EN MODE ACTION 04 - Avril 2025

Printemps 2025 | EN MODE ACTION.

“UNE DÉMOCRATIE QUI NE RÉFLÉCHIT PLUS À SES INSTITUTIONS COURT UN GRAVE DANGER” Bras droit de Christine Bouquin en tant que directeur général des services au Département du Doubs, Emmanuel Faivre vient de sortir un essai intitulé “Débloquer la France”. Pour tenter d’en finir avec la lourdeur du centralisme français. Interview. Politique IL DONNE QUELQUES CLÉS POUR “DÉBLOQUER LA FRANCE”

ACTU ➜

Par Jean-François Hauser

En Mode Action : En préambule de votre ouvrage, vous estimez que le sentiment de blocage de la France interpelle et inquiète les Français. Vous êtes vous même inquiet ? Emmanuel Faivre : Oui je le suis et je suis d’autant plus à l’aise de le dire que je suis au cœur de la “machine” depuis plus de quinze ans et plus ça va, plus ce sentiment de blocage est grand. Je dirais que ça s’est franchement aggravé depuis une dizaine d’années et plus encore depuis cinq ans. Le premier problème, qui ne date pas d’hier, c’est le centralisme de notre pays. C’est de pire en pire, et non seulement ça ne s’arrange pas, mais on assiste à un vrai phénomène de recentralisation des décisions. Chaque dispositif est assorti d’injonctions venues de Paris. La loi est devenue beaucoup trop bavarde. Elle voudrait tout dire et au final, elle devient inapplicable. En Mode Action : Avez-vous un exemple concret ? E.F. : Une illustration très simple et récente au sein du Département : les 15 heures d’activité obligatoire pour les bénéficiaires du RSA. C’est une loi qui a été promulguée l’an dernier et nous n’avions au printemps toujours pas les décrets d’application. De notre côté, nous n’avions pas attendu la loi pour proposer aux personnes au RSA des heures d’activité pour les aider à reprendre pied le plus rapidement possible. Le législateur fait une loi pour ça, comme si les acteurs de terrain n’étaient pas capables de le faire eux-mêmes sur les territoires. Sur le principe, les lois devraient juste donner l’objectif, aux collectivités ensuite de trouver les méthodes pour les appliquer. En Mode Action : Vous parlez de recentralisation. Qu’entendez-vous par là ? EF : Ce phénomène a sans doute commencé avec la loi NOTRE. Et ça n’a pas cessé depuis. Encore un exemple récent et qui a fait l’actualité des Départements : les enfants placés de l’ASE (NDLR : Aide sociale à l’enfance). À Paris, le législateur est

en train de repenser les normes d’encadrement des enfants et au final, il y aura tellement de mesures restrictives que nous serons obligés de fermer des places ASE alors qu’il y aurait besoin d’en avoir plus. La bureaucratisation et l’augmentation incessante du nombre de normes qui s’empilent, sans d’ailleurs en remplacer d’autres, est devenue insupportable. Et pire : cette bureaucratisation finit par déresponsabiliser le local. Autre exemple avec la loi 3DS de 2022 qui portait diverses mesures de simplification de l’action publique locale et grâce à laquelle les collectivités étaient censées pouvoir déroger à certaines règles nationales. Fin 2024, au Département du Doubs, on a demandé à déroger à une règle afin de pouvoir verser une prime à certains éducateurs. Nous n’avions jamais reçu de réponse de l’État. Du coup, on l’a quand même mise en œuvre cette prime, mais sans autorisation… EF : Bien sûr. Le manque d’autonomie, notamment financière, avec la suppression de la taxe d’habitation pour les communes et de la taxe sur le foncier bâti au bénéfice des Département, a été dramatique. Les collectivités vivent désormais des subventions de l’État. Et si l’État gérait bien, ça se saurait… Je vois un quatrième problème, c’est le manque de solidarité entre les territoires dans ce pays. En Mode Action : Après ces constats, vous dessinez des solutions. Pour vous, le fédéralisme pourrait être une des clés de la solution ? EF : Pour combattre tous ces maux, oui, je pense que les idées fédérales que l’on voit à l’œuvre chez nos voisins proches que sont les Suisses et les Allemands, permettent une meilleure efficacité dans les rouages des collectivités. Seulement, la France a toujours été hermétique à ces idées fédérales, sans doute parce que ce système est trop méconnu ici. En Mode Action : La réforme de la fiscalité locale n’a-t-elle pas renforcé ce sentiment de centralisme ?

Stop aux injonctions venues de Paris.

16 |

Made with FlippingBook Learn more on our blog