La Presse Pontissalienne 278 - Mars 2023

4 L’interview du mois

La Presse Pontissalienne n°278 - Mars 2023

PÊCHE

Le président de la Fédération départementale du Doubs

“Les pêcheurs sont de vraies sentinelles de l’environnement” Au moment où s’ouvre la saison de la pêche, le président de la fédération départementale Philippe Grosso fait le point sur l’activité pêche alors que le déficit en eau et la qualité des rivières inquiètent.

est le cas récemment avec les froma geries, on utilise ces dommages et inté rêts pour la restauration des cours d’eau. Sur le plan judiciaire, nous tra vaillons en étroite collaboration avec Claire Keller, substitut du procureur, la référente du Pôle régional spécialisé en matière d’atteinte à l’environnement (P.R.E.) qui fait un énorme travail depuis qu’elle est arrivée. À l’échelle de la fédération, nous avons dédié un de nos salariés, Alexandre Cheval, entièrement sur ces dossiers d’atteinte à l’environnement. Plus que quiconque, les pêcheurs sont de vraies sentinelles de l’environnement. L.P.P. : Le 1 er mars ouvrait la pêche en première catégorie sur le Doubs franco-suisse et le 11 mars dans le reste du département. Êtes vous inquiet pour cette saison 2023 ? P.G. : Comme chaque année, mais c’est le cas depuis plus de quarante ans que je pratique la pêche, on déversera des truites portions dans le Doubs. 400 kg par exemple sont déversés entre Pon tarlier et Morteau, entre le Pont du Diable à Remonot et le Pont de la Roche. Et 200 kg supplémentaires seront déversés autour de Pâques. On préfé rerait ne pas avoir à en remettre mais c’est ainsi depuis des décennies, ce phénomène n’est pas nouveau. Les récents épisodes de mortalité sont dus à la saprolegnia, des micro-organismes qui sont à l’origine de ces mortalités, et qui elles aussi sont souvent présents dans l’eau mais qui semblent muter et évoluer, un peu comme les variants du Covid. L.P.P. : Soutenez-vous les actions menées par des associations comme S.O.S. Loue et rivières comtoises ? (voir ci-contre) P.G. : Ce sont des associations avec les quelles on essaie de travailler. L’idée serait de se regrouper pour travailler efficacement ensemble sur ces ques tions de mortalité piscicole. Y compris avec les autorités préfectorales. Le pré fet actuel semble d’ailleurs prendre ces questions à bras-le-corps. Ma crainte, c’est que comme tous les préfets, il s’en aille dans un ou deux ans et qu’on doive recommencer à zéro de tra vail en commun. L.P.P. : Que pensez-vous du “plan rivières kars tiques 2022-2027” qu’il a initié il y a quelques mois ? P.G. : Je trouve juste un peu dommage qu’il n’ait pas impliqué la fédération de pêche avant de présenter ce plan qui a un défaut majeur selon moi : il perd deux ans par rapport aux objectifs fixés précédemment par les autorités et le Département qui était à horizon 2025. C’est une manière de gagner du temps qui semble en contradiction avec les impératifs actuels.

L a Presse Pontissalienne : Que représente la pêche aujourd’hui dans notre dépar tement du Doubs ? Philippe Grosso : La pêche, ce sont 57 A.A.P.P.M.A. (Associations Agréées pour la Pêche et la Protection du Milieu Aquatique) réparties sur l’ensemble du territoire départemental, qui repré sentent au total environ 15 000 pêcheurs. Le Doubs se distingue un peu par son grand nombre d’A.A.P.P.M.A., dont la plus importante en termes d’adhérents est celle de Pon tarlier (La Truite pontissalienne et du lac Saint-Point). Le nombre de pêcheurs se stabilise dans notre département. Pour maintenir les effectifs dans un contexte qui est plus compliqué qu’avant, on essaie de mener des opé rations à destination des jeunes comme les A.P.N. (Ateliers pêche nature) que de nombreuses sociétés de pêche pro posent aujourd’hui. L.P.P. : Vous êtes président de la fédération départementale depuis près d’un an (avril 2022). Un gros travail ? P.G. : J’en apprends tous les jours depuis que je suis à la tête de cette fédération où on est en lien régulier avec les E.P.A.G.E., la préfecture, la D.D.T., les associations de protection du milieu, l’Agence de l’eau, etc. Mon premier challenge a été de remettre de la confiance et de la cohésion au sein de l’équipe de 7 salariés que compose la fédération. Je crois que c’est chose faite. Et depuis un an, on a beaucoup de tra

vail en lien avec l’actualité des rivières.

