La Presse Pontissalienne 285 - Octobre 2023

4 L’interview du mois

La Presse Pontissalienne n°285 - Octobre 2023

POLITIQUE

Dominique Voynet

“Des combats presque gagnés ne le sont plus” Après avoir occupé de nombreuses fonctions politiques, dont celle de ministre, Dominique Voynet est revenue aux sources en tant que secrétaire régionale d’Europe Écologie-Les Verts. Entretien avec une militante écologiste depuis 40 ans qui n’a jamais fait défaut à son parti politique.

L a Presse Pontissalienne : Vous avez été à la tête de l’Agence régionale de santé à Mayotte pendant deux ans (2020 2021) avant de prendre votre retraite. Quelles sont les raisons qui vous ont poussées à reprendre un mandat politique local en tant que secrétaire régionale E.E.L.V. ? Dominique Voynet : À Mayotte, c’était une période assez compliquée à gérer avec les confinements et la crise du Covid, ainsi que des crises de l’eau permanentes. Cela a demandé beaucoup d’énergie, et a été exigeant sur le plan personnel et professionnel. Au moment de prendre ma retraite, je ne pensais pas du tout me réinvestir politiquement. Je suis adhérente depuis 40 ans chez E.E.L.V. Mais en revenant dans la région, j’ai mesuré à quel point les lieux de l’enga gement collectif en général, dans les partis politiques, les associations, les syndicats, etc. avaient été lourdement impactés par le Covid. Le post-Covid a été difficile. Au fil des visios et des annu lations d’événements, une partie des forces vives s’est épuisée. Cécile Pru dhomme, alors elle-même secrétaire régionale du parti, a été happée par son engagement auprès d’Anne Vignot. J’ai trouvé que c’était une bonne idée un engagement sur une durée limitée (trois ans) avec comme envie de redresser la maison abîmée par le Covid et préparer la suite. Il y a beaucoup de jeunes pousses qui nous entourent.

veurs face à leurs bêtes éventrées, les indemnisations de troupeaux ne suffisent pas. Mais je continue à penser qu’on peut concilier le pastoralisme avec le loup. Il nous faut une connaissance plus fine du loup, on voit bien qu’une meute ne chasse pas facilement les bovins, ce sont souvent des animaux isolés. Un dialogue est pos sible, des gens cherchent des solutions ensemble, ce n’est pas droite-gauche ou entre syndicats. Il faut qu’on soit tota lement cohérent avec notre politique agricole. On a cherché à éradiquer le renard, à déterrer les blaireaux. Peut être qu’il faut revenir à une chaîne ali mentaire plus complexe. L.P.P. : Quels sont les grands chantiers qui attendent E.E.L.V. ? D.V. : Dans les années 80-90, une bonne partie de la société doutait de la réalité de la crise écologique, le travail était essentiellement de convaincre et d’éviter de détruire. Aujourd’hui, la situation est paradoxale. Les gens sont conscients du changement climatique mais il y a un déni très fort lié à l’angoisse de l’impact du changement climatique. C’est une façon de mettre la tête dans le sable. Mais si on repousse encore l’adoption de mesures efficaces, demain, les décisions devront être plus rapides et plus auto ritaires. Il faut une approche polyvalente, les gens ont des préoccupations plus immédiates comme payer son loyer, son chauffage, remplir son caddie. Notre rôle est l’accompagnement, on doit avoir des aides conditionnées à l’adoption de bonnes pratiques avec le même degré de res ponsabilité écologique et sociale. Sur le terrain par exemple, la qualité de l’eau est menacée par certaines produc tions dont on est le plus fier. Pendant très longtemps, je mettais en avant les efforts de la filière comté pour une agri culture plus durable. Aujourd’hui, on finit par payer le prix du succès du comté. Or, il faut que ce soit vivable et durable. L.P.P. : Lors de votre élection il y a un an, vous souhaitiez renouer le contact avec les agriculteurs. Qu’en est-il aujourd’hui ? D.V. : Je suis nostalgique de l’époque où le dialogue était rugueux mais toujours très direct. Pour autant, début juin, lors de nos journées de printemps, nous avons invité par exemple Daniel Prieur et les syndicats agricoles pour échanger avec eux.

qui deviendront peut-être le ou la future Dominique Voynet ? D.V. : Je leur souhaite (rires). Le parti a tendance à se renforcer dans les lieux où les équipes ont gagné des villes. J’ai le sentiment qu’en Franche-Comté, les jeunes pousses sont parfois isolées dans des territoires ruraux qui ne sont pas forcément faciles pour les écologistes. On peut citer Évelyne Poix dans le Haut Doubs, Anna Maillard à Montbéliard, Anne Perrin à Lons-le-Saunier ou encore

Jocelyn Chenevier en Haute-Saône. Les gens sur lesquels on va compter demain, ce ne sont pas forcément des techniciens mais des gens enracinés sur le territoire qui connais sent ses forces et fai blesses, ses habitants. Je suis très attentive à l’ancrage territorial et aux capacités à mobi liser autour de soi. Il faut susciter de l’en thousiasme militant sinon on ne changera pas le monde. L.P.P. : Un mot sur le loup dans le Haut-Doubs et notamment le nouveau plan d’action du gouvernement ? D.V. : Je ne sous-estime pas la détresse des éle

“Je ne sous estime pas la détresse des éleveurs face au loup.”

