Journal C'est à Dire 177 - Juin 2012

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S O C I É T É

Monseigneur Lacrampe “Il faut éviter le choc des ignorances” L’archevêque de Besançon saisit l’occasion de la béatification prochaine du père Lataste à Besançon pour faire le point sur la position de l’Église sur les problématiques actuelles de la société.

C’ est à dire : Vous avez récemment alerté votre confrère l’évêque d’Autun des agissements d’un abbé de son diocèse qui inter- vient “sans autorisation” dans le secteur deMaîche. Qu’est-ce qui a justifié votre réaction ? Monseigneur André Lacram- pe : J’ai juste voulu éveiller les consciences qu’un prêtre,

d’Autun pour qu’il le rappelle chez lui. C’est un électron libre qui voue semble-t-il un culte excessif à Marie. Son initiati- ve n’a pas ma bénédiction, je l’ai signifié à l’évêque d’Autun pour que tout rentre dans l’ordre. Càd : La béatification du père Lataste (voir ci-contre) devrait réunir des milliers de personnes à Micropolis le

Monseigneur André Lacrampe est en poste dans le

3 juin. Un vrai évé- nement pour vous ? M gr A.L. : C’est un vrai événement spirituel qui nous permet de découvrir l’itinéraire humain et spirituel de

Jean-Noël Zorzi, intervient dans notre diocèse sans aucune mission ni autorisa- tion. Cela a entraî- né quelques troubles chez des fidèles du

“Nous devons être des professionnels de l’espérance.”

diocèse de Besançon depuis 2003.

semblement singulier que cet- te béatification qui a une por- tée internationale, universelle. Cela contribue à faire vivre l’Église qui se porte plutôt bien ici. Le jour de la Pentecôte, 50 adultes seront confirmés. Mi- avril, 800 personnes des mou- vements et associations de laïcs étaient réunies à Vercel. La gran- de question actuelle, c’est quel- le posture de chrétien avoir dans notre société laïque marquée par différentes quêtes de sens l’Église est loin d’être absente du monde des jeunes. Chaque année, 450 jeunes font leur confirmation, un chiffre qui n’est pas en baisse. Les baptêmes eux aussi se portent bien : il y en a eu par exemple 310 pour le seul jour de Pâques, dont 14 adultes et 38 enfants en âge scolaire, le reste étant des bébés. C’est aus- si à nous, communauté chré- tienne de faire place aux jeunes. De ce point de vue-là, les espaces de parole ne manquent pas : J.O.C., mission étudiante, scouts (il y en a plus de 1 000 en Franche-Comté), M.R.J.C. pour le milieu agricole, groupes d’aumônerie, etc. Càd : Qu’en est-il de la voca- tion des prêtres dans le dio- cèse ? M gr A.L. : Il y a aujourd’hui 8 jeunes en formation en vue d’être prêtres. Donc ce n’est pas le désert. C’est sans doute insuf- fisant, mais depuis 2000 ans c’est insuffisant…Dans ce mon- de de conflits, les messages d’amour, de fraternité, de cor- dialité et d’espérance sont plus que jamais essentiels. Nous nous devons d’être des professionnels de l’espérance dans les lieux où la désespérance s’infiltre. religieuses. Notre res- ponsabilité à nous, c’est d’aider le chrétien à réfléchir sur sa postu- re dans cette société pluriculturelle. Je remarque aussi que

me siècle au milieu de cette pri- son de Cadillac où 400 femmes sont enfermées pour infantici- de, vol ou prostitution, et il invi- te à ce que justice se fasse mais

en même temps il leur dit que Dieu les regarde toujours avec amour car toute personne est appelée à être réhabilitée et qu’elle peut connaître un nou- veau départ. De là, il adresse ce message à la société civile. Cet apôtre des prisons arrivera fina- lement à convaincre largement que la réhabilitation peut exis- ter. Càd : Un message toujours d’actualité ? M gr A.L. : Plus que jamais. Il n’y a jamais eu autant de personnes en prison qu’aujourd’hui. Je leur rends d’ailleurs visite chaque année à la maison d’arrêt de Besançon, de Lure et de Vesoul. Le message du père Lataste peut pousser ces personnes à faire la vérité sur leur vie et sur leur iti- néraire. Ce message autour de la réhabilitation garde tout son sens aujourd’hui. Ce message doit nous tourner aussi vers les personnes atteintes psycholo- giquement. La prison n’est pas qu’un lieu, il y a des gens qui sont prisonniers d’eux-mêmes et cela doit nous pousser à être tout aussi attentifs à ces per- sonnes fragiles affectivement pour leur permettre de se mettre debout. Voilà aussi le message du père Lataste. Dans la socié- té actuelle, il n’y a pas que l’économie. La société doit être attentive avant tout à la place de l’homme. Le message du père Lataste déborde la conscience chrétienne, elle touche la conscience humaine. Des gens qui sont agnostiques m’ont dit que cet itinéraire les question- ne. Je dis à tout le monde de découvrir cet itinéraire. Viens, vois et va ! Càd : Comment va l’Église d’aujourd’hui dans le diocè- se de Besançon ? M gr A.L. : Depuis 2000 ans, l’Église vit de rassemblement en rassemblement, tous les dimanches. Là, c’est un ras-

Jean-Joseph Lataste. Cet évé- nement est l’occasion de décou- vrir cette figure qui a décrit la société que dépeignait Victor Hugo. Il plonge au cœur du XIX è-

pays maîchois. Toutes les liber- tés sont sauvegardées mais ce prêtre intervient sans aucun mandat et ne fait pas œuvre d’unité. Je l’ai indiqué à l’évêque

Càd : Un archevêque comme vous peut-il faire de la poli- tique ? M gr A.L. : Il y a toujours des mes- sages à faire passer y compris aux hommes politiques dans le souci du bien commun et sur la place de la personne humai- ne. J’estime aussi que dans tous les projets politiques qui se confrontent en ce moment il peut y avoir une part de vérité qu’il faut savoir entendre, connaître

et comprendre. À l’occasion de la pré- sidentielle, on avait appelé à la vigilan- ce des candidats sur une douzaine de points (le nucléaire,

“On rappelle nos principes, on ne les impose pas.”

la biologie, la bioéthique…) qui nous paraissent importants. On rappelle nos principes, on ne les impose pas. On continuera aus- si à rappeler notre conception de l’homme dans la société avec ce souci de ne pas s’enfermer dans notre pays mais de penser Europe et de penser monde. Càd : Le dialogue interreli- gions porte-t-il ses fruits à votre avis ? M gr A.L. : Depuis le concile Vati- can II, ce dialogue existe, dans l’idée de bâtir avec l’autre une terre fraternelle. Nous ne sommes pas naïfs pour autant. Mais l’objectif de ce dialogue qui s’établit aussi dans le diocèse, c’est bien la connaissance de l’autre. Dans ce domaine, on n’a pas à susciter des peurs, mais à réveiller les consciences. Peut- être que je fais un rêve, mais je crois que les efforts que nous entreprenons en ce sens en Fran- ce peuvent avoir un impact dans d’autres régions du monde. Il faut bien sûr éviter un choc des civilisations mais également un choc des ignorances. C’est pour- quoi le travail sur la culture reli- gieuse devrait toucher tout le monde. Propos recueillis par J.-F.H.

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