La Presse Pontissalienne 273 - Octobre 2022

26 Le dossier

La Presse Pontissalienne n°273 - Octobre 2022

l Banque

Les craintes des professionnels

“L’immobilier reste la meilleure valeur refuge” Après un début d’année positif, l’automne s’annonce plus compliqué pour les emprunteurs. L’éclairage de Sylvie Rodier, la directrice des crédits et de l’immobilier au Crédit Agricole Franche-Comté.

L a Presse Pontissalienne : Comment se porte actuellement lemarché des crédits immobiliers ? Sylvie Rodier : Paradoxalement, malgré le contexte, la demande reste très forte. À une vingtaine de dossiers près, nous étions à début septembre sur les mêmes niveaux de réalisation qu’en 2021. Au Crédit Agricole Franche-Comté, nous gérons environ 8 000 dossiers immo biliers par an, pour près d’1,3 milliard d’euros de crédit. Dans cet environne ment économique un peu anxiogène, nous constatons que le recours à la pierre est rassurant. L’immobilier est une valeur qui continue à croître. Mais plusieurs facteurs nous poussent à modérer cet enthousiasme. L.P.P. : Lesquels ? S.R. : D’abord les contraintes réglemen taires imposées par le Haut conseil à la stabilité financière (H.C.S.F.) qui exige depuis l’an dernier un taux d’en dettement maximal pour nos clients de 35 %, avec une dérogation possible à hauteur de 20 % des dossiers. Mais dans ces 20 %, le H.C.S.F. nous impose désormais 80 % de dossiers de primo accédants à la propriété, et pas plus

de 4 % d’investisseurs. Ces derniers sont particulièrement mécontents car nous sommes contraints de refuser beaucoup de dossiers d’investisseurs. L’autre gros souci actuellement, c’est le taux d’usure, même s’il a été relevé à 3,05% au 1 er octobre pour les prêts de plus de 20 ans. L.P.P. : Que signifie cette notion ? S.R. : C’est un taux fixé par l’État au delà duquel on ne peut pas aller. Ce

Sylvie Rodier attire l’attention sur trois principaux motifs d’inquiétude concernant le marché immobilier.

taux est indexé sur le cumul entre le taux actuel du crédit et les taux liés aux frais de dos sier, aux frais de la garan tie et aux frais d’assu rance. Les taux d’intérêt des crédits ont récem ment augmenté et ce taux d’usure qu’on n’a pas le droit de dépasser était beaucoup trop bas. La conséquence de ce taux d’usure trop bas (il était fixé à 2,48 % sur 20 ans), c’est que nous étions contraints de refuser de nombreux dossiers. Ce

“Le gros souci, c’était le taux d’usure.”

taux d’usure était en décalage total avec la situation financière actuelle. La hausse du 1 er octobre était indis pensable. La conséquence de ce taux d’usure trop bas, c’est que depuis trois mois, avec la hausse des taux de crédit, les banques ont financé des dossiers à perte, juste pour ne pas couper le marché. On en était même à devoir refuser de bons dossiers. Rien qu’au cours du dernier mois, 23 % de nos dossiers immobiliers dépassaient ce fameux taux d’usure. L.P.P. : Il y a d’autres freins à la bonne marche des crédits immobiliers ? S.R. : Oui, le troisième motif d’inquié tude, c’est la loi Résilience. Quand un

bien immobilier est classé F ou G - soit tout de même 16 % du parc immobilier régional, et 50 % si on ajoute les caté gories E -, nous sommes désormais tenus de vérifier que dans le dossier de prêt figurent des travaux de réno vation énergétique, sans quoi les pro priétaires ne pourront plus louer leurs biens locatifs classés F ou G. Ce troi sième facteur limite encore un peu plus le nombre de dossiers que nous pourrons accepter. L.P.P. : Avec tous ces obstacles, comment se présente la fin d’année ? S.R. : Avec l’inflation, le risque est de voir des clients subir une baisse de

leur pouvoir d’achat avec des taux de crédit qui vont continuer à grimper. Il peut y avoir un risque de blocage de la machine. Alors même qu’il manque 150 000 logements neufs en France tous les ans. Ajoutons à cela la loi sur le Zéro artificialisation nette (Z.A.N.) : on assiste depuis six mois à un quasi arrêt des mises en construction. On ne peut pas rester dans cet attentisme. Avec la crise des matériaux et la hausse des prix, on espère aussi que les entre prises tiennent le coup…Malgré tout, nous pensons que le marché immobilier va rester d’un bon niveau car il reste la meilleure valeur refuge. n Propos recueillis par J.-F.H.

l Prêt immobilier Remontée du taux d’usure Un taux d’usure à 3,05 % va-t-il dénouer la situation ? Le taux d’usure a été remonté à 3,05 %. Cette augmentation permet-elle de dénouer l’accès au prêt immobilier pour les particuliers ? Pour certains professionnels, il ne s’agit que d’un coup d’épée dans l’eau.

