La Presse Pontissalienne 231 - Janvier 2019

LA PAGE DU FRONTALIER 38

La Presse Pontissalienne n°231 - Janvier 2019

INSTITUTIONS

Politique “La votation est un système garant de la paix sociale”

Achat d’avions de combat, salaire minimum, accueil des étrangers sont autant de sujets sur les lesquels le citoyen suisse est appelé à se prononcer. Présenté comme un modèle, ce système l’est-il vraiment ?

L.P.P. : N’est-ce pas la porte ouverte à des questions farfelues ? V.K. : Des propositions comme deux semaines de vacances sup- plémentaires, un salaire mini- mal à 3 400 euros ou un reve- nu de base inconditionnel, ont été balayées en votation popu- laire. Certains commentateurs parlent du bon sens des citoyens suisses, qui seraient responsa- bilisés par leur pratique cou- rante de la démocratie. D’autres évoquent les investissements massifs des opposants à ces mesures pour convaincre les citoyens. Je considère que le sys- tème suisse est le moins mau- vais qui soit, malgré quelques dérives inévitables et malgré la lenteur qu’il implique. Il me paraît être l’un des meilleurs garants de la paix sociale dans notre pays, qui connaît très peu de grèves et de manifestations. L.P.P. : Pensez-vous que les Suisses sont plus disciplinés ? V.K. : Il me semble que l’exerci- ce régulier des droits démocra- tiques engendre en effet une cer- taine discipline. Même s’il ne faut pas tomber dans l’angélis- me : le taux de participation (on ne parle pas ici de taux d’abs- tention) est d’environ 40%depuis plus de 20 ans. Les citoyens ne sont donc pas tous pleinement investis dans la gestion de leur cité. Quant aux sujets de vota- tion, il arrive que nous votions sur “n’importe quoi” comme récemment sur les cornes des vaches, fallait-il interdire de les couper ?, mais cela fait partie des charmes du système. Et cela n’a jamais engendré de crise majeure. Le risque que j’entre- vois pour l’avenir est la crise que connaissent les médias, dont plusieurs ont disparu ces der- nières années. Le citoyen, moins

E n France, le mouvement des gilets jaunes amis sur le devant de la scène le “référendum d’initiative citoyenne”. En Suisse, les citoyens sont appelés à se pro- noncer sur le plan fédéral géné- ralement quatre fois par année. Ils sont convoqués pour voter sur des initiatives populaires, des référendums facultatifs ou des référendums obligatoires. Auteur des “Institutions poli- tiques suisses” paru aux édi- tions L.E.P., Vincent Kucholl explique le fonctionnement du système suisse, ses réussites, ses limites.

lorsqu’il propose de nouvelles législations doit tenir compte de leur acceptabilité, au risque de se voir opposer un référendum (50 000 citoyens peuvent le demander dans un délai de 90 jours). La recherche du com- promis en amont fait donc plei- nement partie de la pratique législative suisse. L’autre outil de démocratie directe, l’initia- tive populaire (100 000 citoyens peuvent proposer un nouvel article constitutionnel dans un délai de 18 mois), peut condui- re à certaines dérives, comme l’interdiction des minarets accep- tée en 2009, ou le renvoi des cri- minels étrangers en 2010.

La Presse Pontissalienne : Les vota- tions en Suisse sont perçues comme un exercice ultra-démocratique. Mais parfois n’ont-elles pas l’effet inver- se ? Vincent Kucholl : Non. Je pense que les votations participent plei- nement de la démocratie, plus directe. En Suisse, elles sont fré- quentes et suscitent un débat politique régulier, qui conduit à des prises de décisions concrètes pour les citoyens, lesquels vivent l’expression de leurs droits démo- cratiques plusieurs fois par an. Par ailleurs, le système suisse de démocratie directe encoura- ge ce que nous appelons la concordance : le gouvernement

L’auteur de cet ouvrage

Vincent Kucholl

(photo D. Malloth).

Prochaine votation : pour ou contre le mitage Le 10 février, une initiative demandera aux électeurs s’ils sont pour ou contre une densification de l’habitat à l’intérieur des villes et des agglomérations, ce que les Suisses appellent le mitage. Pour les partisans du texte, le mitage défigure le paysage suisse et porte préjudice aux générations futures. Pour les petites communes, cela voudrait dire qu’elles n’auront plus le droit de se développer. Plus localement, les habitants de Ballaigues avaient pu se prononcer sur l’implantation d’un projet éolien. Ils avaient voté “pour”. n

Un exemple de votation : l’initiative contre l’immigration de masse, acceptée d’une courte majorité en 2014. Les cantons

romands l’avaient refusée.

tralisée de notre État (chacun des 26 cantons connaît égale- ment les mêmes mécanismes de démocratie directe) et à la taille réduite de notre pays (8 millions d’habitants). Fédéralisme, sub- sidiarité, proximité entre peuple et élites politiques, démocratie directe : voilà, selonmoi, les com- posantes du miracle politique suisse. n Propos recueillis par E.Ch.

bien informé, pourrait être ame- né à voter “n’importe comment”. L.P.P. : Que pensez-vous du R.I.C. pro- posé par les gilets jaunes en France ? V.K. : Je ne connais pas les détails institutionnels de ce qui est pro- posé en France. Mais le systè- me tel qu’il fonctionne en Suis- se me paraît positif. Il fonctionne bien parce qu’il est couplé à l’ar- chitecture fédérale très décen-

TRANSPORTS Covoiturage La fin du bus des frontaliers Le transport collectif des employés organisé depuis Pontarlier vers l’usine Dentsply-Sirona de Ballaigues est arrêté. Ce sont autant de voitures en plus à la frontière.

C omme beaucoup, les salariés de Dentsply-Sirona à Bal- laigues ont profité d’une pério- de de vacances. Le 2 janvier, ils ont repris la direction de leurs ateliers situés à Ballaigues…Tous ont utilisé leur voiture pour se rendre à leur poste puisque le bus jusque-là “offert” aux salariés a disparu. Termi- né le repos à l’arrière de l’autocar le temps du trajet. À l’heure où l’Arc jurassien se gargari- se de voir les solutions de covoiturage ou de transport public se développer, cela fait tache. Cette décision est le choix de cette usine spécialisée dans le domai- ne dentaire qui emploie deux tiers de frontaliers sur un effectif proche de 800

personnes. “C’est dommage…Ce seront autant de voitures en plus sur la rou- te” commente un élu de Ballaigues (can- ton deVaud) qui fait face au trafic pen- dulaire devenu croissant.

Le bus partait à 5heures du matin, 13 heures et 20 heures de la place Pourny àPontarlier pour un arrêt à la gare de La Cluse-et-Mijoux et enfin à Ballaigues. Ce servi- ce, gratuit lors de sa mise en service il y a 6 ans, est devenu payant, ce qui aurait entraîné une baisse de fréquen- tation expliquant son

Délaissée car devenue payante.

Les frontaliers de Dentsply sont passés du bus… à leur voiture.

abandon. Sollicitée, la direction n’a pas répondu.Grâce à des subventions,Dents- ply-Sirona ne faisait rien payer lors des deux premières années de transport.À la fin de cette aide, il en coûtait aux

alentours de 80 francs suisses par pas- sager et par an. Rappelons que la fir- me avait en 2015 revu les horaires de travail de ses salariés. 17 d’entre eux avaient refusé de travailler de nuit.

En 2020, d’importants travaux de réseaux sont annoncés du côté suis- se, entre la douane et Vallorbe. Cela promet encore quelques beaux bou- chons. n

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