Journal C'est à Dire 179 - Septembre 2012

L E P O R T R A I T

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Fournets-Luisans

Émile Péquignet, histoire d’un autodidacte Après avoir fait le tour de la planète lorsqu’il était en activité, Émile Péquignet respire la sérénité au “bout du monde”. Il égrène le temps dans sa ferme du Pré-Oudot tout en gardant un œil sur la société.

S es amis disent de lui qu’il a dans son caractère un petit côté hédo- niste. Tiens donc, Émile Péqui- gnet serait attaché aux plaisirs simples de la vie ? Cette image ne vien- drait pas immédiatement à l’esprit pour décrire un homme qui a fondé sa propre entreprise d’horlogerie àMorteau. Reti- ré des affaires depuis 2004, il pourrait cultiver une forme d’arrogance, per- ceptible parfois chez d’anciens patrons, partis de rien, qui ont réussi à mener leur barque contre vents et marées, pendant trente ans dans son cas. Émile est tout le contrai- re et ce n’est pas de la faussemodes- tie. Il laisse aux autres le culte de la personnalité. Si vous poussez la porte de sa ferme au Pré-Oudot transformée en char- mante maison d’hôtes où rien n’indique que l’on arrive chez un créateur de montres, ne soyez pas surpris de le découvrir en train d’apprendre à jouer du piano à quatre mains avec un ami de passage. À 70 ans, ce gaillard aler- te à la poigne ferme, qui pourrait n’avoir plus rien à prouver est d’une curiosi- té heureuse. “Il a toujours une idée en tête” confie Laurence, son épouse. Son envie d’apprendre ne l’a jamais quittée depuis l’enfance. Autodidacte

décomplexé et assumé, il a le goût de s’enrichir du savoir des autres. “À mon sens, il faut être conscient que l’autre est toujours capable de vous apporter quelque chose. Même si on a un don, il faut regarder ceux qui ont le savoir-fai- re car ils vous aideront à le dévelop- per” conseille Émile Péquignet. Ce fils de paysan des Alliés s’est construit à partir de cette conception de la vie. Il n’aurait sans doute jamais

Émile Péquignet s’est inspiré du savoir-faire des autres pour progresser.

à gagner de la hauteur. Il faut y ajou- ter la volonté, le travail, un tempéra- ment et un poil de chance pour trou- ver la voix de la réussite. “L’argent ne fait pas tout” rappelle Émile Péqui- gnet, tordant le cou à ce précepte qui a fini par s’imposer à notre société. Il sait de quoi il parle, lui qui a créé sans un sou son entreprise horlogère dans les années soixante-dix alors que la crise commençait à sévir dans le sec- teur. À l’époque, ceux qui ricanaient dans son dos ne donnaient pas cher de la peau de ce “prétentieux.” Guidé par l’intuition qu’il y avait une place à prendre sur le marché de la montre moyen-haut de gamme, il est allé au bout de son projet. Bousculant les codes, c’est avec la même intuition, marke- ting cette fois, qu’il a associé sa marque éponyme au milieu hippique, un sport chic et féminin. “Tout ce que j’ai fait dans l’entreprise, je l’ai fait avec mon

ressenti de l’époque. J’ai fait des erreurs. Je ne sais pas si ferais mieux aujour- d’hui. Ce qui est sûr, c’est que je ne regrette rien.” L’homme est attristé de voir la situation dans laquelle se trouve la société qu’il a créée, mais il n’est pas amer. Depuis 2004, date à laquelle il l’a cédée, il avoue avoir “tour- né la page.” S’il n’y avait qu’une leçon à retenir de l’expérience d’Émile Péquignet, ce serait celle d’oser se jeter à l’eau. C’est ce message-là qu’il fait passer en fili- grane de son livre “Un destin montres en mains” dans lequel il se raconte. Mais l’envie d’entreprendre chemine péniblement dans un pays où l’on appré- cie assez peu ceux qui réussissent, et où on se complaît dans une espèce de situation molle et morose. “J’aimerais que les gens se rendent compte que beau- coup de choses sont possibles. Évi- demment il y a la crise, mais il y en a

eu d’autres ! Quel que soit le contexte, si on a l’envie de faire, il faut y aller en ayant toujours à l’esprit la notion de qualité. Quand je regarde les résultats du bac, je me dis qu’il y a encore un vrai potentiel de réussite chez les jeunes dans ce pays” observe-t-il. Les mains derrière la tête, le corps relâ- ché dans un rocking-chair, Émile Péqui- gnet dégage une forme de sagesse, goû- tant le temps qui passe. Le privilège de l’âge sans doute. Après avoir fait le tour de la planète pour les besoins de son métier, il a trouvé son équilibre dans sa ferme “au bout du monde” où il respire la sérénité en compagnie de ses chevaux, de la musique et de ses hôtes. Aurait-il pu faire autre chose ? “Oui, j’aurais voulu être architecte” confie-t-il d’un ton songeur. Il n’est jamais trop tard pour apprendre.

fait de musique s’il avait atten- du qu’on l’invite à prendre des cours. “J’ai appris l’accordéon sur le tas, avec un copain” dit-il séduit encore par la forme de l’instrument autant que par son

“J’ai fait des erreurs.”

odeur. “Je ne regrette qu’une chose en effet, c’est de ne pas avoir pu apprendre avec un professeur. Je me suis com- pliqué la vie en travaillant seul. J’ai gardé les défauts longtemps” reconnaît le musicien. Ajoutons encore que sa passion dévorante pour le cheval n’aurait peut-être pas pris autant d’ampleur “si je n’avais pas eu la chan- ce de travailler avec de grands cava- liers qui m’ont permis d’évoluer.” Deve- nu éleveur au Pré-Oudot, il rêve secrè- tement de voir un jour un de ses che- vaux participer aux Jeux Olympiques. Mais l’envie d’apprendre ne suffit pas

T.C.

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