Journal C'est à Dire 248 - Novembre 2018
L E P O R T R A I T
Lou Van Keune, un migrant avant l’heure Ce Mortuacien a fui le régime communiste dans son pays, le Laos, il y a plus de quarante ans. À l’heure où la question des migrations fait à nou- veau la une de l’actualité, il se souvient. Morteau
L ou Van Keune est né en 1958. Mais il y a une deuxième date de naissance, plus sym- bolique, dont il se sou- vient comme si c’était hier : le 13 décembre 1976. Ce jour-là, après des mois d’incertitude et d’angoisse, il foule le sol fran- çais pour la première fois de sa vie. “C’est ma deuxième nais- sance” confirme-t-il aujourd’hui. Et le début d’une autre vie. Lou Van Keune a tout juste dix- huit ans quand le royaume du Laos sombre dans le chaos du communisme. Le pays est la vic- time collatérale des débris de la guerre du Vietnam qui avait ravagé le Sud-Est asiatique quelques mois plus tôt. Tous les anciens chefs du pays, les roya- listes, sont partis, menacés de persécution. Son père qui tra- vaillait alors comme civil dans l’entretien des véhicules de l’ar- mée américaine risquait tout autant de tomber sous les repré- sailles sanglantes du nouveau régime communiste. Il n’y avait qu’une solution : fuir son pays
pour tenter de s’écrire un ave- nir ailleurs. C’est à la nage, en traversant le fleuve Mékong que le jeune Lou Van Keune devra s’enfuir pour gagner le pays voisin, la Thaï- lande. “Je ne savais pas nager, raconte-t-il aujourd’hui. J’ai gon- flé plusieurs sacs-poubelles de 100 litres que j’ai placés sous mes bras en traînant un autre
être considéré comme mineur, parce que l’amende pour les mineurs était réduite à 250 bahts” ajoute-t-il. Depuis, Lou Van Keune a conservé cette date de naissance de 1958 dans tous ses papiers officiels. Après la prison, c’est dans un camp de réfugiés qu’il passera plusieurs mois, “le camp de Nong-Khaï qui abritait 40 000
Lou Van Keune est arrivé à
Morteau en 1981 après un parcours pour le moins chaotique.
À quarante ans de distance, son parcours fait évidemment écho aux questions migratoires qui concernant l’Eu- rope actuellement, la France notamment. Comme un messa- ge d’intégration, Lou Van Keu- ne reprend un proverbe de son Laos d’origine : “L’homme ne peut jamais t’épuiser tes forces, il n’y a que le diable qui le peut.” “C’est- à-dire qu’on peut toujours fai- re mieux que ce qu’on fait pour se donner toutes les chances de s’intégrer et d’être accepté dans un pays qui vous accueille.” En cela, Lou Van Keune est un bel exemple d’intégration. n
sac dans lequel j’avais mis quelques vêtements. J’ai traversé le fleuve, de nuit, en compagnie d’un copain. Avec le courant fort et les miliciens pos- tés sur la frontière, nous avons mis près de deux
réfugiés essentiellement venus du Laos.” Par l’in- termédiaire d’un de ses oncles, il parvient à obte- nir des papiers du consu- lat français et c’est donc le 13 décembre 1976 que “ce boat-people sans
dans le Haut-Doubs. À 60 ans, toujours fidèle à la société Plastivaloire (ex-Fabi) où il est désormais chef de file des régleurs, Lou Van Keune a bâti sa vie d’adulte en France, dans ce pays qui l’a accueilli et envers lequel il a une recon- naissance profonde, lui qui “pour faire ses preuves a dû faire enco- re mieux que les autres” dit-il. Si Lou Van Keune se sent Fran- çais depuis “déjà bien longtemps” , c’est seulement l’année derniè- re qu’il obtiendra sa naturali- sation, “le 5 juillet 2017” , une autre date symbolique dans le riche parcours du Laotien d’ori- gine.
reprendre des études, je l’aurais fait, mais il fallait d’abord pen- ser à vivre.” Il multipliera les expériences professionnelles, chez General Motors à Stras- bourg, puis chez Peugeot à Mul- house où il y rencontrera la mère de ses trois enfants aujourd’hui âgés de 38, 35 et 26 ans. La troisième date-clé de sa vie professionnelle, c’est son arri- vée à Morteau en 1981. “Le 6 juillet 1981, je commençais à la Fabi où Michel Dhanger, le directeur du pôle plastique, m’avait embauché. J’y travaille encore aujourd’hui.” Entre-temps, son père et ses frères et sœurs sont revenus rejoindre Keune
Il a été naturalisé Français en 2017 seulement.
bateau” comme il le dit lui-même débarque à Paris, “en plein hiver, de nuit, sous un froid de canard.” De résidences provisoires en foyers Sonacotra, le jeune Lao- tien atterrit à Strasbourg et démarre par des petits boulots dans des restaurants asiatiques de la capitale alsacienne. “Mon premier souci était de gagner de l’argent pour aider ma famille. Si j’avais su que je pouvais
heures à traverser le fleuve.” Arri- vés au milieu de nulle part, trem- pés jusqu’aux os, ils se font cueillir le lendemain par la poli- ce thaïlandaise. Direction la pri- son, où Keune sera jugé et condamné à 500 bahts d’amen- de, la monnaie locale, une peti- te fortune pour le gamin qu’il était. “C’est la raison pour laquel- le j’ai déclaré que j’étais né en 1958 et non pas en 1957, pour
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