Journal C'est à Dire 197 - Avril 2014

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Besançon “La France est le pays qui a le plus réfléchi sur la bioéthique” Spécialiste du droit de la bioéthique en France, le professeur bisontin de droit pri- vé Jean-René Binet fait office de référence. Euthanasie, procréation médicalement assistée, il répond à des questions juridiques qui animent l’actualité. Entretien.

D ans l’amphithéâtre de la faculté de droit de la Bouloie, sa première apparition devant les élèves inscrits en première année de droit civil a fait son effet. C’est vêtu de sa toge rouge de professeur que Jean-René Binet a entamé l’année. Depuis, il ne l’a plus quit- tée. “Je crois que c’est assez bien accepté” s’amuse-t-il. Une anec- dote, certes, qui tend à prou- ver qu’en matière de justice, plus qu’ailleurs, on respecte les codes. Jean-René Binet (42 ans) ne pré- tendra pas le contraire. Spé- cialiste de la bioéthique, directeur du Centre de recherches juridiques de l’Université de Franche-Comté, membre hono- raire de l’Institut universitaire de France (2006-2011), son tra- Identité Jean René Binet, 42 ans Professeur de droit privé, direc- teur du Centre de recherches juridiques de lʼUniversité de Franche-Comté. Son dernier ouvrage : “Droit des personnes et de la famille”.

vail le confronte souvent au temps médiatique. Exemple de taille : le cas Vincent Lambert, où il est question d’arrêt de traitement en fin de vie. “Il est clair que la question de la bioéthique est très souvent au cœur de l’actualité, admet le pro- fesseur arrivé le 1 er septembre 2003 en poste à Besançon. À une question, il faut trouver une solu- tion. Dans le cas de la fin de vie, ter contre la mort qui vient. Le Conseil d’État a mandaté un col- lège d’experts pour éclairer sa décision. Vu la gravité de la déci- sion, ce n’est pas choquant que la justice prenne son temps” dit- il. La bioéthique, parfois définie comme la morale de la science, s’est forgée après le question- nement de médecins dans les années soixante. Les progrès de la médecine, éventuels, comme le clonage, ou actuels comme la congélation des embryons pour faire naître un bébé plus tard, il faut savoir ce que la loi prévoit. La loi Léonetti prévoit une possibilité d’interruption des traite- ments inutiles quand il n’est plus possible de lut-

doivent-ils nécessairement faire craindre une dérive que les juristes ne sauraient anticiper ? Jean-René Binet n’y croit pas : “La science va certainement moins vite que ce que l’on pré- tend parfois. Il ne faut jamais exagérer les résultats… ce qui ne conduit pas à minimiser le mérite des chercheurs. Mais quel que soit le rythme du progrès, le droit n’est pas en retard : il se Généraux de la bioéthique en 2009. Il a également été enten- du sur la question de la révision de la loi par les membres de l’Assemblée nationale et du Sénat. Son objectif : répondre à des questions pragmatiques du style “la médecine doit-elle à tout prix assouvir le désir d’enfant, ou jusqu’où chercher à savoir si l’on risque certaines maladies ?” En la matière comme en d’autres, la loi crée parfois le désordre. Ainsi, la loi Taubira sur le mariage pour tous permet situe sur un autre plan. Ce n’est parce qu’une tech- nique est possible qu’elle est socialement souhaitable” dit celui qui a participé aux États

Jean-René Binet est directeur du Centre de recherches juridiques de l’Université de Franche-Comté, spécialisé dans la bioéthique.

“La fraude corrompt tout.”

l’adoption de l’enfant du conjoint dans les couples de même sexe. Toutefois, la procréation médi- calement assistée (P.M.A.) est interdite en France à ces cou- ples. Le gouvernement prévoy- ait de l’autoriser mais, “sur cette question, il a reculé. Cela a créé un désordre, admet le juriste. C’est devenu un problème de responsabilité politique plutôt qu’un problème juridique, car ces couples pensent pouvoir faire prononcer l’adoption d’enfants nés de P.M.A. réalisée à l’étranger, en Espagne ou en Belgique.” Or, dans trois cas récents, le pro- cureur a estimé que l’adoption par la seconde femme ne pou-

vait être prononcée car la sit- uation est fondée sur une fraude à la loi. “Dans ce cas, le procureur applique le principe fraus omnia corrumpit, (la fraude corrompt tout). Ce n’est pas un vide juridique, car il y a une solution. Peut-être ne convient-elle pas à tous, mais seul le législateur peut y remédier.” Selon Jean-René Binet, on ne peut pas dire que la France est en retard par rapport à ses voisins car il n’y a pas de com- pétition en la matière où seule compte la certitude du bien-fondé des solutions adoptées, ce qui suppose une réflexion appro- fondie et ouverte sur la com-

plexité des questions : “Nous sommes le pays qui a le plus réfléchi pour élaborer sa légis- lation en matière de bioéthique. Les autres pays ont adopté par- fois d’autres solutions. En Suisse, comme en Allemagne ou en Ital- ie, la congélation des embryons est interdite. En Inde, les mères porteuses sont autorisées et l’on y découvre des établissements qui s’apparentent à de véritables usines à bébés ? Sommes-nous en retard par rapport à l’Inde ? Je ne crois pas” conclut-il. En France, la bioéthique a ses garde- fous… E.Ch.

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