Un courtier “sous la menace des banques”

conséquences. “Mécaniquement, cela va entraîner une augmenta tion des prix des assurances” , aver tit le professionnel du courtage. Pourquoi ? “L’absence de question naire de santé met tout le monde au même niveau de risque, donc les tarifs augmentent.” La hausse est estimée entre 15 et 40 %.Asso ciée à des taux d’intérêt qui conti nuent de grimper, le taux d’usure, même revalorisé à 3,05 %, est vite atteint. Pour certains courtiers, il ne s’agit que d’un coup d’épée dans l’eau car les banques risquent de durcir leurs conditions de prêt et ne pas vouloir lâcher les contrats d’as surance. Une situation que dénonce un professionnel du cour tage, se sentant “sous la menace des banques” (voir ci-contre). Conséquence : beaucoup de clients se tournent vers la location ou attendent un an avant d’acheter le temps de constituer un apport, remarque l’Immobilier Pontissa lien. Qui s’estime pour autant satisfait. Ses deux agences de Pontarlier et Métabief continuent d’avoir de l’activité, elles recrutent même trois personnes. n L.P.

Pour un courtier franc-comtois, la solution n’est pas forcément dans l’évolution du taux d’usure. Il dénonce les méthodes de certaines banques. “Ce que j’aimerais, c’est que les ban quiers arrêtent de mettre nos honoraires dans le taux d’usure, chose qui n’est pas autorisée. Il y a plusieurs cas de juris prudence, assène ce professionnel du courtage qui estime se sentir sous la menace des banques. On voit bien que les banquiers aimeraient bien supprimer la case courtier.” Pourquoi y aurait-il ce désamour du courtier ? “Parce que nous sommes spécialisés dans nos métiers, les banques à force de tout faire perdent en compétences. Aujourd’hui, ce sont les clients qui sont pénalisés.” Le courtier observe également un autre phénomène dû aux conditions d’accès plus strictes au prêt. “Par peur de ne pas avoir de crédit, les clients comparent moins qu’avant, alors qu’il y a quand même de sacrés écarts. Pour 4 000 euros d’honoraires, j’ai pu faire gagner à un client 19 000 euros sur son prêt, et au minimum 15 000 sur son assurance de prêt. Il y a un an, les écarts existaient mais moins qu’au jourd’hui” , remarque le professionnel qui mise avant tout sur le conseil. 9 fois sur 10, les clients sont incapables d’expliquer leur crédit. “C’est normal, l’activité des banques est très mou vante, le taux peut changer d’un mois à l’autre. Je ne sais pas comment un client lambda peut s’y retrouver.” n

C yrille Mattera, de l’Im mobilier Pontissalien, ne cache pas son amer tume ni son incompré hension. “Oui, le taux d’usure remonte, mais les taux d’intérêt vont reprendre 0,40 %. Quand un client de 52 ans avec de très bons comptes, 45 000 euros d’apport pour un prêt de 225 000 euros, 5 000 euros de salaire, n’obtient pas son prêt parce que l’assurance est trop chère… Je vais bientôt mettre une banderole sur ma vitrine “Interdit au plus de 45 ans !” , ironise-t-il. À cause d’une assurance de prêt trop chère, qui augmente avec l’âge, le taux d’usure est très vite atteint. Et cette situation ne va pas s'améliorer avec la loi

Lemoine, effective depuis septem bre, qui entraîne une augmenta tion du tarif des assurances de prêt. La loi offre l’opportunité aux particuliers de changer plus faci

dix. Cela veut dire que dans le questionnaire médical, les parti culiers ne sont plus obligés de mentionner leurs pathologies can céreuses ou hépatite C au-delà de cinq ans de guérison. Enfin, il est question de suppres sion du questionnaire médical sous certaines conditions. Il ne faut pas que le montant du prêt et les encours ne dépassent 200 000 euros. Et la fin du prêt doit intervenir avant les 60 ans de l’emprunteur. “Cela ne repré sente finalement pas beaucoup de dossiers” , relève un courtier local. Si ces conditions ne sont pas rem plies, le questionnaire médical doit être fait, comme c’est le cas pour tous actuellement. Cette suppression n’est pas sans

lement d’assurance de prêt. Comment ? Grâce à une rési liation facilitée sous dix jours, l’in troduction d’un droit à l’informa tion, à savoir ce que coûte l’assurance du prêt sur huit ans afin de pouvoir effectuer des com paraisons. Le droit à l’oubli a égale ment été ramené à cinq ans au lieu de

Une hausse entre 15 et 40 % pour les assurances.

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