Le Doubs Agricole 46 - Novembre 2025

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Le blues de l’épicéa et le sourire du sapin Le Département de la Santé des Forêts vient de sortir une synthèse

P eut-on encore qualifier d’épidémie un phé nomène qui se renouvelle avec la même intensité depuis bientôt 10 ans ? “Les attaques de scolytes typographes ont débu té à partir de 2018 en se concentrant d’abord sur les premiers et seconds plateaux avant de se pro pager à partir de 2022 sur les peuplements d’épi céas situés au-delà de 1 000 mètres” , explique Mathieu Mirabel, responsable du pôle Bourgogne Franche-Comté au Département de la Santé des Forêts. L’épidémie de typographes a basculé sur la haute chaîne après la sécheresse de 2018. Elle sévit toute particulièrement sur la partie sud du massif jurassien, entre Pontarlier et La Pesse alors que le secteur Pontarlier-Maîche est relativement épargné. Comment expliquer cette différence ? “On a émis plusieurs hypothèses sur le secteur nord où l’épicéa a toujours été moins présent dans les paysages. L’explication principale tiendrait au fait que le secteur nord a été plus touché par les orages en 2022-2023, ce qui l’a aussi préservé du typographe. Cette différence nord-sud est aussi d’actualité côté suisse où le territoire correspon dant au canton de Neuchâtel est moins touché que sur la partie vaudoise ”, avance Mathieu Mira bel. Difficile de nier l’impact du dérèglement cli matique. Depuis 2018, le climat s’est réchauffé de + 3 °C dans le massif jurassien au-delà de la norme. “Cela correspond à une baisse d’altitude de 500 m.” Assez paradoxalement, les mortalités de jeunes sur l’état sanitaire des forêts comtoises : elle montre que l’épidémie de typographes se poursuit dans les peuplements d’épicéas de la haute chaîne alors qu’on assiste à un retour à la normale pour les mortalités de sapins pectinés. Explications.

Les dégâts sont bien visibles en cet automne du côté de Bois-d’Amont.

épicéas liés au scolyte chalcographe demeurent toujours très rares. “Le typographe s’attaque uni quement aux épicéas faisant plus de 20 cm de diamètre.” Est-ce reculer pour mieux sauter ? “Pas sûr, estime Mathieu Mirabel. L’avenir nous le dira. On aura dans l’avenir des forêts plus mélangées qu’actuellement donc plus résilientes.” La disparition de l’épicéa au profit d’essences feuillues comme le hêtre n’est rien d’autre qu’un retour au peuplement naturel qu’on trouvait dans les montagnes jurassiennes avant qu’on ne se déci de à planter massivement de l’épicéa. “Les essences pionnières du massif seraient plutôt le hêtre et le sapin.” Le sapin justement, et c’est la très bonne nouvelle de l’année forestière, semble désormais à l’abri des attaques de scolytes du genre Pityok teines sp., celles-ci ont fortement régressé en 2025 comparativement aux années précédentes. Les gros dépérissements observés sur le hêtre en 2019 sont en forte régression. La situation est mainte nant stabilisée. “Il ne faut pas sous-estimer la capa cité d’adaptation à la sécheresse de certaines espèces qui poussent plus lentement, dévelop

pent un système racinaire plus profond…” Les premiers résultats de l’étude menée sur Tha nasimus formicarius, principal prédateur du typo graphe sont tombés. “Plus connu sous le nom de clairon des fourmis, il est présent sur tout le mas sif jurassien alors qu’il est absent dans les Vosges et les Ardennes. Cette différence s’explique car ce prédateur du typographe a besoin d’arbres avec une écorce épaisse, une caractéristique qu’on trou ve seulement dans le Jura. On constate aussi qu’il y a une dynamique différente du clairon des four mis entre le nord et le sud du massif jurassien. On l’a détecté de façon plus fréquente dans le Nord, ce qui pourrait aussi expliquer pourquoi l’épidé mie y est moins intense. Rappelons aussi que l’ob jectif n’est pas d’éradiquer le scolyte mais de limi ter les pullulations. Depuis 2024 dans le canton de Vaud, on a systématisé l’écorçage des bois. On souhaite développer ce moyen efficace de lutte côté France mais on se heurte pour l’instant à des considérations financières. Sachant bien entendu que le principal facteur de régulation reste lié aux conditions climatiques” Quelle stratégie de replantation semble la plus effi cace ? Difficile de se prononcer si ce n’est en faveur d’une diversification des arbres y compris en y introduisant des essences plus méridionales. “Le réchauffement climatique va accentuer les froids extrêmes comme les canicules, ce qui rend le choix des essences beaucoup plus complexe. Il faut composer avec ces incertitudes, accompagner le changement en restant humble et très observa teur.” n Un paysage auquel il faudra sans doute s’habituer avec des parcelles où tous les épicéas scolytés ont été exploités et où l’on retrouve des hêtres en bonne santé malgré une forêt plus claire (photo D.S.F.).

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