Journal C'est à Dire 173 - Janvier 2012

D O S S I E R

17

RÉSERVES PARLEMENTAIRES : L’ARGENT DISCRET DE NOS ÉLUS

Il est un système dont les parlementaires, qu’ils soient dépu- tés ou sénateurs, ne parlent que très peu. Pourtant, il est inté- gré chaque année aux budgets des deux assemblées et per- met aux élus, sur leur circonscription ou leur territoire d’élection, de soutenir des dizaines de projets par an, par une sorte de “pouvoir de subvention” qui leur est directement accordé et qu’ils utilisent à leur guise dans la limite de l’enveloppe qui leur est attribuée chaque année. Sur ce point, les règles de répartition sont particulièrement floues. Tandis qu’un député devra se contenter de quelques milliers d’euros, voire de rien du tout, un autre pourra bénéficier d’une manne de plus d’1 million d’euros par an. Le journal C’est à dire a voulu en savoir plus sur la manière dont les élus du Doubs appré- hendaient cette question des réserves parlementaires et sur la façon dont ils dépensaient ces sommes. Nous nous sommes intéressés à tous les élus du Doubs, députés comme séna- teurs, à l’exception de ceux qui ne “couvrent” pas les zones de diffusion de nos journaux. Du plus transparent, le séna-

teur Claude Jeannerot, au plus “discret”, Jean-François Hum- bert, petit tour des permanences électorales de nos parle- mentaires. Un dossier qui permettra de faire un nouveau point sur toutes les ressources – et elles sont larges - dont dispo- sent nos élus de la République pour remplir leur mission.

Au moins 100 000 euros par parlementaire Réserves parlementaires : qui en profite ?

aurait reçu plus de 6 millions d’euros cette année-là. Gilles Carrez, le rapporteur de la com- mission des finances et Didier Migaud, alors président de cet- te même commission s’étaient eux aussi largement servi avec respectivement 1 et 1,8 mil- lion d’euros. Dans le même temps, des députés d’opposition devaient se contenter de quelques milliers d’euros. Pire : ce reliquat aurait même servi à “arroser” certains élus qui n’étaient même pas parlemen- taires. Comme le fils du puis- sant secrétaire d’État Alain Mar- leix, simple conseiller général,

ou encore le fils du ministre de l’Intérieur Claude Guéant, simplement suppléant d’un député, qui auraient bénéficié respectivement de 190 000 euros pour le premier et de 215 000 euros pour le second sous forme de réserves parle- mentaires. Si ce système des réserves par- lementaires est encadré par la loi - la subvention n’est versée qu’après accord du ministère concerné, via la préfecture et sur présentation de factures -, son organisation est loin d’être com- plètement transparente. J.-F.H.

Ce système méconnu et encore entouré de mystères permet pourtant à nos députés et sénateurs de financer des dizaines de projets locaux tous les ans à coups de milliers ou dizaines de milliers d’euros. Les règles des réserves sont encadrées… plus ou moins.

les enveloppes aux groupes poli- tiques. Mais la répartition des montants entre les parlemen- taires reste gérée par les groupes politiques, sous l’autorité de leur président : par exemple Chris- tian Jacob à l’Assemblée pour le groupe U.M.P. ou le sénateur dijonnais François Rebsamen pour le groupe P.S. au Sénat. C’est ainsi que des députés de droite appartenant à la com- mission des finances, la plus pri- vilégiée, peuvent toucher cha- cun plus de 200 000 euros par an, voire plus d’1 million d’euros pour les mieux placés ou les mieux considérés, qu’ils servent ensuite à leur guise pour finan- cer tel ou tel projet dans leur circonscription respective. Au temps où elle était encore dépu- tée, Paulette Guinchard n’hésitait pas à dire que ce sys- tème des réserves s’apparentait tout bonnement à “du clienté- lisme.” Aujourd’hui, aucun des députés et sénateurs du Doubs concernés n’utilise ce terme. Pour la députée bisontine Françoise Branget, seul l’objet de l’aide compte. “Aider la S.P.A., en quoi est-ce de droite ou de gauche ? Et ce n’est pas parce qu’on sou- tient tel maire ou telle associa- tion que l’on s’assure qu’ils vote- ront pour nous” dit-elle. “Je ne sais pas pour qui vote tel ou tel maire que je soutiens” commente dans la même veine le sénateur Claude Jeannerot. Il n’empêche, ce système des réserves parle- mentaires peut néanmoins s’apparenter à un fait du prin- ce. Un parlementaire renforce forcément son aura et son enra- cinement dans un territoire quand il a plusieurs dizaines ou centaines de milliers d’euros à distribuer tous les ans, à sa gui- se. Le flou artistique qui règne sur

