La Presse Pontissalienne 238 - Aout 2018

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Pontissalienne n°238 - Août 2019

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AGRICULTURE

La Région veut défendre ses agriculteurs

“Il faut redonner la passion

de l’agriculture à nos concitoyens”

L a Presse Pontissalienne : Plus un agriculteur,même du Haut-Doubs, ne peut nier le réchauffement cli- matique. Quels défis doivent-ils relever ? Et comment la Région peut aider les producteurs ? Sophie Fonquernie : C’est un défi qui s’ajoute aux autres. Il y eut le défi des renouvellements de générations. Aujourd’hui, il est double pour les agriculteurs : ils doivent lutter contre le développement des gaz à effet de serre et s’adapter au réchauf- fement climatique. Tout cela a de véritables incidences économiques sur les exploitations. En 2018, lors de la sécheresse, la Région a rapi- dement réagi. J’ai fait le tour des exploitations et j’ai alerté dès août la présidente de Région. Nous avons mis en place un plan à court et moyen terme avec une aide séche- resse de 5 millions d’euros qui a permis d’agir directement sur les trésoreries. L’idée était que les exploitations puissent faire face à l’hiver. L.P.P. : Et quelles sont les autres solutions à moyen terme ? S.F. : Nous avons débloqué 5 autres millions pour permettre aux agri- culteurs de stocker de l’eau, du four- rage, pour faire face à un épisode de sécheresse. C’est un coup de pouce à l’investissement.À long terme, on aide pour financer des audits d’ex- ploitation. On travaille également avec des chercheurs et les organi- sations agricoles pour innover et trouver de nouvelles techniques. Il faut trouver des solutions d’adap- tation car dès 2030 et plus certai- nement à partir de 2100, de très importants changements intervien- dront. Ce changement climatique est une préoccupation pour la quin- quagénaire que je suis. J’estime que nous portons une responsabilité de ne pas les avoir pas vus ces chan- gements. Ce qui me tient à cœur, c’est que les agriculteurs puissent Franche-Comté, Sophie Fonquernie s’attend à une rentrée chargée. Agricultrice et vice- présidente en charge de l’agriculture à la Région Bourgogne-

Bourgogne pèse avec ses vins, ce qui explique que l’on a - encore - au niveau français une balance com- merciale agricole positive. La Franche-Comté apporte le lait, la transformation laitière et ses pro- duits A.O.P. Avec la fusion, de nou- velles filières sont apparues comme la ranaculture (grenouilles) dans le Doubs, l’héliciculture, la truffe et l’arboriculture en Bourgogne. L.P.P. : Cette fusion a donc eu du bon ? S.F. : Les efforts de fusion réalisés sur le plan politique se sont dupli- qués au niveau des professions. On ne pouvait plus avoir un interlocu- teur côté Bourgogne, un côté Franche-Comté pour chaque filière. L’interprofession bio vient par exem- ple de fusionner. Cela nous permet de cibler des axes de travail et ainsi nous n’avons plus à répondre à des demandes de financement dispa- rates. La Région a développé plu- sieurs axes comme des systèmes d’exploitation efficients et capables de s’adapter au contexte de muta- tions et de récurrence accrue des aléas, elle valorise les métiers agri- coles pour les rendre attractifs et susciter des vocations, elle relie l’agriculture aux enjeux de la société, aux territoires, aux ressources natu- relles avec des modes de production, des produits et une communication adaptés, etc. L.P.P. :A la dernière commission permanente, vous avez subventionné quelques dossiers agricoles dans le Doubs. Lesquels ? S.F. : Au 14 juin, ce sont 373 719 euros qui ont été engagés pour les exploi- tations du département du Doubs. Pour 46 500 euros, nous avons aidé 31 exploitations pour leur permettre de réaliser un audit, soutenu 21 jeunes agriculteurs pour 99 600 euros et 93 776 euros pour 28 soutiens en agriculture biolo- gique. Nous n’oublions pas les cul- tures maraîchères avec 100 660 euros pour 46 soutiens. L.P.P. : Ces subventions viennent en grande partie de l’Union européenne qui soutient majoritairement l’agriculture française. Or, lemontant de la Politique agricole commune (P.A.C.) est annoncé à la baisse. Les agri- culteurs vont-ils devoir se serrer la cein- ture ? S.F. : Un bras de fer s’engage car l’État vient d’annoncer aux Régions qu’il récupérerait les subventions de l’Europe. L.P.P. :Connaissez-vous le montant de cette baisse ? S.F. : On nous annonce - 14 % de fonds européens. Ils étaient d’1 mil- liard 300 millions (F.E.A.D.E.R.). Nous allons nous battre avec d’au- tres régions de France car c’est la dernière ligne droite (N.D.L.R. : la décision devrait être prise en sep- tembre). La transition écologique chez les agriculteurs ne peut pas

