Journal C'est à Dire 140 - Janvier 2009

V A L D E M O R T E A U

3

Justice

L’ancien huissier de Morteau revient longuement sur son parcours qui lui a valu, après un procès initié par la chambre des notaires, une condam- nation à la prison et une interdiction provisoire d’exercer. Confessions. Olivier Saillard : “J’étais bien conscient de ce que je faisais”

C’ est à dire : Après avoir quitté le Haut- Doubs et vendu votre charge d’huissier, que deve- nez-vous Olivier Saillard ? Olivier Saillard : En 2000, j’ai décidé de tourner la page, trou- ver un successeur et vendre ma maison de Morteau. Depuis, je vis dans le Sud de la France. J’ai été marchand ambulant de montres, aujourd’hui, je suis au R.M.I. Càd : Vous avez été condam- né en juin dernier pour détournement de fonds, à trois ans de prison (dont deux avec sursis) et à une inter- diction d’exercer l’activité d’huissier pendant cinq ans. Vous assumez pleinement vos actes ? O.S. : Je reconnais les faits même si je conteste formelle- ment la façon dont le tribunal a considéré la nature de mes agissements.

s’élèvent à près de 100 000 euros détournés à votre profit. Vous contestez ? O.S. : Ce chiffre est à peu près le montant global sur les vingt ans où j’ai exercé à Morteau. Mais le tribunal a fait des cal- culs farfelus qui ne correspon- dent pas à grand-chose. Je recon- nais qu’il y avait une distorsion entre les fonds que je percevais et ceux que je devais reverser aux créanciers, mais je ne recon- nais pas les montants. Mais j’avoue aussi que je me suis “ser- vi dans la caisse”. C’est clair, je n’étais pas innocent. J’étais bien conscient de ce que je fai- sais. Càd : Ces aveux font inévi- tablement planer un doute sur ce que peuvent faire les huissiers de l’argent qu’ils récoltent quand il n’y a pas de contrôle ? O.S. : Tous les huissiers ont un contrôle de leurs comptes une fois par an. Seulement, on les prévient trois mois à l’avance…

Moi, je savais que j’avais tort et qu’on ferait tout pour me des- cendre. Càd : Comment expliquez- vous aujourd’hui cette len- te dérive ? O.S. : Je sentais depuis long- temps de la part d’un certain nombre de mes confrères une grosse hostilité à mon encontre, qui n’était pas forcément injus- tifiée, je le reconnais. Je ne suis pas Sainte Jeanne d’Arc. Ça fai- sait longtemps que je les “emmerdais”, pour plusieurs rai- sons, j’avais quelques sentiments “extrême-droite” qui gênaient beaucoup, j’étais politiquement incorrect. Par ailleurs, j’avais ouvert à Morteau une salle des ventes qui marchait très bien et qui suscitait les convoitises. Enfin, je n’avais plus du tout envie de faire ce boulot. La pro- fession, puis la justice, se sont acharnés sur moi. Càd : Vous avez conscience aussi d’avoir jeté le discré-

Càd : Les sommes retenues

Olivier Saillard a été condamné en juin dernier à trois ans de prioson, dont deux avec sursis.

dit sur toute une profession ? O.S. : J’ai toujours dit en plai- santant que j’avais été “huissier de justesse”. Je n’ai qu’une capa- cité en droit, je n’ai même pas le bac. Je suis entré dans la pro- fession d’huissier par la petite porte, en bossant chez un huis- sier, en faisant des stages puis l’école des huissiers, puis l’examen professionnel à Lyon. J’ai d’ailleurs toujours ma car- te d’huissier professionnel. Càd : De votre peine, vous avez déjà purgé quatre mois de prison à la Butte à Besan- çon. Comment s’est passé cet épisode ? O.S. : J’ai été emprisonné du 15 octobre 2002 au 13 février 2003. J’y suis entré le jour de mes 50 ans, ça ne s’oublie pas. En 2000, j’avais changé de vie en descendant dans le Sud de la France jusqu’au jour où on m’a convoqué au commissariat de Besançon. Il manquait cer- taines pièces à mon dossier, j’ai passé 48 heures en garde à vue avec la brigade financière. Le soir même, on m’a transféré à la Butte. Càd : On ne ressort pas indemne d’un tel séjour der- rière les barreaux ! O.S. : Se retrouver nu dans un couloir, ça ne fait plaisir à per- sonne. Ensuite, ça a été très dur de retrouver des gens que j’avais côtoyés dans un autre contex-

mémoires ! O.S. : Je jouais volontairement un personnage. Un quart des gens qui assistaient à ces ventes aux enchères venaient pour ache- ter, les trois quarts venaient car ils savaient qu’ils allaient rigo- ler pendant trois heures. D’autres en prenaient pour leur grade. Je sais que je me suis fait des ennemis. Càd : Votre nouvelle vie dans le Sud ressemble à quoi ? O.S. : Je suis au R.M.I. Désor- mais, je ne veux personne chez moi, je me suis assez fait avoir

te car quand j’étais plus jeune, je venais souvent à la Butte pour signifier des actes de procédu- re. Sinon, je n’ai rien à redire du système pénitentiaire fran- çais. À part la saleté, je n’ai rien à reprocher. Ceci dit, on sort for- cément moins bon d’un séjour en prison. La prison détruit des vies complètes. En même temps, on en sort quand même enrichi. J’y ai rencontré des gens hors du commun. Càd : Comment avez-vous vécu ce statut d’homme de justice condamné par la jus- tice ? été “cantinier”, c’est-à-dire que je m’occupais de la gestion des comptes de prisonniers qui met- tent de l’argent de côté pour s’acheter des choses pour amé- liorer l’ordinaire. J’ai eu la chan- ce d’avoir ce boulot et que le cour- rier me parvienne rapidement à la Butte, venant d’une quin- zaine d’amis qui me sont restés fidèles. Les autres m’ont dit ensuite qu’ils avaient perdu mon adresse… Càd : Vous avez laissé à Mor- teau l’image d’un personna- ge fantasque, les ventes aux enchères que vous organisiez sont restées dans certaines O.S. : Je ne me suis pas laissé aller. Dès le départ, j’ai été pris en charge par l’aumônier de la prison. Puis j’ai

comme ça. Je ne fais plus confiance à per- sonne. Aujourd’hui, je veux avancer, me relancer en retrouvant un boulot, éventuel-

“On sort forcément moins bon de prison.”

lement dans le commerce.

Càd : Vous avez la “haine” aujourd’hui ? O.S. : Seulement envers ces gens-là, les policiers et le pro- cureur. Càd : Vous ne regrettez même pas vos erreurs et le préju- dice que vous avez causé aux clients “floués” ? O.S. : Je ne regrette rien de ma vie. Je regretterai peut-être ce que j’ai fait quand je serai mort.

Propos recueillis par J.-F.H.

Made with FlippingBook - Online catalogs