Journal C'est à Dire 199 - Mai 2014
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D O S S I E R
Dépenses Vivre en Suisse : quel luxe !
Le coup du S.M.I.C. à 3 270 euros a fait le buzz médiatique mais reflète une réalité suisse par- ticulièrement onéreuse au quotidien. Ne pas confondre salaire et coût de la vie.
la durée de travail hebdomadaire n’est pas tout à fait la même chez nos voisins qui travaillent en moyenne 42 heures par semaine. Mieux vaut donc com- parer le salaire minimal horaire des deux pays. Il s’établit à 9,53 euros en France contre 22 francs suisses, soit 18,04 euros. Le salaire minimal horaire suisse représente alors 1,88 S.M.I.C. horaire français. Autre bémol à prendre en compte en sachant que la plu- part des travailleurs suisses reçoivent un salaire annuel réparti sur 13 mois. Ce qui aboutit à un S.M.I.C. à
V u de France ou d’un autre pays d’Europe, la volonté des syndicats suisses d’imposer un S.M.I.C. à 4 000 francs bruts pou- vait sembler démesurée, exagérée. Avec un taux de change à 0,82, ce salaire minimum fédéral représente environ 3 270 euros. Soit 2,26 S.M.I.C. bruts de chez nous, sachant qu’au 1er janvier
2014, sa valeur était de 1 445,38 euros. La comparaison s’arrête là au vu du coût de la vie helvétique. Le cliché du travailleur en grosse berline avec luxueuse habita- tion est possible seulement sous statut frontalier. Pas question d’aller vivre en Suisse, quelle que soit la longueur des bou- chons. Rappelons d’abord que
3 692 francs suisses, soit 3 027 euros par mois. En quoi la vie est-elle si onéreuse en Suisse ? Un signe qui ne trompe pas : chaque week-end, les Suisses envahissent les zones commerciales de l’autre côté de la frontière. N’y voyez aucune
Coop et Migros restent tout de même 36 % plus chers que les distributeurs français les moins chers, à savoir Casino et Leclerc (www.barometredesprix.ch). Autre différence notable entre les deux pays : le coût de l’hébergement. Quand un
Ils devront débourser plus chers pour une qualité de santé équiv- alente. Aucun doute là-dessus. En France, une partie du salaire sert au financement de la Sécu- rité sociale. Grâce à ces prélève- ments, l’usager bénéficie d’une large couverture sociale. En Suisse, ces prélèvements soci- aux sont plus limités. Ils corre- spondent à 10 % du salaire brut et couvrent l’assurance-vieillesse et l’assurance-chômage. Con- séquence, les Suisses doivent régler en sus l’assurance-mal- adie de base et les complémen- taires pour étendre la couver- ture des soins médicaux. Pour une personne seule, comptez au moins 250 francs d’assurance de base et autant en complémen- taire. “Avec 4 000 francs suiss- es, c’est difficile de mettre de côté même si en principe, on s’en sort” , justifie un partisan du S.M.I.C. fédéral.
stratégie de coopération mais simplement la volonté d’alléger la fac- ture du poste alimenta- tion. Selon l’Office Fédéral de la Statistique, un panier à 89 euros en France en vaut 126 euros en Suisse. Les
Français dépense 91 euros par mois dans son logement (loyer, chauffage, eau…), un Suisse débourse 169 euros. Les prix vari- ent bien sûr selon qu’il s’agisse d’un logement en ville ou à la cam-
“Avec 4 000 francs suisses, difficile de mettre de côté.”
prix de certaines denrées vari- ent du simple au double comme pour la viande de veau ou de bœuf. En 2013, avec le renchérissement de l’euro par rapport au franc suisse, les dif- férences s’atténuent très légère- ment. Le site comparatif suisse “baromètre des prix” note que
pagne. Ces écarts ont aussi ten- dance à se niveler sur la bande frontalière où le foncier s’envole depuis plusieurs années. Le prix des transports et des loisirs est toujours à l’avantage des Français. Les Suisses font égale- ment le bonheur des orthodon- tistes et des opticiens français.
