La Presse Pontissalienne 281 - Juin 2023
4 L’interview du mois
La Presse Pontissalienne n°281 - Juin 2023
POLITIQUE
L’avenir de l’école
“L’autonomie des écoles, c’est la clé de la réussite” Le sénateur du Doubs Jacques Grosperrin vient de ren dre un rapport sénatorial proposant des pistes
très parlant. Contrairement à ce qu’af firment certains syndicats ici en France, ce n’est pas qu’une question d’argent. Dans notre système éducatif, les bons élèves restent bons élèves, les élèves moyens parviennent à progresser mais surtout, on n’arrive pas à faire remontent les élèves les plus en difficultés. Mais le problème principal de l’Éducation natio nale en France, c’est que chaque ministre chasse la réforme de son prédécesseur. Or, le temps de la vie scolaire n’est pas le temps de la vie politique. L.P.P. : Qu’entendez-vous par plus d’autonomie ? J.G. : Les systèmes les plus performants sont ceux qui donnent le plus de place à la liberté et à l’autonomie des établis sements scolaires. Piloter par le haut les équipes pédagogiques ne donne pas
d’amélioration pour l’école de la République. Le niveau des élèves français de primaire continue de baisser.
L a Presse Pontissalienne : Comment se porte l’école en France ? Jacques Grosperrin :Avec l’argent qu’on y consacre tous les ans, les résultats devraient être excellents, ce qui n’est hélas pas le cas. Avec près de 60 milliards d’euros, c’est le premier budget de la Nation. Les résultats ne sont pas à la hauteur de cet investissement. L.P.P. : Sur quel constat vous basez-vous pour affirmer cela ?
J.G. : Sur l’ensemble des évaluations inter nationales menées depuis des années, et elles sont irréfutables. Toutes ces études montrent que dans les matières fondamentales que sont le français et les mathématiques, nos petits Français sont à la traîne. Ce n’est pas là où on met le plus de moyens que ça fonctionne, mais là où on met le plus d’autonomie aux écoles. L’exemple de la Finlande où j’ai déjà eu l’occasion de me rendre pour étudier le système éducatif est en cela
(sauf celui sur le port de l’uniforme) ont été votés à une large majorité, est bien d’alerter et de faire évoluer le ministre de l’Éducation nationale sur l’école. C’était aussi une occasion d’entendre ce ministre dont on ne connaît finalement pas très bien les convictions. L.P.P. : Quelle sera la suite de cette proposition de loi adoptée par le Sénat le mois dernier ? J.G. : Cette proposition doit partir à l’As semblée Nationale. Il faut désormais que les Républicains trouvent une niche afin qu’elle puisse être votée et adoptée. On a eu trop de débats sur l’Éducation nationale au Sénat comme à l’Assemblée, il s’agit maintenant de passer à l’action et d’avancer sur ces questions. Je suis convaincu que cette proposition de loi fera son chemin et contribuera à faire évoluer les choses dans le bon sens. Le problème, il faut aussi l’avouer, c’est qu’en matière d’Éducation nationale, on subit encore hélas les effets de Mai 68 avec des enseignants qui disons-le, n’ac ceptent toujours pas d’avoir un chef ou une autorité au-dessus de leur tête. Notre rôle est aussi de secouer le cocotier. J’en
de bons résultats, on le voit. L’Éducation nationale souffre énormément de la ver ticalité. Plus d’autonomie, ça veut notam ment dire un vrai chef d’établissement dans les écoles primaires, à l’image de ce qui se fait dans les collèges et les lycées, c’est-à-dire un directeur qui ait autorité sur les enseignants pour donner des orientations, fixer un cap en matière pédagogique et organisationnel, qu’il ait lui-même la possibilité de recruter cer tains enseignants. Et que les établisse ments aient aussi plus d’autonomie dans leur gestion, que les directeurs puissent choisir leurs outils