Journal C'est à Dire 162 - Janvier 2011

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Produits du terroir “Redonner à l’absinthe ses lettres de noblesse” L’absinthe est sur le point de sortir définitivement du purgatoire. Après 95 ans d’interdiction officielle, l’appellation “absinthe” devrait être à nouveau autorisée au début de l’année prochaine. Les explications de François Guy, le distillateur de Pontarlier.

C ’est à dire : Le texte qui vise à abroger la loi de 1915 interdisant la dénomination “absinthe” sur les étiquettes est sur le point d’être validé à l’Assemblée Nationale. Qu’est-ce que cela va changer pour vous distil- lateurs ? François Guy : À la fin des années quatre-vingt, sous l’impulsion du député Vuillau- me et pour contrer l’offensive espagnole sur les marchés euro- péens, on a eu la possibilité de produire à nouveau un apéri- tif à base d’absinthe mais à deux conditions : que cette boisson ne titre pas plus de 35 mg de thuyo- ne au litre, la molécule présen- te dans la plante d’absinthe, et que sur les étiquettes figure la mention “spiritueux à base d’absinthe” et non “absinthe”. Après avoir replanté de l’absinthe dans la plaine de l’Arlier, les premiers litres de cette boisson sont sortis en 2001. Mais sur le plan commercial, il a toujours été difficile de fai- re passer le message avec cet- te appellation un peu farfelue

de “spiritueux à base d’absinthe”. Là, il s’agirait vraiment d’abroger la loi de 1915, c’est-à-dire d’autoriser à nouveau la pro- duction d’une boisson qu’on aurait le droit d’appeler “absinthe”. Càd : Depuis dix ans, on a vu sortir tout et n’importe quoi en France en matière de spi- ritueux à base d’absinthe. Comment vous êtes-vous posi- tionnés ? d’origine. On a même vu de l’absinthe sans anis. D’où l’idée qu’on a émise avec le syndicat des producteurs de spiritueux de déposer une demande d’I.G.P. En parallèle, les Suisses qui avaient vu leur législation éga- lement modifiée, ont cherché eux aussi à protéger leur absinthe avec une I.G.P. Ayant eu vent de cette volonté suisse, et com- me il paraissait beaucoup trop F.G. : On a en effet été envahis de produits étrangers, plus de 80 sortes en France, dont beaucoup n’avaient rien à voir avec le produit

compliqué de mener une démarche commune avec la Suis- se, on a tenté de faire bouger les choses en alertant les ministères en vue de l’abrogation de la loi de 1915. Le texte est actuelle- ment en deuxième lecture à l’Assemblée Nationale. Si le tex- te est validé et que le nom “absinthe” peut à nouveau être utilisé, cela légitimerait le pro- duit que le consommateur achè- te. L’idée est de mettre fin à cet- te distorsion de concurrence qui tueux à base d’absinthe”. Cela contribuerait à redonner à l’absinthe ses lettres de nobles- se. Càd : Quelle est la produc- tion de la distillerie Guy ? F.G. : Nous nous situons entre 20 000 et 22 000 litres par an. Par rapport au Pontarlier Anis, c’est beaucoup moins. Nous pro- duisons environ 450 000 litres permet à certains pays de pouvoir utiliser le ter- me “absinthe” alors qu’en France on est obli- gé d’utiliser cette expres- sion farfelue de “spiri-

Arrière-petit-fils du fondateur Armand Guy, François Guy est le représentant de la quatrième génération de distillateurs.

de “Pont” par an.

gression, tous les ans. C’est aus- si grâce au fait que nous fas- sions la promotion de nos pro- duits bien au-delà de la région désormais. Nos produits sont aussi reconnus à travers les trois médailles d’or de suite obtenues à Paris. Càd : En chiffre, que pèse la distillerie Guy ? F.G. : Nous employons 12 sala- riés pour un chiffre d’affaires de 5,6 millions d’euros. Tous les ans, on enregistre une progres- sion de 2 à 3 %. Un petit bémol cependant pour les fêtes où nous avons enregistré une légère bais- se des volumes par rapport aux années précédentes.

Càd : L’activité continue-t- elle à progresser malgré toutes les campagnes de pré- vention contre l’alcool ? F.G. : La prévention contre les effets de l’alcool, nous la sou- tenons. Nous prônons une consommation respectueuse en incitant par exemple les jeunes à consommer plus par dégus- tation que par ivrognerie ou en considérant l’alcool comme un simulacre de drogue. Notre poli- tique consiste à axer notre pro- duction sur le goût et la quali- té plutôt que sur la politique de prix. Nous continuons à pro- gresser gentiment. Les liqueurs et les eaux-de-vie sont en bais- se, mais l’absinthe et le Pon- tarlier Anis continuent leur pro-

Càd : Comment positionnez- vous l’absinthe dans votre stratégie de développement ? F.G. : L’idée n’est pas d’en faire un produit de grande consom- mation. Nous gardions l’idée d’un alcool associé aux moments de fête. C’est un apéritif de fête suivi d’un menu extraordinai- re. L’absinthe doit rester un pro- duit de convivialité et d’exception. Notre créneau n’est pas non plus de faire ressortir l’aspect sulfureux de l’absinthe. Le créneau facile aurait été de cibler les jeunes avec une absinthe à 75°. On ne l’a pas souhaité. Pour nous, au-delà de 55°, l’absinthe n’a plus aucune vertu gustative.

Un chiffre d’affaires de 5,6 millions d’euros.

Propos recueillis par J.-F.H.

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