Journal C'est à Dire 172 - Décembre 2011

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J U S T I C E

Juger en son âme et conscience Tout citoyen peut être tiré au sort pour faire partie d’un jury d’assises. Louise et Isa- belle ont vécu cette expérience particulière. Elles racontent. Témoignage

Les mamies des assises Deux femmes à la retraite ne manqueraient pour rien au monde un procès d’assises. Édith et Michelle se souviennent des affaires qui les ont marquées. Rencontre

A voir été juré d’assises est une expé- rience qui marque. Isabelle* l’a été il y a plus de dix ans. Elle n’a pas oublié.Unediscussion,un film,passer devant le palais de justice de Besançon, et les sou- venirs reviennent.Les accusés,les témoins, les experts, les récits monstrueux parfois, les plaidoiries, les débats et le verdict qui tombe. “J’ai encore dans le nez l’odeur de la salle d’audience. Le fait d’en repar- ler me rend fébrile” confie-t-elle. Comme les autres jurés, elle a été tirée au sort pour faire partie du jury d’assises du Doubs. Lors de cette session-là, sept affaires ont été jugées. “J’ai été récusée pour l’une d’elle, et désignée suppléante pour une autre, heureusement d’ailleurs car je suis mère de famille et j’en voulais terriblement à l’homme qui allait être jugé pour viol sur mineur.” Isabelle a donc assisté à cinq procès. Agressions sexuelles, meurtre, braqua- ge, elle a suivi avec attention ces débats pour juger en “son âme et conscience. Le plus difficile est de rester neutre.” Com- ment contenir sa sensibilité, et ne pas se laisser influencer par ses sentiments ou être tenté d’alourdir une peine, quand un huissier soumet au jury des photos du corps d’une personne couvert de coups de couteaux ? Le récit est peut-être sor- dide, “mais nous devons nous en tenir aux faits. À la fin, on connaît l’histoire par cœur.” Puis vient le délibéré auquel les jurés participent, mais ils sont tenus au secret de ce qui se dit dans la chambre des délibérations. “Quand je suis reve-

L orsqu’elle vient aux assises du Doubs, Édith n’oublie jamais son coussin qu’elle pose délicatement sur le banc en bois avant de s’installer. “On est mal assis ici, beaucoup moins bien que dans l’ancien tribunal” bougonne cette habituée. Retraitée depuis 25 ans, Édith fait tout pour ne jamais manquer jamais un procès d’assises dont les audiences ont lieu chaque trimestre. Avec Michelle, sa voisine de quar- toutefois que les assises “ne sont plus ce qu’elles étaient.” Il y a déjà moins de public, “peut-être parce que les personnes sont mal infor- mées et qu’elles ignorent qu’elles peuvent venir” dit Michelle qui regrette parfois la clémence de la justice. Elles sont habituées aux envolées lyriques des avocats, mais certaines affaires les ont plus marquées que d’autres. “C’est le cas de l’affaire Wetzel” annonce Édith. Et d’ajouter : “C’est l’homme qui avait frappé et tué à coup de barre de fer un autre homme dans le Pays de Montbé- liard.” “C’est le seul moment où j’ai eu de la sympathie pour un accu- tier, les deux femmes assis- tent aux réquisitions et plaidoiries des avocats. “On vient car les avocats sont des beaux parleurs” s’amuse Édith, qui admet

sé car la victime était bizarre” admet Michelle. Édith vient ici comme d’autres vont au cinéma. “Lorsque je travaillais, j’allais aussi à la cour d’appel. Si je n’avais pas pu suivre le procès le matin, une personne était là pour la raconter l’après-midi.” Beaucoup d’affaires s’entrechoquent dans leur mémoire. C’est le cas de cette grand-mère habitant le Haut- Doubs qui avait tenté de tuer son petit-fils de 14 ans : “Le gamin était elle, sur la tentative de meurtre à Quingey. Un retraité avait été frap- pé par des ressortissants roumains qui s’étaient introduits chez lui. Si les deux voisines ont la même passion, elles ont une vision diffé- rente de la justice : “Je ne me ver- rais pas juré car je n’aurai ni la for- ce morale et intellectuelle pour juger. Je serai trop sévère” avoue Michel- le. Édith, elle, se verrait bien dans la peau d’un juré comme son père le fut à son époque. Depuis le fond de la salle d’audience, elles commentent et se font leur petite idée sur la personnalité du prévenu ou sur ce qu’il encourt. Chacun ses hobbies … tout seul dans le box de la partie civile et sa mère était dans le public. Cela m’avait paru bizarre” lâche Michelle. Édith revient,

Les jurés sont acteurs du procès d’assises.

Louise n’est pas sortie indemne de cet- te expérience qu’elle qualifie toutefois d’inoubliable. “Longtemps j’ai rêvé de cet- te affaire d’assassinat. Je repense sou- vent à ce que j’ai vécu. C’est quelque cho- se de très particulier et de très fort d’être juré d’assises, car nous ne sommes pas spectateurs mais acteurs d’un procès. Nous sommes la justice ! J’ai découvert un visage de cette institution que je ne connaissais pas.” Louise admet être sor- tie du tribunal assez sereine, avec “le sentiment de ne pas avoir fait n’importe quoi.” Isabelle ne regrette pas non plus d’avoir vécu cette expérience unique. Les années se sont écoulées, pourtant, à chaque fois qu’elle passe devant la prison elle se demande ce que sont devenus ceux que les assises ont condamnés.

nue dans la salle pour le verdict avec les autres jurés, je ne me sentais pas très bien. Quand un accusé reconnaît son crime, on a moins de scrupule à cautionner un jugement. En revanche, s’il n’avoue pas, on a longtemps cette idée en tête que l’on condamne peut-être un innocent.” Le sentiment est d’autant plus fort que les jurés n’ont, la plupart du temps, ni l’expérience, ni la culture juridique qui leur permettent peut-être de prendre davantage de recul sur un dossier. La peur de commettre une erreur judi- ciaire, Louise y a souvent pensé tout au long des procès d’assises auquel elle a assisté en tant que jurée. “Quand l’accusé ne nie pas, c’est plus facile. Dans le cas contraire, on se demande si on fait bien. C’est une question de grande res- ponsabilité et d’appréciation. On se fon- de aussi sur son intime conviction pour penser de quelqu’un qu’il est coupable” confie-t-elle.

Édith vient ici comme d’autres vont au cinéma.

*Pour des raisons de confidentialité, les prénoms ont été changés.

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