Sophie Fonquernie partage son temps entre sa ferme et son mandat d’élue régionale au service de l’agriculture.

ment dans l’Yonne, la Saône-et-Loire, car cela apporte des déjections animales là où on en a le plus besoin. Est-il néces- saire d’apporter des masses de déjections animales dans des zones où il y a beau- coup d’effluents de bovins ? Je ne le crois pas. L’image pour le comté n’est pas top.

se faire avec un budget de la P.A.C. en baisse ! L.P.P. : L’Europe a officialisé un contrat de libre-échange avec les pays du Mercosur. De la viande d’Amérique du Sud sera dans nos assiettes. Qu’en pensez-vous ? S.F. : C’est une aberration. Comment expliquer à un éleveur de notre région qui peine à vivre de son métier avec parfois seulement 300 euros par mois, qui respecte d’importantes normes sanitaires et un important coût du travail, que ses produits seront concurren- cés par d’autres où les contrôles sont moins regardant. Cela ne va pas. L.P.P. :Les états généraux de l’alimentation voulus par le gouvernement vont-ils sauver les producteurs ? S.F. : Ces états généraux n’ont pas apporté toute leur promesse. Il fau- drait que le consommateur puisse scanner un produit afin qu’il connaisse le bilan carbone d’un morceau de viande ou d’un autre produit.Avec les technologies d’au- jourd’hui, on devrait savoir d’où vient le produit, comment et par qui il a été transformé. L.P.P. :Votre avis sur le poulailler “géant” en projet à Flangebouche ? S.F. : L’installer ici, en zone A.O.P. comté, n’est pas très logique. Les poulaillers ont de la place pour s’installer en zone de culture notam-

pour ceux qui veulent devenir agri- culteurs. L.P.P. : Interpellés sur le bien-être animal, condamnés pour l’arrachage des haies, pour l’utilisation du casse-cailloux, les agriculteurs n’ont jamais autant été cri- tiqués. Quel est leur état d’esprit ? S.F. : J’essaie de prendre du recul. Je constate que c’est la première fois en 10 000 ans que notre métier est remis en cause notamment par les vegans sur l’utilité d’être éleveur. Cela a un fort impact psychologique dans nos rangs. Il n’y a pas une réunion entre agriculteurs sans que l’on en parle… Ces question- nements lorsqu’ils s’ajoutent à des questionnements économiques sont difficiles à vivre. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place un plan de communication en lien avec la Chambre d’agricul- ture pour redonner la passion de l’agriculture à nos concitoyens. Il faut montrer l’agriculteur sous un angle positif, ce que nous avons fait avec des vidéos filmant des hommes et des femmes travaillant ensemble, passionnés par leurs animaux, qui font attention à leur production végétale. Il fallait redonner le moral à des agriculteurs qui l’ont perdu. Il y a quelque chose de dangereux : les agriculteurs ne savent pas com- muniquer alors que les vegans, eux, savent le faire… Nous sommes là pour réparer ce déséquilibre. n Propos recueillis par E.Ch.

Bio express

Sophie Fonquernie

l

a 53 ans

l Agricultrice avec son mari en lait à morbier à Solemont (Lomont) Mère de 4 enfants Vice-présidente de la Région Bourgogne-Franche- Comté chargée de l’agriculture, la viticulture et l’agroalimentaire l l

“Quand une filière va trop bien, elle investit trop.”

L.P.P. : Entre 2012 et 2018, la surface d’ar- tificialisation de l’Arc jurassien a augmenté de 860 hectares, ce qui marque une pro- gression de 0,8 %. Comment le prévenir ? Faut-il s’en inquiéter ? S.F. : Oui. Il y a un nécessaire besoin de garder les terres qui captent le carbone. L.P.P. : La profession, notamment dans notre zone,semble vouloir toujours investir plus avec des tracteurs toujours plus gros, des bâtiments toujours plus grands. Par- tagez-vous cet avis ? S.F. : Le Doubs est dynamique et les agriculteurs ne doivent pas s’en- dormir. Néanmoins, quand une filière va trop bien, elle investit trop. Les professionnels doivent toujours rentabiliser ce qu’ils inves- tissent. Nous avons mis en place pour cela des points info, accueil et accompagnement notamment

vivre de leur travail, qu’ils prennent le virage de la transi- tion, que l’on déve- loppe encore le bio. L.P.P. : Depuis la fusion de la Franche-Comté et de la Bourgogne, que repré- sente cette activité agri- cole sur le plan régional ? S.F. : On parle souvent de la filière automo- bile mais il ne faut pas oublier les filières agroalimentaires avec la production et la transformation. La

“Redonner le moral à des agriculteurs qui l’ont perdu.”

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