose qu’un berger soit sur place.”

F.C.

Réaction “Ce n’est pas juste aux éleveurs de s’adapter”

P roducteur de lait à comté ins- tallé à Chaux-Neuve, Pierre- Henri Pagnier, élu à la cham- bre d’agriculture du Doubs et président de l’Association Régionale

tension.” La configuration des alpages ou pré- bois jurassiens, combinaison de forêt et de pâturage complique selon lui la mise en place de mesures de protection

le cercle 2 du plan loup éligible aux mesures de protection, de tirs d’effa- rouchement et de prélèvement si néces- saire. Il faut absolument être en capa- cité de réagir vite si des débordements sont constatés.” Avec le réchauffement climatique et le souci de ressource fourragère, les alpages représentent une solution de pâturage de plus en plus prisée par les éleveurs du Haut-Doubs. “Je suis favorable au dialogue mais sous réserve que chacun soit entendu et que ce ne soit pas juste aux éleveurs de s’adapter.” n

efficaces. Des espaces égale- ment fréquentés par l’homme : bergers, chasseurs, promeneurs, sportifs… Ce qui pourrait soulever des pro- blèmes de cohabitation avec les chiens de protection. “On

de Développement agricole du Massif du Jura ne cache pas ses craintes. “C’est une situation à prendre avec une extrême importance pour les éleveurs notamment ceux tra- vaillent en ovin ou caprin. Le

La configuration des alpages complique la donne.

loup est une source supplémentaire d’inquiétude et de stress. On sait que partout où il y a du loup, il y a de la

a voté une motion à la chambre d’agri- culture pour que les départements du Doubs et du Jura soient inscrits dans

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