Journal C'est à Dire 165 - Avril 2011

D O S S I E R

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Histoire et perspectives L’horlogerie française se prend à rêver Le Haut-Doubs est encore marqué par une culture horlogère forte. Une nouvelle génération d’entrepreneurs redonne l’espoir à ceux qui veulent encore croire à la renaissance de cette industrie. Dans le petit monde économique local, de Morteau à Besançon, on se prend à rêver : et si notre région retrouvait le lustre horloger qu’il avait perdu lors du naufrage de cette industrie qui a fait résonner le Haut-Doubs et la capitale comtoise dans le monde entier, époque bénie où la région comptait des horlogers par milliers ? L’arrivée récente à Besançon de l’atelier d’assemblage de la prestigieuse marque Louis Leroy, l’agrandissement annoncé des locaux de Breitling qui assure ici tout son service après-vente, la présence de Festina, la renaissance du poinçon à la tête de vipère à l’observatoire, la création d’une filière ingénieur à l’E.N.S.M.M., les velléités de la marque Péquignet de créer à Morteau une manufacture, ou encore l’obstination et la créativité de quelques entreprises horlogères locales qui ont fait de la résistance : voilà autant d’indices qui tendent à montrer que notre secteur a aujourd’hui la capacité, et surtout l’envie, de redonner ses lettres de noblesse à une industrie horlo- gère qu’elle croyait définitivement perdue. Le Haut-Doubs et Besançon y croient. Il faut maintenant que les actes accompagnent cette belle volonté. Dossier. HORLOGERIE : LE HAUT-DOUBS À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU

Besançon (3 500 chez le seul Kel- ton-Timex). Faut-il rappeler que cette pério- de était marquée par le travail à domicile et les petits ateliers aménagés dans les maisons. On mise sur les instituts de for- mation comme l’école d’horlogerie

Pourtant, après cette période fas- te, l’industrie horlogère française amorce son déclin. Elle doit fai- re face à l’arrivée du quartz qui prend progressivement le pas sur la mécanique. L’Asie entre dans la danse et le produit montre mondialisé est un sec-

D ans le Haut-Doubs, un des symboles de cette velléité de faire renaître une véritable industrie horlogère est incarné par le patron de la marque Péquignet, Didier Leibundgut, qui lancé il y a deux ans à Bâle son nouveau mouvement en annonçant la construction pro- chaine d’une manufacture qui emploierait, selon lui, au moins 300 personnes. Les amoureux des montres ne demandent qu’à le croire. D’autres que lui ont toujours su miser sur un savoir- faire historique en maintenant contre vents et marées des entre- prises sur la bande frontaliè- re française, à l’image des marques comme Herbelin, Saint-

Honoré ou des distributeurs comme Ambre ou T.W.C. qui emploient eux aussi des dizaines de salariés. L’horlogerie aujour- d’hui, c’est cet éventail très lar- ge d’activités, qui englobent éga- lement des dizaines d’entreprises de sous-traitance, lesquelles tra- vaillent bien sûr pour les don- neurs d’ordre suisses mais aus- si pour l’industrie du luxe fran- çais. Un peu plus loin, c’est à Besançon que s’ouvre une nou- velle page avec plusieurs annonces faites récemment : l’installation de la prestigieuse marque Louis-Leroy qui assemble à nouveau ses montres à Besançon ou encore l’extension de Breitling qui a installé, com- me Tissot ou Audemars-Piguet,

ses ateliers de service après- vente. Avec quelques horlogers indépendants, l’horlogerie emploie bon an mal an quelque 1 000 salariés à Besançon. Les observateurs se prennent donc à rêver d’un retour en for- ce d’une industrie horlogère à nouveau florissante. Les res- ponsables du pôle “Luxe ad Tech” ont même réclamé à l’école d’ingénieurs de Besançon la création d’une formation Bac + 5 orientée sur la micromé- canique et le design . Il aura donc fallu plus d’une génération pour digérer l’effondrement de tout un pan de l’activité du Haut-Doubs. L’activité horlogère était deve- nue une référence incontour-

nable pour le Haut-Doubs qui en a vécu pendant des siècles. On apprend au musée de la montre de Morteau qu’en 1954, le syndicat des fabricants hor- logers recense dans le Haut- Doubs et sur le Plateau de Maîche 150 fabricants d’horlogerie et de pièces déta- chées. La plupart sont des petites sociétés familiales qui emploient quelques personnes.À ce décomp- te s’ajoutent 70 usines posi- tionnées sur ce secteur d’activité et qui emploient 2 470 personnes. En 1965, la fabrication de montres génère encore 1 582 emplois dans le Haut-Doubs. 770 personnes sont affectées à la fabrication de pièces détachées. Ils étaient près de 10 000 à

de Besançon ou Mor- teau. C’était le début de la belle époque, de l’heure de gloire de l’horlogerie française.

teur fortement concur- rentiel. Alors qu’en France près de 14 000 personnes vivaient de l’horlogerie, les effec-

Framelec employait à Morteau plus de 500 salariés.

Le Haut-Doubs manque de main- d’œuvre. Des entreprises com- me Framelec emploient à Mor- teau plus de 500 salariés ! Des chiffres qui donnent à la fois une idée de l’importance de cette industrie et de sa prédominan- ce dans le paysage économique local. Par les échanges com- merciaux, Morteau et le Haut- Doubs sont renommés pour un savoir-faire horloger dans les milieux spécialisés du monde entier.

tifs passent à 8 000 dans les années quatre-vingt. Le sinistre est plus grand encore en Suisse où dans les années soixante-dix, 90 000 personnes travaillent encore dans l’horlogerie contre 25 000 10 ans plus tard. Mais à l’inverse de la France, les pro- fessionnels suisses parviendront à s’organiser pour enrayer la cri- se, à se positionner sur le cré- neau haut de gamme, valori- ser le “swiss made” qui fait réfé- rence aujourd’hui, pour tirer fina- lement leur épingle dans ce jeu implacable. Dans le Val de Mor- teau, les sociétés liées au sec- teur horloger ont fermé leurs portes les unes après les autres. Cattin, Framelec, Kiplé, ou enco- re Maillardet un peu plus tôt dans les années soixante dis- paraissent, pour ne citer qu’elles. Face à ce déclin, le Haut-Doubs a connu un séisme industriel. Mais du point de vue de la main- d’œuvre, le constat est différent. Privée d’emploi en France, elle se tourne vers la Suisse où les frontaliers trouvent leur pla- ce. Malgré la disparition des entreprises, la France a main- tenu son niveau de formation dans des écoles techniques. Aujourd’hui, l’horlogerie suisse récupère la plus-value d’une main-d’œuvre qu’elle n’a pas for- mée. La frontière toute proche a évité à tout un secteur de som- brer dans une crise sociale mar- quée par le chômage. Mais cet- te situation place néanmoins le Haut-Doubs dans un équilibre instable exposé à une fragilité économique. Aujourd’hui, l’horlogerie locale, de Besançon à Morteau en pas- sant par le Plateau de Maîche cherche à nouveau sa place et croit à un nouveau souffle. Qui ne demande qu’à être encou- ragé.

Le savoir-faire horloger est intact dans le Haut-Doubs.

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