Journal C'est à Dire 176 - Avril 2012

D O S S I E R

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ALGÉRIE : DES HAUT-DOUBISTES DANS LA GUERRE

Anciens combattants Ils entretiennent le

devoir de mémoire

1 er novembre 1954-19 mars 1962 : la guerre d’Algérie aura duré près de huit ans. Durant cette période, tout une génération de Français, soit 1,340 million au total, aura été envoyée sur ces terres africaines colonisées par la France un siècle plus tôt. Dans le département du Doubs, il en reste environ 10 000 de ces anciens d’Algérie, âgés pour les plus jeunes de 72 ans, de plus de 80 ans pour les plus anciens. Tous ne sont pas revenus vivants d’Algérie, d’autres ont été mutilés et tous, marqués à jamais par ce qu’ils ont vécu là-bas. D’où le mutis- me de certains qui n’ont jamais raconté, même à leurs proches, leur expérience de soldat en guer- re. Bernard Clavel le disait : “La guerre ne tue pas que ceux qui reçoivent une balle. Elle détruit aussi les hommes à l’intérieur. Des choses qui vous brûlent, vous taraudent le cerveau, jour et nuit, Ils ne sont pas si nombreux à porter la voix de tous ces combattants silencieux pris dans le tourment de la guerre à 20 ans. Les asso- ciations poursuivent aujour- d’hui un autre combat, la lutte contre l’oubli.

Plus d’1,3 million de jeunes soldats français ont été appelés à combattre pour “maintenir l’ordre” en Algérie entre 1954 et 1962. Parmi eux, des cen- taines de jeunes gens originaires du Haut-Doubs qui ont servi la France dans un conflit qui les dépassait et dont ils n’avaient, pour la plupart d’entre eux, pas saisi les enjeux. Dans le Doubs, ils sont encore aux environs de 10 000 ces anciens combattants marqués à jamais par ce conflit sans nom que le Parlement français n’a reconnu comme guerre qu’en 1999 ! Nous sommes allés à la rencontre de ces anciens soldats aujourd’hui septuagé- naires. Tous ont accepté de se plier à un exercice que certains n’avaient jamais fait ou si rarement : raconter leur guerre. Les accords d’Évian ont été signés en mars 1962 et l’indépendance de l’Algérie obtenue en juillet de la même année. Cinquante ans après la fin de la guerre, entre ces deux dates, le journal C’est à dire a souhaité faire œuvre de mémoire. Pour un conflit toujours entouré d’interrogations à ce jour, et surtout pour ceux qui y ont participé juste pour “servir leur pays”.

re les a tous dépassés. Cinquante ans après, Christian Nottet le président de la F.N.A.C.A. pour le Doubs ne dit pas autre cho- se : “L’Algérie, c’était la France à l’époque. On s’est battu entre nous, c’était une guerre inter- ne, il faut bien dire la vérité. La guerre d’Algérie reste aussi un tabou tout simplement par- ce qu’elle s’est mal terminée” esti- me celui qui aura passé 15 mois de l’autre côté de la Méditer- ranée. Président départemen- tal de l’U.N.C., Gérard Mangin ne dit pas autre chose : “ Nous sommes favorables au 5 décembre, la date qui a été officiellement retenue. Ceci dit, le 11 novembre va être institué comme un jour de mémoire pour tous les conflits, c’est une bonne chose, mais cela n’enlèvera rien aux autres dates existantes qui sont à chaque fois une occasion de rappeler les guerres et leurs conséquences à l’esprit de tous.” Les soldats d’Algérie sont consi- dérés comme des anciens com- battants et à ce titre ont droit à une pension versée par l’État, équivalente pour ceux qui n’ont pas en plus été mutilés, à envi- ron 580 euros par an. Le prix de la réparation. Peu d’autres recon- naissances, sinon à Besançon par exemple quelques entrées gratuites au musée avec la car- te d’ancien combattant, et des décorations (parfois la légion d’honneur) pour certains. Le devoir de mémoire, ils le manifestent en participant aux différents congrès de leurs asso- ciations respectives et aux com- mémorations officielles. Au-delà de ces rassemblements publics, les anciens d’Algérie sont des citoyens comme les autres. Et ces autres-là ont peut-être trop vite oublié que cette génération de septuagénaires a connu la guerre. Perpétuer la mémoire d’un conflit, c’est certainement aussi une façon d’éviter autant que possible que l’Histoire se répète. J.-F.H.

des choses qu’on ne peut pas por- ter.” Cinquante ans après la fin de ce conflit dont toutes les ambi- guïtés n’ont pas été levées ici en France, c’est l’heure des com- mémorations. Et même sur ce point, l’unanimité n’est pas de mise (voir ci-dessous). Chacun pourtant porte à sa manière le souvenir de cette guerre. Et les associations d’anciens combat- tants, qu’elles soient “généra- listes” comme l’U.N.C. (180 000 adhérents en France pour le conflit algérien) ou spécialement dédiées à ce conflit comme la F.N.A.C.A. (360 000 adhérents), entretiennent le devoir de mémoire. Même si cette guer-

Anciens d’Algérie, deux visions du souvenir Dans le Doubs, deux associations principales défendent le souvenir des anciens dʼAlgérie. La F.N.A.C.A. (Fédération natio- nale des anciens combattants en Algérie, Maroc et Tunisie). Cet- te fédération créée en 1958 sʼest donnée pour objectif de défendre les droits matériels et moraux de tous ceux ayant pris part à la guerre dʼAlgérie et aux combats du Maroc et de Tunisie (1952- 1962) et dʼagir en faveur de la Paix en commémorant la date du 19 mars 1962, le cessez-le-feu ayant mis fin officiellement à la guerre dʼAlgérie. Lʼautre association est lʼU.N.C. (union nationale des combat- tants), poursuit sensiblement les mêmes objectifs (rassembler les hommes et les femmes qui ont porté lʼuniforme pour la défen- se de la France pendant les conflits ou au titre du service national, les veuves dʼanciens combattants et les veuves et orphe- lins de guerre, maintenir et développer les liens de camarade- rie, dʼamitié et de solidarité qui existent entre tous ceux qui ont participé à la défense de la patrie, perpétuer le souvenir des com- battants morts pour la France, contribuer au devoir de mémoi- re…). Mais contrairement à la F.N.A.C.A., elle plaide pour une autre date de commémoration du conflit, estimant que le 19 mars 1962 nʼa pas mis fin aux massacres. Les anciens combattants de lʼU.N.C. ont obtenu de Jacques Chirac une nouvelle date de commémoration, le 5 décembre, devenue journée nationale dʼhommage aux morts pour la France pendant la guerre dʼAlgérie. La F.N.A.C.A. maintient sa position en faveur du 19 mars. Date qui pourrait, selon certaines informations, être officialisée.

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