Journal C'est à Dire 106 - Décembre 2005

L E P O R T R A I T

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Grand’Combe-Chateleu

Philippe Feuvrier cultive sa passion du vin jaune Le chef du restaurant le Pont de la Roche, entre Grand’Combe et Mor- teau, s’est découvert il y a une dizaine d’années une passion pour la viticulture. Il est propriétaire d’une petite parcelle de vin jaune à Château- Chalon. C’est la face cachée de cet esthète du goût.

V oilà bientôt trente ans qu’il tient les rênes de la véné- rable maison qu’il a réussi, dès 1989, à hisser parmi le gotha de la gas- tronomie régionale avec une pre- mière étoile décrochée au Miche- lin. Mais quand Philippe Feu- vrier n’arbore pas sa toque et sa veste blanche de chef étoilé, il endosse une simple chemise à carreau, à la manière d’un hom- me de la terre. Le personnage reste le même - œil vif, débit ver- bal rapide, les sens toujours en éveil -, seule la tenue diffère. C’est dans ce simple accoutre- ment qu’il arpente, en toutes sai-

qui a guidé le restaurateur de Grand’Combe. Nous sommes en 1995, il y a tout juste dix ans. Un de ses copains, pharmacien dans le Val, possédait un petit lopin sur la butte de Château- Chalon. “Je me suis dit : si seu- lement je pouvais moi aussi avoir un petit arpent de vigne , racon- te Philippe Feuvrier. J’en ai par- lé au maire de la commune qui m’a répondu que jamais il ne se vendait de vigne à Château- Chalon, jusqu’au jour où, quelques années plus tard, il m’a rappelé pour me dire qu’un lopin de vigne était à vendre.” Une aubaine inespérée. Mais Philippe Feuvrier n’était

vigne sera attribué. La passion l’a emporté sur l’argent. “Feu- feu” a donc ajouté à sa casquet- te de restaurateur celle de viti- culteur. La première récolte a lieu en octobre 1996. Depuis cette date, il met un point d’honneur à pro- céder lui-même à toutes les phases d’élaboration de “son” vin jaune. Entretien de la parcel- le, récolte des grappes, pressa- ge du raisin, mise en fût, il a l’œil sur tout. La science du vin est un art qui n’est pas conseillé aux gens pressés. C’est d’autant plus vrai en matière de vin jaune, un nectar qui doit attendre au moins six ans avant d’être dégusté. “Je fais en sorte que mon vin soit le reflet exact du terroir, avec une belle minéralité et une robe d’un jaune pas trop violent.” L’exi- gence, toujours en ligne de mire. Et la quête du meilleur s’immisce dans les plus infimes détails. “Je me suis aperçu par exemple que mettre le raisin sur des petits pla- teaux plutôt que dans des caisses lors de la récolte permettait de mieux le travailler, de moins abî- mer les grains” dit-il. Philippe Feuvrier a donc dû attendre six années avant de pouvoir goûter sa première cuvée. “C’est très long mais on occulte

Philippe Feuvrier récolte chaque année 18 hectolitres environ de sa cuvée baptisée “Puits Saint-Pierre”.

ve même pas à la carte de son restaurant du Pont de la Roche. Le vin serait-il un plaisir égoïs- te ? “Au contraire, se défend l’in- téressé. Je le partage avec mes amis et je ne conçois surtout pas le vin comme un bien de consom- mation personnelle. On ne peut pas imaginer faire du vin sans le partager. Et l’idée du vin com- me bien de spéculation m’est tota- lement étrangère” ajoute le chef, avant de retourner d’un pas aler- te dans les cuisines de son éta- blissement où, depuis 1976, il applique la même exigence que celle qu’il met dans sa passion cachée. ■ J.-F.H.

vitre les moments difficiles et les doutes. Au moment de goûter, c’est beaucoup d’émotion et de fébrilité à la fois.” Depuis, le viticulteur “amateur” poursuit ses efforts pour amé- liorer son breuvage. Il garde son œil critique, effectue des stages d’œnologie à Beaune pour par- faire sa science du vin et chaque année, remet inlassablement son métier sur l’ouvrage. “Mais je suis bien conscient que malgré tout le soin apporté à la vigne, nous dépendons d’un facteur incontournable : les conditions météo. On ne peut pas y échap- per et c’est aussi en cela que le métier est beau. Il faut rester très

humble et ne pas oublier que la nature a toujours le dernier mot. Le vin est une école d’hu- milité.” L’hectare qu’il cultive à Château-Chalon lui permet de récolter 18 hectolitres. Un petit rendement, par rapport aux 80 hectolitres à l’hectare que peut donner un riesling par exemple, mais c’est certainement cette rareté qui a forgé la réputation de l’appellation château-chalon. Inutile de chercher la cuvée du “puits Saint-Pierre” - c’est le nom de sa parcelle - dans les maga- sins ou même chez les cavistes de la région, le vin jaune produit par Feufeu échappe à tout cir- cuit commercial. On ne le trou-

sons, le lopin de terre qu’il possède depuis dix ans à Château-Chalon, berceau d’un breuvage mythique du vignoble jurassien : le vin jaune. Dans la bourgade juras- sienne, l’infatigable

pas au bout de ses peines. Pour accéder à son rêve, il devait contourner plu- sieurs obstacles : obtenir l’accord de la S.A.F.E.R. et du propriétaire de la parcelle, et se défaire d’un cabinet d’avocats qui

Le vin jaune produit par Feufeu échappe à tout circuit commercial.

défenseur du bon vivre vit cette autre passion, en toute discré- tion. Là-bas, il est devenu le pro- priétaire d’un hectare de vigne, une véritable prouesse dans cet- te partie de vignoble si prisée et jalousement gardée par les récol- tants du cru. Une fois encore, c’est la passion

s’était également mis sur les rangs, bien décider à rafler la mise. “Ce cabinet représentait certainement les intérêts d’une grosse cylindrée, d’une grande maison de vin.” Malgré les sur- enchères financières proposées par la partie adverse, c’est à Phi- lippe Feuvrier que l’hectare de

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