Journal C'est à Dire 174 - Février 2012

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D O S S I E R

Deux politiques suisses, deux visions “Priorité aux chômeurs genevois !” Président du parti du Mouvement citoyens Genevois, Éric Stauffer ne se présente pas comme un “anti-fronta- lier” mais demande qu’une préférence nationale soit instaurée à l’embauche. À Genève, son discours plaît.

C’ est à dire : Doit-on vous présenter com- me le défenseur des Genevois ou comme le plus grand cauchemar des fron- taliers ? Éric Stauffer (président du M.C.G.) : Non, je ne suis pas contre le frontalier en tant qu’individu mais il paraît anor- mal d’embaucher des personnes de Bordeaux ou de Lille alors que nous pourrions embaucher nos chômeurs résidents.

les accords bilatéraux ? E.S. : Oui car le système ne fonc- tionne pas. Prenons l’exemple de la formation des infirmières : la Suisse a décidé de ne pas investir dans leur formation si bien que nous sommes obli- gés de recruter des infirmières françaises. Nous n’investissons pas assez. À compétence éga- le, nous demandons que les entreprises embauchent les chô- meurs résidents. Et même si les compétences sont supérieures pour un frontalier, il faut prendre un Genevois.

Càd : Comment allez-vous faire dans un contexte de glo- balisation du marché du tra- vail ? E.S. : Le Conseil d’État, juste avant Noël, a pris une impor- tante décision. Les régies publiques – T.P.G., aéroport, Hôpitaux… – seront tenues de vérifier auprès de l’Office can- tonal de l’emploi avant toute délivrance d’un permis de tra- vail si un chômeur ne peut pas être engagé. La même mesure a été prise à l’État de Genève. Il s’agit d’un premier pas, qui n’est pas suffisant pour le M.C.G. Nous devons aller encore plus loin en faveur d’un engagement volontariste des résidents gene- vois, qui sont les victimes du jeu de massacre régnant dans le marché européen de l’emploi. Avec la casse que chacun connaît. Càd : Si nous devions vous comparer à un politique fran- çais, seriez-vous d’extrême- droite ? E.S. : Absolument pas ! Nous défendons tous les résidents suisses et contrairement au Front National chez vous, nous ne reconnaissons pas le droit du sang (du sol). Nous ne sommes pas un mouvement national. Lors des élections municipales,

nous avons fait un carton plein chez les Suisses de la commu- nauté étrangère, que nous défen- dons. Càd : La hausse de la pré- carité en Suisse, phénomène encore tabou, peut-elle expli- quer vos bons scores aux élec- tions municipales en mars 2011 (9,3 %) ? E.S. : Nous avons ce que l’on ne connaissait pas avant : les “wor- king poors” (travailleurs pauvres). À Genève, il y a envi- ron 16 000 chômeurs, soit 7 % de la population et des demandes toujours plus nombreuses pour obtenir des aides sociales. Cela ne nous dérange pas que les fron- taliers aient un meilleur niveau de vie que le Suisse grâce à la force du franc mais nous récla- mons cette priorité nationale !

Càd : Vous revenez donc sur

Propos recueillis par E.Ch.

Populiste, le M.C.G. d’Éric Stauffer est reconnu à Genève mais s’exporte mal dans les autres cantons.

Réaction “Sans frontaliers,

les entreprises fermeraient” Député P.S. vaudois et ancien syndicaliste Unia de l’horlogerie, Nicolas Rochat-Fer- nandez est fier du développement économique de la Vallée de Joux. Les fronta- liers sont une chance estime-t-il. Reste à gérer la thématique de la mobilité.

C’ est àdire :Ledéputé socialisteque vous êtes soutient les frontaliers. Est-ce une position à la marge en Suisse ? Nicolas Rochat-Fernandez : Non. Ce que je soutiens, c’est l’emploi et le respect des condi- tions de travail aussi bien pour les travailleurs suisses que pour les frontaliers. J’œuvre pour le développement économique de la Vallée de Joux qui accueille 6 000 emplois pour 6 000 habitants. Càd : Les villages du Sentier ou du Che- nit ont fortement évolué grâce au dévelop- pement de l’horlogerie. La Vallée de Joux n’est-elle pas devenue une cité-dortoir ? N.R. : Nous avons perdu de la population il y a trente ans et connaissons actuellement une sensible augmentation. Je ne pense pas que nous soyons une ville de pendulaires, car un déve- loppement autour des commerces se structu- re : nous sommes fiers de notre développement économique et sur le fait que des personnes aient parié sur l’horlogerie au début des années quatre- vingt. Ceci est dû à nos entrepreneurs et à l’école professionnelle. Càd : Les frontaliers sont donc une valeur ajoutée à vous entendre ! N.R. : Oui, c’est une chance car sans frontaliers, nous fermerions nos entreprises. Càd : Ce n’est pas la vision de l’ensemble de vos compatriotes à écouter le parti U.D.C. Ou le M.C.G..Percevez-vous cette montée du nationalisme ? N.R. : C’est difficilement quantifiable. En Val- lée de Joux, nous ne connaissons pas les tensions existantes à Genève ou dans les montagnes neu- châteloises car notre taux d’emploi est très bon. Càd : La fracture entre salariés suisses et français n’est-elle pas consommée avec un franc suisse fort ? N.R. : Les Suisses sont conscients que le méca- nisme peut être inverse. Le seul outil permet- tant d’éviter les divisions, c’est le salaire mini- mum et les conventions collectives. Proposer un salaire minimum de 4 000 C.H.F. à un horlo- ger non qualifié, c’est éviter le dumping salarial.

Pour Nicolas Rochat-Fernandez (P.S.), le frontalier est source de richesse.

J’y suis favorable. S’il existe des tensions aujour- d’hui, c’est parce que les richesses ont été inéga- lement réparties entre les salariés. Càd : Sur le terrain, le citoyen suisse ne vous interpelle donc pas sur le problème des trans- ports ou des réalités économiques ? N.R. : Bien sûr, il m’arrive lors de mes rencontres d’être interpellé par des personnes craignant le chômage. Pour les problèmes de mobilité, nous avons à l’échelon régional organisé un plan de mobilité avec le développement des lignes de bus, covoiturage, parcs. Nous voulons dévelop- per le transport public d’une façon homogène, relancer le train des frontaliers et pourquoi pas réhabiliter la ligne désaffectée de Jougne. Càd : Vos adversaires de l’U.D.C. vous font- ils peur à quelques semaines des élections cantonales (mars) ? N.R. : Non. Ce sont des pompiers pyromanes qui ne proposent aucune solution. C’est un parti qui divise et non qui rassemble. Si on prône leur pro- gramme, c’est le chômage assuré. La Suisse a toujours eu besoin de l’immigration. Les Suisses savent que le frontalier crée de la richesse… L.P.P. : Idéalement, il faudrait que le tra- vailleur étranger choisisse de s’installer chez vous. N.R. : C’est vrai que nous serions heureux que des frontaliers s’installent ici… Propos recueillis par E.Ch.

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