L.P.P. : L’état des rivières vous préoccupe beau coup ? P.G. : La grande préoccupation du moment, ce sont les niveaux d’eau dans nos rivières. À l’aval de Pontarlier en direction de Morteau, l’eau ne coule déjà plus dans le Doubs à certains endroits… C’est très préoccupant. Et évidemment, la question des mortalités piscicoles sur le Doubs franco-suisse en décembre dernier et sur le Loue

encore récemment me préoccupe beaucoup. L.P.P. : Sur ce dernier point, quel est le rôle de la fédé ration départementale de pêche ? P.G. : Depuis que je suis à la présidence de cette fédération, j’ai souhaité mettre l’ac cent sur la partie jus tice. C’est-à-dire qu’on porte désormais plainte quasi systé matiquement quand un problème survient et on monte des dos siers de préjudices au profit de nos A.A.P.P.M.A., avec des grosses sommes qui peuvent être en jeu. Et quand on obtient gain de cause, ce qui dont justement celle de la fromagerie de Noironte. Fin janvier, la préfecture du Doubs avait mis en demeure 14 fromageries (sur 95 que compte le département) de mettre en conformité leurs installations de traitement ou réparer les canalisations défec tueuses. Allant même jusqu’à prononcer des astreintes pouvant atteindre 1 500 euros par jour. Sur les 14, 6 entreprises ont effectué les travaux per mettant la levée de la mise en demeure. n

“La grande préoccupation du moment, ce sont les

Philippe Grosso a pris la présidence de la fédération départementale de la pêche en avril dernier.

niveaux d’eau.”

mettre sur le dos de l’agriculture.

L.P.P. : Pointez-vous les activités agricoles dans l’état de nos rivières ? P.G. : Non. Il est évident que la pollution des cours d’eau est mul tifactorielle. Nous avons d’ailleurs un dialogue constructif avec la Chambre d’agriculture qui ne pourra être que béné fique. Nous faisons tous le même constat : le kg par hectare de truites est en baisse constante, il y a des vieux spécimens, des plus jeunes aussi mais peu d’âge moyen. C’est une des raisons pour lesquelles on avait mis l’intégralité

L.P.P. : Sentez-vous tout de même une prise de conscience ? P.G. : Je pense que la prise de conscience est désormais générale, il faut trouver maintenant les solutions. Hélas, il existe encore des personnes qui pensent que de vider leur friteuse dans un ruis seau n’a aucune conséquence… L.P.P. : La pêche reste-t-elle un loisir accessible à tous ? P.G. : Pour une centaine d’euros par an, on peut pêcher dans la plupart des A.A.P.P.M.A. Mais c’est comme dans tous les sports, certains peuvent s’amu ser à acheter des cannes à 2 000 euros pièce. L.P.P. : Pourquoi n’existe-t-il pas dans le Doubs des cartes fédérales de pêche qui permettrait de pêcher partout avec la même carte ? P.G. : C’est le grand problème dans notre département où chaque A.A.P.P.M.A. gère sa partie. Dans la Loue, presque chaque village a sa propre société ! Il y aurait évidemment un travail d’uni formisation à faire, mais c’est un énorme chantier. Il y a eu des initiatives comme cette carte E.H.D.A. (Entente halieutique Doubs amont) qui regroupe 9 A.A.P.P.M.A. de Mouthe à Morteau avec un tarif adulte unique à 142 euros et une carte permettant de pêcher sur l’ensemble de ce territoire. Mais c’est sans doute insuffisant. Depuis sa créa tion, certaines A.A.P.P.M.A. comme Pont-de-Roide ou Villers-le-Lac se sont retirées de cette entente, preuve que ce n’est pas un sujet simple que de fédérer tout le monde ! n Propos recueillis par J.-F.H.

“On perd deux ans avec le plan rivières karstiques du préfet.”

Les fromageries sommées de se mettre en conformité Zoom

de la Loue en “no kill”. On réfléchit à étendre cette mesure aux autres cours d’eau les années prochaines. Mais le vrai souci n’est pas là car on constate que ce n’est en aucun cas la pression du pêcheur qui modifie la population de poissons. Je ne suis pas pour autant catastrophiste. On constate que le Des soubre ne se comporte pas trop mal actuellement et je croise les doigts pour que ça continue, et que le Doubs franco suisse semble se stabiliser. L.P.P. : La pollution est donc bien multifactorielle selon vous ? P.G. : J’en suis persuadé. Beaucoup de produits domestiques, sanitaires, vété rinaires ou encore pharmaceutiques ne sont pas du tout traités en stations d’épuration. On ne peut donc pas tout

L e 1 er février dernier se tenait au tribunal cor rectionnel des audiences entièrement dédiées aux délits environ nementaux à l’image de celle de juin 2022 qui a condamné deux patrons de fromagerie, un éleveur de porc et un maire. Lors de cette audience de 1 er février, la fromagerie de Noironte a été notamment citée à comparaître pour “déversement par personne

morale par imprudence ou négligence de substance nuisible dans les eaux sou terraines, superficielles ou de la mer” et pour “rejet en eau douce ou pisciculture par personne morale de substance nuisible au pois son ou à sa valeur alimen taire.” Pour autant, une audience dédiée par semes tre n’est pas suffisante pour traiter tous les dossiers en une demi-journée. Deux affaires ont été renvoyées

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