pédagogiques, tout en respectant évidemment les pro grammes nationaux. L.P.P. : Parmi les propositions émises par votre commission sénatoriale, la seule à avoir été rejetée, figurait le port de l’uniforme. Vous le défendez ? J.G. : Cette disposition n’a pas été retenue en effet mais personnellement, je continue de penser que le port de l’uniforme à l’école est un bon moyen de niveler les différences sociales entre les élèves, et de donner aux enfants un sentiment d’appartenance à un établissement, à un collectif. C’est une vraie question qui se pose, notamment dans certains éta blissements de la région parisienne. L.P.P. : Une des élues qui a participé aux débats, la sénatrice écologiste Monique de Marco estimait que les articles de la proposition de loi que vous avez présentée sont tous des marqueurs de droite en matière d’éducation… J.G. : Et ce serait un défaut d’être de droite ?… J’ai été fier de porter ces pro positions, on ne peut pas accepter d’être passifs par rapport à ce qui se passe dans certains établissements scolaires en France et au regard de la baisse globale du niveau de nos élèves. L’idée de cette proposition de loi dont tous les articles
Zoom Les principaux constats de la commission l Malgré des dépenses importantes en France en faveur de l’éducation, notamment de l’éducation prioritaire, les inégalités entre les élèves demeurent très fortes. La dernière étude P.I.S.A. (2018) montre que comparé à ceux des autres pays de l’O.C.D.E., le système scolaire français favorise la réussite des enfants qui réussissent le mieux tandis qu’il est de moins en moins capable de faire réussir les enfants les moins privilégiés. La France reste l’un des pays où l’origine sociale des élèves conditionne le plus leur parcours scolaire. l L’étude internationale T.I.M.S.S. 2019 permet de constater quant à elle que les élèves français de CM1 sont surreprésentés parmi les élèves européens les plus faibles : au lieu des 25 % attendus dans le quartile inférieur, ils sont 45 % en mathématiques et 41 % en sciences. 15 % des élèves français - soit 1 sur 7 - ne maîtrisent pas les compétences élémentaires en mathématiques, ils sont seulement 6 % au niveau européen. l Les évaluations intergénérationnelles mettent également en lumière une baisse de la maîtrise des savoirs fondamentaux. En 40 ans, sur une même dictée, les élèves de CM2 de 2021 font significativement plus de fautes que leurs prédécesseurs de 1987. Répartition du nombre d’erreurs obtenues à la dictée ( %) ≤ 2 erreurs ≤ 5 erreurs ≤ 10 erreurs ≥ 15 erreurs ≥ 25 erreurs 1987 12,9 30,7 58,1 26,2 6,9 2007 5,8 15,6 36,6 45,7 13,2 2015 2,0 7,7 24,4 59,4 22,7 2021 1,9 7,0 21,9 63,0 27,5 l Le sentiment d’appartenance à une communauté scolaire est peu développé en France. En 2018, 31 % des élèves français disent se sentir comme un étranger dans leurs écoles. l Non seulement cette proportion est nettement supérieure à la moyenne de l’O.C.D.E. (20 %), mais surtout elle a fortement augmenté en trois ans (+ 8 points) puisqu’elle atteignait 23 % en 2015 pour les élèves français. Sans doute signe de ce manque de sentiment d’appartenance, les élèves français sont parmi ceux, au sein de l’O.C.D.E., qui coopèrent le moins entre eux dans leurs établissements (P.I.S.A. 2018).
suis convaincu : l’auto nomie des écoles, c’est la clé de la réussite. Avec plus d’autonomie, on va responsabiliser les encadrants, les enseignants et les élèves. L.P.P. : N’y a-t-il pas aussi un problème de formation des enseignants des écoles ? J.G. : Il y a en effet un gros problème de for mation. Les anciens I.U.F.M. devenus I.N.S.P.É. doivent évo-
“En France, chaque ministre chasse la réforme de son prédécesseur.”
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