la répartition de ces fonds publics a parfois abouti à des dérapages. Comme en 2008 où le Canard Enchaîné révélait dans un article que le président Sarkozy lui- même s’était “accaparé” 20 mil- lions d’euros de la réserve par- lementaire, sans aucune raison officielle. Les heureux bénéfi- ciaires de ce reliquat étaient d’abord les députés et sénateurs les mieux placés, et le premier d’entre eux Bernard Accoyer, président de l’Assemblée, qui

T ous les élus sont-ils égaux devant les lois de la République ? En apparence oui, dans les faits, ça peut se discuter. Dans les budgets qu’ils votent chaque année, l’Assemblée Nationale et le Sénat disposent chacun d’une enveloppe substantielle, répartie ensuite entre les élus nationaux, appelées “réserves parlementaires” à l’Assemblée et “dotation d’action parlemen- taire” au Sénat. Ces réserves parlementaires sont des fonds mis à la dispo- sition des groupes politiques de l’Assemblée Nationale et du Sénat par le rapporteur géné- ral du budget, fonds qui sont ensuite répartis entre les dépu-

répartition de ces sommes. Au Sénat, on est un peu plus disert, d’autant que depuis le basculement de la Haute assem- blée à gauche, une réforme de ces réserves parlementaires a été mise sur pied pour clari- fier ce système plutôt opaque. “Pour l’année 2012, le président du Sénat a engagé une réfor- me de la dotation d’action par- lementaire : l’enveloppe globa- le est réduite de 3 %, soit un mon- tant total de 56,26 millions d’euros en 2012, contre 58 mil- lions en 2011. Sur cette som- me, 54,76 millions d’euros sont répartis entre les groupes poli- tiques au prorata de leurs effec- tifs” indique le service presse du Sénat. À partir de cette année

tés et les sénateurs pour soutenir certains projets locaux menés par les communes ou les associations dans leur circonscription res- pective. Cette année à

seulement, il sera mis fin au Sénat aux dota- tions exceptionnelles dont bénéficiaient les “autorités”, notam- ment le président du Sénat, le président de la Commission des

Ce système s’apparente-t- il à du clien- télisme ?

l’Assemblée, le montant des réserves parlementaires a atteint les 90 millions d’euros. Au Sénat, l’enveloppe est un peu inférieure. Logique, puisque le nombre de sénateurs est moindre (348 séna- teurs contre 577 députés) : elle sera de 56,26 millions d’euros en 2012, en baisse de 3 % par rapport à l’année précédente, “rigueur” oblige. “On a égale- ment baissé de 3 % cette année” note le bureau de l’Assemblée Nationale, très peu bavard quand il s’agit de commenter la

finances et le rapporteur géné- ral de cette commission, qui dis- posaient chacun de 3,4 millions d’euros ! Grâce à cette remise à plat, pour les autres sénateurs, le montant moyen de la dota- tion passera ainsi de 130 000 euros à plus de 157 000 euros par an et par élu. Les réserves parlementaires sont gérées par la commission des finances de chaque assemblée, qui répartit à son bon vouloir la manne aux différentes com- missions, lesquelles distribuent

Les députés de l’Assemblée Nationale bénéficient au total de 90 millions d’euros cette année au titre des réserves parlementaires.

Made with FlippingBook Online newsletter