Dominique Voynet est revenue dans ses terres natales après un dernier passage professionnel à Mayotte. Depuis un an, Dominique Voynet occupe le poste de secrétaire régionale d’E.E.L.V.

L.P.P. : Vous arrivez à la fin de la première année de votre mandat. Quel bilan peut-on en tirer ? D.V. : Il y a eu une année assez riche chez nos élus. Anne Vignot, lors de notre assem blée générale en novembre, viendra sûre ment faire le point sur le travail effectué à Besançon. La Région est à la croisée des chemins avec un budget difficile à boucler. Nous restons des partenaires loyaux mais exigeants pour faire valoir notre point de vue. Et puis, il y a l’évolution du parti en lui-même. Il est très durement critiqué, c’est toujours la question du mes sager qui apporte des mauvaises nouvelles, qui suscitent des bouleversements dans notre vie. On préfère détester le parti plutôt que de se poser les vraies questions. Nous avons une équipe profondément renouvelée, jeune, qui incarne la diversité de la France avec un peu de sagesse des anciens. À l’issue des états généraux du parti, la décision a été prise de mourir pour renaître le 14 octobre sous le nom Les Écologistes. L.P.P. : Vous avez occupé presque tous les postes d’élus (députée, sénatrice, conseillère régionale, maire) et candidate à la présidentielle. Souhai tez-vous briguer un autre mandat à l’avenir ? D.V. : Pas du tout. J’ai adoré le travail que j’ai fait. Je ne me suis pas beaucoup éclaté au Conseil régional mais j’ai adoré mon mandat de maire, car on voit le bout des actes, il y a le contact avec la population. Le mandat de parlementaire est très frus trant car si on est dans la majorité, on vous demande de ne pas gêner le gouver nement, si vous êtes dans l’opposition, c’est “cause toujours, tu m’intéresses.”

Bio express l 1958 : Naissance à Montbéliard l 1984 : Elle figure parmi les fondateurs du parti Les Verts l 1985-1989 : Médecin-anesthésiste réanimatrice à Dole l 1985 : Cheffe de fil des Verts à Besançon l 1991 : députée européenne avant de devenir porte-parole nationale des Verts l 1992-1994 : Conseillère régionale l 1995 : Candidate à la présidentielle l 1997 : Députée de la troisième circonscription du Jura. La même année, le projet du grand canal Rhin-Rhône est abandonné. et de l’Environnement. Elle démissionne à la suite de son élection comme secrétaire nationale des Verts l 2004-2011 : Sénatrice l 2007 : Candidate à l’élection présidentielle l 2008-2014 : Maire de Montreuil l 2020-2021 : À la tête de l’Agence régionale de santé à Mayotte l Novembre 2022 : élue comme secrétaire régionale Franche-Comté d’E.E.L.V. l 1997-2001 : Ministre de l’Aménagement du territoire

L.P.P. : Justement, quelles sont ces jeunes pousses

Zoom Évelyne Poix, le lien du Haut-Doubs Elle est adhérente aux Verts depuis longtemps mais s’investit politiquement dans E.E.L.V. depuis deux ans maintenant. Évelyne Poix, co-secrétaire du groupe du Haut-Doubs et membre du bureau politique, l’avoue volontiers : le dynamisme de Dominique Voynet qui lui a tendu la main y est pour quelque chose. Habitant du côté de Vercel, cette professeure de musique confesse que les plus grosses difficultés restent le dialogue avec les chasseurs et les agriculteurs. “L’idée est de faire du lien, de se retrousser les manches et d’aller parler à des gens qui sont parfois très hostiles, remplis de clichés sur les Verts. Il faut arriver à casser la frontière et que les gens s’écoutent.” Bon an mal an, une période de compromis s’est ouverte depuis quelque temps entre Verts et agriculteurs. “Même si la discussion est conflictuelle, au moins on a écouté ce que les autres disaient. Il y a 12 ans, c’était impossible à concevoir” , reprend Évelyne Poix. Au niveau national, Évelyne Poix noue aussi des liens, elle fait remonter les informations de terrain au parti national et vice-versa. n

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