Quand un Français dépense 91 euros par mois dans son logement, un Suisse débourse 169 euros.
Villers-le-Lac La réponse sociale d’Isa France Tenter de rivaliser avec la Suisse sur la question des salaires est un combat perdu d’avance. Pour conserver sa main-d’œuvre, l’entreprise horlogère de Villers-le-Lac a fait preuve d’imagination en développant le volet social.
S ituée à Villers-le-Lac, à deux pas de la fron- tière Suisse, l’entreprise horlogère Isa France n’a pas été épargnée par la fuite de sa main-d’œuvre. Tout a changé “le jour où nous avons cessé de nous lamenter, lorsque nous avons compris qu’il fallait trou- ver autre chose que de tenter de rivaliser avec la Suisse sur la E n plus des salaires déjà élevés chez nos voisins, les primes et autres boni prennent une importance croissante dans les entreprises helvé- tiques. En 2012, plus dʼun salarié sur trois dans le sec- teur privé a touché des primes. La part des salariés touchant cette forme de rémunération flexible est passée de 25,5 % en 2002 à 36,1 % en 2012. Durant cette même période, la valeur monétaire moyenne
ils ont été mis en place afin de valoriser l’ensemble des salariés et créer ainsi un lien entre eux
question des salaires, ce qui est illusoire. On ne peut pas reprocher à ce pays ce que nous
et l’entreprise pour laquelle ils travaillent. Et cela fonctionne. Isa France a réalisé une enquête auprès de ses collaborateurs pour
ne parvenons pas à faire en France. Il fal- lait trouver d’autres armes” note la direc- tion de la société. La solution a été de
“La qualité de vie dans l’entreprise.”
développer le volet social. Depuis une dizaine d’années, divers out-
évaluer justement l’impact de sa politique sociale. “Il y a trois grandes tendances qui revien- nent dans cette étude. La pre- mière, qui est mise en avant, est la qualité de vie dans l’entreprise, la proximité avec la hiérarchie, l’équilibre avec la vie personnelle. La seconde est la reconnaissance et la troisième, la formation” résume la direc- tion. En quelques années, le taux de départ est passé de 10 voire 12 % à 3 voire 5 %. “Cela ne veut pas dire que nous sommes à l’abri de problèmes. Nous ne devons pas nous endormir.” En 2013, Isa France a reçu le prix de l’innovation sociale décerné par l’État et la Région qui vient couronner sa politique salariale dont un des points forts est la forma- tion. Elle a transformé en facteurs constructifs ce que beaucoup de patrons considèrent comme des contraintes typiquement françaises. Par exemple sur le
Le système des primes est en hausse côté suisse
de ces boni était de 8 337 francs suisses pour sʼélever à 11 143 francs en 2012. Le montant des boni varie considérablement selon les branches économiques : il atteint par exemple 3 731 francs en moyennes dans le commerce de détail, 7 333 francs dans lʼindustrie du cuir, contre 26 018 francs dans les banques et 29 355 francs dans les acti- vités des sièges sociaux et conseils de gestion selon lʼoffice de la statistique.
Isa France, qui emploie une centaine de personnes, a l’image d’une entreprise sociale.
thème de la pénibilité, Isa France a mis en place une formation ergonomie dans laquelle chacun est acteur de la démarche. En 2012, alors que l’entreprise horlogère faisait face à des dif- ficultés économiques qui auraient dû l’amener à licenci- er, elle a mis en place un vaste plan de formation pour tous ses
salariés. “Chaque collaborateur a eu reçu d’une à plus de quar- ante journées de formation. Les gens sont revenus plus qualifiés. 23 d’entre eux ont été diplômés. A l’extrême, nous avons fait du prêt de personnel à une société du Val de Morteau, ce qui nous a permis de faire une économie provisoire de six salaires. Grâce
à ces mesures, les gens ont gardé la confiance en leur entreprise et ils sont revenus plus forts.” Aujourd’hui, Isa France a réin- tégré son personnel. La société de Villers-le-Lac emploie une centaine de personnes. Elle sait comment réagir pour préserv- er ses compétences quand la conjoncture se durcit.
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