Journal C'est à Dire 155 - Mai 2010

D O S S I E R

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MUSIQUES, CHORALES, TROUPES DE THÉÂTRE : un phénomène du Haut-Doubs

La culture associative a trouvé dans le Haut-Doubs horloger un terroir particulière- ment fertile. La densité de sociétés musicales, de chorales ou de troupes de théâtre a toujours été et reste largement supérieure aux moyennes. L’effet frontiè- re, l’influence de la Suisse, les clivages politiques ou idéologiques locaux, des popu- lations rurales relativement cultivées, tous ces paramètres participent à cette richesse. Qu’en est-il aujourd’hui ? État des lieux.* * Ce dossier repose sur un choix de la rédaction pour illustrer les angles retenus. Certaines sociétés n’apparaissant pas dans ce dossier participent aussi à la richesse associative du Haut-Doubs.

Histoire La belle partition du Haut-Doubs musical

L’étonnante densité de sociétés musicales et leur survivance dans le temps procèdent de raisons poli- tiques, géographiques et économiques. Éclairages.

L’ origine de la pratique ins- trumentale remonte pro- bablement aux conscrits de l’armée napoléonienne. “La création des sociétés de musique a été fortement favorisée par la Révolution de 1830. Elles sont l’émanation de la garde nationale du village ou du canton qui regroupe les jeunes garçons qui n’ont pas été tirés au sort pour le

Avec l’avènement de la République, les tensions entre le clergé et les répu- blicains radicaux se durcissent. Elles aboutiront à de nombreuses scissions et à la création des musiques dissi- dentes comme la Démocrate, la Fra- ternité, la Libérale… Ces nouvelles sociétés sont en général des fanfares composées de cuivres et de percus- sions car avant tout destinées aux

défilés militaires et patrio- tiques. Les philharmoniques englobent toutes les tranches d’âge. Elles com- prennent une gamme d’instruments plus variée, permettant de célébrer des

service national. Ces musiques ont donc des origines mili- taires et patriotiques” , explique Vincent Petit, his- torien et auteur de l’ouvrage “La Clef des Champs” qui analyse en détail le sujet.

C’est du patriotisme des confins.

Les tensions entre les républicains et les cléricaux aboutiront à la création de nombreuses fanfares dissidentes, comme ce fut le cas à Villers-le-lac avec la Fraternité en 1877.

D’autres facteurs spécifiques au Haut- Doubs vont conforter le mouvement. Le goût du travail en communauté, à l’image des coopératives fromagères, facilite l’instauration des pratiques musicales collectives. La localisa- tion frontalière des premières musiques du Doubs est flagrante : Jougne, Char- quemont, Morteau, le Pissoux, Four- nets… Le phénomène qualifié de “patriotisme des confins” par Vincent Petit s’observe aussi dans le nord de la France et en Lorraine. “L’influence de la Suisse où le mouvement orphéo- nique est déjà très développé a cer- tainement eu beaucoup d’influence” ajoute le spécialiste. Dans le Haut-Doubs horloger tout comme dans les montagnes neuchâ- teloises, on trouve la plus forte den- sité de paysans horlogers. Cette clas- se sociale particulière aisée et culti- vée fournira pendant des générations le gros des effectifs musiciens. À la fin du XX ème siècle se manifestent deux nouveaux acteurs : le curé et le mai- re du village, prêts à prendre le contrô- le de la société musicale. “On peut se trouver en présence d’une musique paroissiale, municipale ou mixte” , pour- suit Vincent Petit.

offices religieux. La dualité entre les rouges et les blancs s’observait un peu partout en France. Elle a fini par s’atténuer dans le Haut-Doubs com- me ailleurs. L’existence de deux socié- tés continue parfois à perdurer com-

me à Villers-le-Lac. Face à l’individualisme des pratiques musicales, à l’essoufflement du béné- volat, fanfares et harmonies

s’investissent de plus en plus souvent dans des projets communs et notam- ment sur le plan de la formation. La culture musicale reste toujours aus-

si vivace dans le Haut-Doubs horlo- ger. On ne se débarrasse pas comme ça d’une si bonne habitude. F.C.

ment les instruments présents dans les fanfares et les harmonies. Sʼil peut y avoir une petite confu- sion entre les noms des deux écoles, les disci- plines sont différentes. Les collectivités territoriales ont été sollicitées aux enjeux de lʼécole inter-sociétés. Elles ont mis la main à la poche. Lʼidentité des socié- tés est aussi préservée dans le sens où chaque enfant reçoit les cours dans les locaux de sa commune. 300 élèves sont aujourdʼhui intégrés dans lʼécole de musique du Val de Morteau qui emploie 15 professeurs. Le budget annuel sʼélève à 160 000 euros. 95 % de cette somme part dans la masse salariale. Lʼaffaire est désormais bien rôdée. Ce pro- jet assez innovant attire les regards et donne des idées aux autres, surtout du côté du plateau de Maîche. “On constate que le niveau musical s’en ressent forcément. L’enfant acquiert de solides bases avant d’entrer dans l’orchestre de jeunes de sa propre socié- té” termine Thierry Munier.

Formation Cette école que le monde nous envie

Le temps des rivalités entre les rouges et blancs appartient au passé. Les sociétés ont pris lʼhabitude de travailler ensemble depuis 20 ans en se fédé- rant au sein de lʼAmicale des Sociétés de Musique. Les sept sociétés du Val de Morteau ayant des soucis de formation, elles ont finale- ment décidé dʼinvestir dans une structure commune en 2003. Lʼenseignement est dis- pensé par des professionnels. “On a dû bien cibler la finalité sachant qu’il existait déjà l’école de musique et de danse du Val de Morteau et en Pays Horloger dirigée par Jean-Marie Girardot.” Lʼécole est dʼabord au service des sociétés. On adhè- re dʼabord à la société et cʼest elle qui vous propo- se dʼintégrer lʼécole où lʼon vous enseignera seule-

L’école de musique du Val de Morteau se distingue par son fonctionnement. Décou- verte d’un outil de formation au service des sociétés de musique. T outes les sociétés de musique sont un jour ou lʼautre confrontées au manque de béné- voles pour assurer la formation des jeunes recrues. Sans école, lʼavenir devient très précaire. “C’était s’unir ou mourir” , résume Thierry Munier qui sʼest beaucoup impliqué avec dʼautres bien sûr dans ce projet original à plus dʼun titre. Lʼesprit de clocher est toujours tenace dans le Haut-Doubs. Ailleurs aussi.

300 élèves sont aujourd’hui intégrés.

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