La Presse Pontissalienne 235 - Mai 2019
L’INTERVIEW DU MOIS
La Presse Pontissalienne n°235 - Mai 2019
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POLITIQUE
Sylvain Marmier
“Ma déception a été de courte durée” Il aurait dû être numéro 4, donc largement éligible, sur la liste Renaissance (L.R.E.M.) aux
L a Presse Pontissalienne :Votre élec- tion aux Européennes du 26 mai était quasiment assurée et…pata- tras, le jeu politique en a voulu autrement. Pas trop amer d’avoir été éjecté de la liste au dernier moment ? Sylvain Marmier : Bien sûr que je suis déçu de ne pas pouvoir devenir député européen compte tenu de mon expérience, d’autant que j’étais arrivé au bout du bout du processus de désignation. Mais ma déception a été de courte durée. Car les enjeux de cette élection ont vite repris le dessus, ainsi que mes convictions profondes et mon envie de continuer à m’investir dans les dossiers dont j’ai la responsabilité ici en région. L.P.P. :Comment expliquez-vous cette évic- tion de dernière minute ? S.M. : Nous étions au départ 2 500 candidats au sein de L.R.E.M., je suis arrivé dans la “short list”, puis il a fallu composer avec les parte- naires de L.R.E.M. (le MoDem,Agir et la société civile). Il a donc fallu faire des arbitrages et ensuite, le jeu politique a fait qu’un agriculteur de Bourgogne, qui plus est président des J.A., Jérémy Decerle, s’est retrouvé en bonne position sur la liste. C’est ainsi. J’ai été surpris, mais pas étonné car c’est la poli- tique, ça fait partie du jeu. En France, on s’intéresse hélas plus au débat interne qu’au débat inter- national alors que les enjeux sont bien là. national des jeunes agriculteurs. Sans amertume, il évoque les enjeux, notamment agricoles, de cette échéance électorale. prochaines Européennes. Il a été finalement écarté au profit du président
Sylvain Marmier, agriculteur à Frasne, continue à soutenir la liste Renaissance portée par L.R.E.M., malgré son absence sur la liste.
en dérange certains. Emmanuel Macron est toujours dans une stratégie d’al- liances plutôt que d’opposition. Cela correspond bien à mes valeurs. L.P.P. :Vous le spécialiste des questions agricoles, comment convaincre les agriculteurs français et du Haut-Doubs que l’Eu-
et de notre impuissance. On critique l’Europe en estimant qu’elle n’est pas démocratique et qu’elle est ultra-libérale. Je m’inscris en faux contre ces idées. La démocratie en Europe est encore plus poussée qu’en France où le Parlement n’est que la continuité du gouvernement. Du coup, on est dans un rapport d’opposition permanent, alors qu’en Europe, on s’oblige justement à des consensus permanents. C’est cela un système démocratique qui marche. Si en France, nous étions sur ce mode de fonctionnement basé sur le consensus, le pays ne serait jamais bloqué. C’est notre propre système de fonctionnement en France qui nourrit le nationa- lisme, ce n’est pas le fonctionnement de l’Europe. L.P.P. : Vous semblez profondément pro- européen. C’est la raison pour laquelle vous aviez quitté Les Républicains pour rejoindre En Marche ? S.M. : Je soutiens clairement L.R.E.M., et malgré ce qui s’est passé pour moi, je voterai L.R.E.M. aux Européennes. J’ai été frappé par le discours politique d’Emma- nuel Macron vis-à-vis de l’Union européenne. Il est le seul homme politique contemporain à être aussi clair sur ce que l’Europe doit porter comme compétences, sur ce que la France doit porter comme compé- tences et sur ce que les Régions doivent porter comme compétences. Il souhaite continuer à bousculer les choses pour que l’on s’adapte au monde moderne et c’est cela qui
plus assurer la transition écolo- gique. L.P.P. : Ce retournement de situation pour les Européennes vous a-t-il vacciné de la politique ? S.M. : Honnêtement je n’en sais rien. Et je n’exclus rien. L.P.P. : Vous êtes partis fin avril pour une mission humanitaire au Cameroun. Pour quelle raison ? S.M. : Je me suis engagé il y a une quinzaine d’années aux côtés d’une fédération de producteurs de cacao au Cameroun et j’y vais depuis environ tous les deux ans. Il s’agit de mettre en place avec le choco- latier français Valrhona un accord sur un commerce équitable avec les producteurs de cacao locaux afin d’optimiser leur filière. Je conseille d’ailleurs à tous ceux qui parlent de choses qu’ils ne connais- sent pas d’aller de temps en temps sur les autres continents voir com- ment les choses fonctionnent. C’est la même chose pour ceux qui en ce moment dans le cadre du débat sur les Européennes parlent de l’im- migration et des soi-disant vagues de submersion d’étrangers qui arri- veraient en Europe. Je leur rappelle que 80 % des migrations dans le monde sont des migrations Sud- Sud et que quand un réfugié tente de venir en Europe, c’est qu’il vit un drame, qu’il est dans une situa- tion catastrophique et qu’il n’a pas le choix. Pour comprendre le monde, il faut aller à sa rencontre. n Propos recueillis par J.-F.H.
