La Presse Pontissalienne 224 - Juin 2018

10 PONTARLIER

La Presse Pontissalienne n° 224 - Juin 2018

Les Castors, une histoire à méditer URBANISME Projections Deux ethnographes qui avaient mené une étude en 2014 auprès des habitants du quartier des Castors, sont revenus présenter les conclusions de leurs travaux le 26 mai dernier. Éclairages.

Noël Barbe et Aurélie Dumain sont venus présenter les conclusions de l’étude qu’ils avaient menée en 2014 auprès des habitants des Castors.

C ette étude relève d’une commande du minis- tère de la Culture axée sur les lotissements remarquables construits après-guerre. Sept sites ont été retenus en Franche- Comté dont le quartier des Cas- tors à Pontarlier. Une architec- te, Michèle Bourgeois, a travaillé sur le volet construction, urba- nisme et deux ethnographes, Noël Barbe et Aurélie Dumain, ont étudié l’aspect humain. “Le quartier des Castors présente une architecture assez banale, répétitive et son intérêt princi- pal est d’ordre social. Notre objec- tif n’était pas de refaire l’his- toire du quartier mais de voir comment les habitants pensaient, vivaient les lieux où ils habi- taient” , présente Noël Barbe. La vision des habitants anciens et nouveaux reste positive mais nuancée. “Ils nous parlent de maisons qui ne paient pas de mine mais avec des intérieurs lumineux et spacieux. Certains ont aussi optimisé en abattant des cloisons ou en aménageant les combles” , observe Aurélie

Dumain.Avec garage, sanitaires et eau courante, les maisons des Castors étaient en 1955 parmi les plus modernes de la ville. Aujourd’hui avec les jardins à l’arrière de chaque maison “Cas- tor”, certains estiment qu’il s’agit d’un compromis idéal entre la ville et la campagne. Le roman du quartier a évolué avec le temps. On est passé d’un village autonome à un village englouti dans l’urbanisation. La plupart des jardins ont perdu leur vocation alimentaire. “Il se dégage l’image d’un pré-lotisse- ment avec un savoir-vivre ensemble qui contraste avec le

te une aventure qui a transfor- mé ceux qui l’ont vécu en leur permettant d’accéder à la pro- priété et de monter dans l’as- censeur social. “On note des dif- férences. L’existence du quartier est pour certains liée à un héros, Maurice Marrou, qui fut l’ins- tigateur du projet. D’autres voient le quartier comme une œuvre collective où ils étaient tous ensemble embarqués dans le même défi” , explique Noël Bar- be. À ces deux visions s’ajoute celle des héros bâtisseurs qui ont tout fait eux-mêmes. L’appellation même du quartier mérite qu’on s’y attarde. Les Castors, la CitéMarrou oumême la Cité de l’Espoir comme le sug- gérait Maurice Marrou à la municipalité de l’époque qui ne l’a visiblement pas écouté. Aujourd’hui, l’appellation “Cité Marrou” n’a pas survécu mais les habitants s’identifient tou- jours aux Castors. “Je suis des Castors oumême je suis un “Cas- tor”. On voit que l’histoire du quartier finit par s’étioler dans les mémoires et renaît sous une autre forme.” Pour les descen- dants des premiers “Castors”, l’attachement familial à la mai- son d’enfance reste fort. C’est là où le père s’est sacrifié dans la construction. C’est le refuge qui peut aussi être un héritage négatif à cause des travaux à refaire… Qu’adviendra-t-il de cette his- toire ? Ceux qui l’ont vécu esti- ment que l’expérience des Cas- tors est non reproductible. Pour les autres, on doit au contraire tout faire pour la transmettre. “Il ne faudrait pas ranger cette expérience sociale au rang de patrimoine mais la garder en héritage pour penser les pos- sibles du futur” , suggère Noël Barbe. n

Histoire L’épopée des Castors

tuelle rue de Morteau. Ce nouveau quartier est sorti de terre entre 1954 et 1956. Les mai- sons identiques faisaient 77 mètres carrés. Elles étaient modernes pour l’époque puis- qu’elles avaient une salle de bains et un garage alors que rares étaient les propriétaires à avoir une voiture. La sortie de terre de ce quartier a également engendré la nais- sance de “Castor Junior” aumilieu des années cinquante, à savoir l’implantation d’une école mater- nelle dans un préfabriqué qui est aujourd’hui l’école Pergaud. En 1960, pour finir le quartier, on a construit la chapelle des Castors. Ce quartier des Castors avait une excellente réputation dans les années soixante et jouissait d’un bon ensoleillement et d’un air pur. À tel point que des familles pon- tissaliennes du centre-ville envoyaient leurs enfants en vacances aux Castors ! n

P our permettre aux familles de Pontarlier les plus modestes d’accéder à la propriété à moindre coût alors qu’elles vivaient dans des appar- tements presque insalubres, il s’était créé après la guerre à l’ini- tiative de Maurice Marrou et du Chanoine Boillot, une société coopérative d’autoconstruction. Le dispositif coopératif prévoyait que les futurs propriétaires construisent eux-mêmes leur mai- son avec l’aide de leurs voisins, du terrassement jusqu’à la cou- verture. On les appelait les Cas- tors. “Durant trois ans, du lever au coucher du soleil, en plus de son travail habituel, chacun d’eux devait fournir 2 000 heures de travail au projet” rappelle un des panneaux de la grande exposi- tion inter-quartiers qui s’était tenue à Pontarlier en 2012. À l’époque, 150 dossiers ont été déposés, 80 ont été retenus, ce qui représentait autant de mai- sons à construire, jumelées et individuelles, sur un terrain de 4,5 hectares situé à l’écart de la ville en contrebas de l’actuelle rue de Morteau. Toute la famille participait, les hommes comme les femmes. Il faut s’imaginer que ces personnes travaillaient à l’usi- ne et qu’elles passaient leur peu de temps libre sur le chantier. Après la Libération, il y a eu une crise du logement. Pour permettre

aux familles de Pontarlier les plus modestes d’accéder à la propriété à moindre coût alors qu’elles vivaient dans des appartements presque insalubres, il s’est créé, à l’initiative de Maurice Marrou et du Chanoine Boillot, une socié- té coopérative d’autoconstruc- tion. Le dispositif coopératif pré- voyait que les futurs propriétaires construisent eux-mêmes leur mai- son avec l’aide de leurs voisins, du terrassement jusqu’à la cou- verture. On les appelait les Cas- tors. Chacun d’eux devait don- ner 2 000 heures de travail au projet. À l’époque, 150 dossiers ont été déposés, 80 ont été rete- nus, ce qui représentait autant de maisons à construire, jume- lées et individuelles, sur un ter- rain de 4,5 hectares situé à l’écart de la ville en contrebas de l’ac-

lotissement plus versé dans l’indi- vidualisation et l’égoïsme” , poursuit Aurélie Dumain. Les deux ethno- graphes se sont intéressés à la manière dont les gens percevaient aujourd’hui l’his- toire du quartier. Pour les habitants, cette histoire res-

Un quartier englouti dans l’urba- nisation.

Chaque habitant devait donner 2 000 heures de travail au projet (photo D.R.).

Avec ces maisons fonctionnelles agrémentées d’un jardin à l’arrière, le quartier des Castors a plutôt bien vieilli.

Made with FlippingBook - Online catalogs