Journal C'est à Dire 199 - Mai 2014

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D O S S I E R

Comparatif Des salaires 2,5 fois moins élevés en France À 10 km près, un salaire peut être multiplié par 2,5 ! Selon que l’on travaille en France ou en Suisse, les différences de salaires se sont encore creusées par le simple jeu des monnaies.

D eux études sont tombées récemment, l’une de l’Urssaf en France, l’autre de l’office fédéral de la statistique en Suisse, sur le thème des salaires (voir en pages précédentes). Ne prenons qu’un exemple : le secteur de la construction. Un salarié du B.T.P. en France perçoit en moyenne un salaire brut de 1 970 euros de ce côté-ci de la frontière. Ce même salarié, s’il part travailler chez nos voisins suisses, touchera pour le même emploi un salaire de 5 020 euros mensuels. En Franche-Comté, la conjonc- ture économique s’est encore dégradée. Selon une toute récente étude de l’Urssaf, les

effectifs salariés sont repartis à la baisse au dernier trimestre 2013. Et aucun grand secteur d’activité n’est épargné. Les effectifs salariés dans l’industrie ont reculé de 3 % en un an. Ce sont 2 600 postes qui ont été détruits. “Les baisses les plus marquées sont observées dans la fabrication de machines et équipements, la fabrication de matériels de transport, du bois et papier et de la métal- lurgie” note l’Urssaf. Même constat dans le secteur de la construction dont la dégra- dation se poursuit au quatrième trimestre. Les pertes d’emplois les plus significatives sont relevées dans le domaine de la construction de maisons indi- viduelles (- 2,5 %), un chiffre

Salaires par grands secteurs dans le Doubs Secteur Salaire moyen en euros bruts Industrie 2 587 B.T.P. 1 970 Commerce 1 982 H.C.R. 1 469 Intérim 2 121 Autres services 1 936 Total Doubs 2 133

qui confirme le ralentissement du marché de l’immobilier. À noter également dans le terti- aire une baisse de l’emploi sur le dernier trimestre 2013 de - 0,3 %. Même l’intérim “qui était dynamique le trimestre précé- dent (+ 3,7 %) perd 1,2 % de

salariés” relève l’Urssaf. Le salaire moyen par tête (S.M.P.T.) enregistre par ailleurs dans le Doubs une hausse de 0,1 % ce trimestre, soit une aug- mentation inférieure à celle observée sur les trois derniers mois de 2013 en Franche-Comté (+ 0,5 %).

Votation Non au salaire minimal fédéral En refusant à 76 % l’initiative sur les salaires minimaux, le peuple suisse semble avoir suivi les arguments du patronat, au grand dam du syndicat Unia toujours fidèle à sa politique de lutte contre les injustices salariales. Entretien avec Cathe- rine Laubscher, secrétaire régionale d’Unia Neuchâtel.

C’ est à sire : Êtes-vous surprisepar l’ampleur de ce résultat ? Catherine Laubscher : Bien sûr, on est déçu. Cette proposi- tion a été refusée par l’ensemble des cantons, y compris dans les régions romandes (cantons du Jura, Neuchâtel, Vaud, Genève, Valais, Fribourg). Les gens ont sans doute été marqués par la campagne du patronat qui visait à faire peur. Càd : Les arguments avancés sur les risques de délocali- sation des entreprises ont fait tilt ! C.L. : Toutes les entreprises ne pourraient pas partir. Surtout celles qui sont les plus éloignées de ces 4 000 francs suisses men- suels car la plupart exercent dans le service captif. On est dans logère était farouchement oppo- sée à l’idée d’un salaire mini- mal national. “Cela représen- terait un montant considé- rable. Avec cette initiative, la gauche veut protéger les plus faibles contre les milieux éco- nomiques mais cela n’a aucun sens. Cette mesure a un effet nivelant”, estime François Matile, le secrétaire général de la convention patronale de l’industrie horlogère suisse. Pour cette association faîtiè- re qui regroupe 410 entre- prises, soit 50 000 travailleurs, il semble inconcevable de mettre sur un même plan l’industrie, les commerces, la restauration… “On se bat sur des réalités économiques différentes qui prennent en compte les spécificités de chaque région et de chaque métier. C’est pourquoi on dit non au S.M.I.C., non à cause C omme dans la plupart des autres branches d’activité, l’industrie hor-