pense qu’il n’y aura plus aucun pays européen au sein du G8. Nous deve- nons peu à peu les sous-traitants des grandes puissances et des pays émergents. Nous n’avons plus aucune chance de rester à la table des négociations internationales si on ne reste pas unis au sein de l’Eu- rope. Ils sont là les vrais enjeux d’aujourd’hui, et pas dans les chi- cailleries politiques franco-fran- çaises. Il y a évidemment aussi l’en- jeu climatique et tout ce qu’on sait faire ici, c’est de s’intéresser à notre nombril. Je me dis alors que ma situation personnelle paraît bien anodine à côté des vrais enjeux de l’Europe. L.P.P. : On risque donc de passer à côté des vrais enjeux à l’occasion de ces Euro- péennes ? S.M. : Il faudrait déjà que les Fran- çais changent d’état d’esprit, sans quoi on ne pourra jamais entamer de grandes réformes. Quand on tra- verse une crise, il faut s’unir, se ser- rer les coudes et changer les choses et les méthodes. On a la chance de vivre dans un pays extraordinaire et si on ne prend pas conscience qu’on a à jouer un rôle moteur en France, reprendre notre place de leader , nous ne serons que les spec- tateurs déclassés d’une Europe impuissante. L.P.P. : Comment expliquez-vous la montée des populismes partout en Europe, sans doute aussi en France ? S.M. : Nous rejetons sans cesse sur l’Europe la cause de nos malheurs
Bio express Sylvain Marmier est né le 29 décembre 1968 à Pontarlier. Il est agriculteur au sein d’un G.A.E.C. de cinq associés à Frasne. Il est membre de la Chambre d’agriculture du Doubs-Territoire de Belfort, vice-président du Crédit Agricole de Franche-Comté, vice- président du Conseil économique, social et environnemental de Bourgogne- Franche-Comté. Ses passions sportives : le vélo, le V.T.T., le ski de fond, le golf. l l l l
“Pour comprendre le monde, il faut aller à sa rencontre.”
rope est bonne pour eux ? S.M. : Si on est reconnu par tous les spécialistes comme l’agriculture la plus durable du monde, c’est qu’on a su prendre le bon chemin, on a su monter en gamme, et on ne l’aurait pas fait sans les fonds européens et sans les règles que l’Europe a dictées. L’Europe apporte de l’union et non pas de l’uniformité. Autre atout : l’Europe a permis à nos productions haut de gamme de prendre la voie de l’exportation, ce qui n’est pas rien non plus. Il y a aussi des motifs d’inquiétude bien sûr. J’estime par exemple que l’Europe a eu tendance à trop bais- ser la garde en important de plus en plus de produits de l’extérieur, et qui ne respectent pas toujours les normes. Le vrai enjeu aujourd’hui est de pouvoir produire plus mais mieux. C’est la raison pour laquelle il faut se battre pour maintenir le budget de la P.A.C., sans quoi on ne pourra pas assurer un revenu à nos agriculteurs en difficulté et on ne pourra pas non
L.P.P. : La déception est donc passée ? Quels sont ces vrais enjeux inter- nationaux que vous évo- quez ? S.M. : Il y a d’abord la question de la finance internatio- nale dont on ne parle jamais et je pense qu’on n’est pas du tout à l’abri d’une crise aussi grave que celle que le monde a connue en 2008. Il y a aussi la désindus- trialisation de l’Eu- rope. D’ici 30 ans, je
“Emmanuel Macron correspond bien à mes valeurs.”
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