le registre du commerce de prox- imité, du service à la personne qui offrent des prestations ou des produits à consommer sur place. On peut difficilement penser qu’ils soient délocalis- ables. Ces arguments ne tien- nent pas la route. Càd : On aurait pu penser que les cantons romands soient plus favorables ? C.L. : Tout à fait, surtout quand on sait que le canton de Neuchâ- tel s’était prononcé en faveur du salaire minimal cantonal il y a trois ans et demi. Depuis, on a travaillé d’arrache-pied avec les partis, le gouvernement et les employeurs pour mettre en place une loi d’application. Ce salaire cantonal est calculé sur une base de 20 francs bruts de l’heure, soit 3 650 francs mensuels en brut. L’industrie horlogère a défini des salaires minimaux d’embauche dans chaque région suisse. Il reste à fina- liser le dispositif sur le can- ton de Neuchâtel où l’on res- pecte déjà le principe d’un salaire minimal depuis de nom- breuses années. “On est par- ti de 3 610 francs en sachant que cette base sera revalorisée par deux fois de 45 francs en juin 2014 et 2015.” Les salaires minimaux d’embauche sont indexés sur le coût de la vie et reflètent l’historique des négo- ciations entre les partenaires sociaux. “Cela nous semble infi- niment meilleur que le prin- cipe d’un salaire généralisé, dicté par l’État. En nous impo- sant une telle mesure, il n’y aurait plus aucune raison de procéder à des augmentations librement consenties.” de ce caractère nivelant qui ignore le partenariat social établi au niveau de chaque branche.”

La loi est prête à être traitée dans les semaines à venir. Càd : Quand entrera-t-elle en vigueur ? C.L. : Au plus tôt au 1er janvier 2015. Càd : Quand il existe déjà un salaire minimal défini au niveau des conventions col- lectives, auquel faut-il se référer ? C.L. : C’est le dispositif can- tonal qui fait autorité. Càd : Comment sont définis ces salaires minimaux ? C.L. : L’un et l’autre correspon- dent tout simplement aux deux tiers du salaire médian suisse et neuchâtelois. On parle en brut. Ces niveaux de salaires ne sont pas invraisemblables quand on les rapporte au coût de la vie en Suisse. Càd : On vit donc modeste- ment avec 4 000 francs suiss- es bruts par mois ? C.L. : En Suisse, le salaire net ne comprend pas les cotisations d’assurance-maladie qui s’élèvent en moyenne à 300 francs par per- sonne. L’alimentation et les loy- fessionnels. Vous prenez une famille avec trois enfants, même avec 4 000 francs, elle aura du mal à joindre les deux bouts. Càd : L’horlogerie qui emploie beaucoup de travailleurs frontaliers devra-t-elle faire des efforts pour s’aligner sur le salaire minimal neuchâtelois ? C.L. : Non car la plupart des entreprises horlogères de l’Arc jurassien appliquent déjà la con- ers sont beaucoup plus chers en Suisse. Chez nous, un travailleur tit- ulaire d’un C.F.C. n’aura jamais les moyens de s’offrir une maison avec ses seuls revenus pro-

“Les gens ont sans doute été marqués par la campagne du patronat qui visait à faire peur”, suppose Catherine Laubscher, la secrétaire du syndicat Unia.

vention collective. Laquelle n’est pas obligatoire. Il n’y aura donc pas de grands bouleversements dans l’horlogerie. Càd : Quel est l’intérêt de fix- er un salaire minimal ? C.L. : Cela contraint les entreprises à embaucher au moins à ce niveau-là. C’est aus- si un garde-fou contre la sous- enchère salariale. Càd : Comment songez-vous à relancer le combat après l’échec de l’initiative du 18 mai ? dire, aux entreprises qui pro- posent toujours des salaires inférieurs à 4 000 francs sur 12 mois ou 3 300 francs sur 13 mois. Il faut faire en sorte que ces 4 000 francs bruts devien- nent un minimum absolu. Inversement, on doit aussi val- oriser le travail accompli par les enseignes comme Aldi ou Lidl qui ont annoncé qu’elles feraient un pas vers les 4 000 francs. Propos recueillis par F.C. C.L. : On va continuer sur les voies cantonales. On développe la poli- tique du “shameling” qui consiste à “mettre la honte”, si l’on peut

Résultat canton par canton sur l’initiative populaire “Pour la protection des salaires équitables” soumise à votation le 18 mai Canton Oui Non Appenzell ext. 18,56 % 81,44 % Appenzell int. 12,10 % 87,90 % Argovie 19,25 % 80,75 % Bâle-camp. 23,74 % 76,26 % Bâle-ville 37,68 % 62,32 % Berne 23,81 % 76,19 % Fribourg 24,92 % 75,08 % Genève 33,94 % 66,06 % Glaris 17,72 % 82,28 % Grisons 18,20 % 81,80 % Jura 35,86 % 64,14 % Lucerne 18,24 % 81,76 % Neuchâtel 31,89 % 68,11 % Nidwald 12,82 % 87,18 % Obwald 13,94 % 86,06 % Saint-Gall 18,34 % 81,66 % Schaffhouse 25,52 % 74,48 % Schwyz 13,62 % 86,38 % Soleure 22,25 % 77,75 % Tessin 31,99 % 68,01 % Thurgovie 17,77 % 82,23 % Uri 17,58 % 82,42 % Valais 18,05 % 81,95 % Vaud 28,31 % 71,69 % Zoug 15,84 % 84,16 % Zurich 25,44 % 74,56 %

L’horlogerie dit non au S.M.I.C. en Suisse

“Un garde-fou contre la sous-enchère salariale.”

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