La Presse Pontissalienne 220 - Février 2018

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Pontissalienne n° 220 - Février 2018

4

AGRICULTURE

Béatrix Loizon

“La réforme territoriale a été un vrai gâchis”

La conseillère départementale du canton d’Ornans est la Madame agriculture et environnement du Département. Avec des questions plus que jamais sensibles à gérer comme la qualité des rivières, l’assainissement ou la pollution des sols. Entretien-vérité.

L a Presse Pontissalienne : Vous êtes en charge de l’environne- ment et de l’espace rural au Département du Doubs. Difficile équation entre les intérêts envi- ronnementaux et agricoles ? Béatrix Loizon : Justement, les deux thèmes se complètent. Avant sep- tembre, j’étais chargée de l’agri- culture et de la forêt. En me pro- posant un poste de vice-présidente, la présidente du Département a souhaité me confier en plus tout ce qui relève de l’environnement : bio- diversité, trame verte et bleue, eau et assainissement. En faisant cela, on a justement voulu donner un signe que l’agriculture, la forêt et l’environnement sont des sujets indissociables. L.P.P. : Épandages sauvages, pollution des rivières, inondations…On n’a jamais enten- du autant parler de soucis liés à l’envi- ronnement dans le Doubs. Difficile de res- ter optimiste ? B.L. : Tout le monde semble vouloir désormais se saisir de cette ques- tion et c’est tant mieux. Il y a une prise de conscience générale qui fait qu’on voit tout ce qui ne va pas. Je veux aussi montrer tout ce qui va, et tout ce qu’il reste à faire. Je peux évidemment comprendre l’im- patience des associations et des acteurs de l’environnement, mais le vrai travail de fond a été enga- gé avec tous ces acteurs et c’est bien cela qui compte. L.P.P. : Ces mêmes associations estiment que les réunions qui se déroulaient avant sous l’ancienne majorité sont plus rares aujourd’hui. B.L. : La grosse conférence consa- crée à la Loue qui se tient avec tous les acteurs reste d’actualité et la prochaine aura lieu avant la fin de ce premier semestre. Même si elle s’est tenue moins régulièrement ces derniers temps avec les périodes d’élections successives, il faut la fai- re, ça reste nécessaire, mais ça res- te une grand-messe et ce n’est pas

cette question de l’assainissement est un véritable tsunami pour les communautés de communes qui vont récupérer ces dossiers. Ce transfert de compétences doit pas- ser par une professionnalisation des personnes chargées de ces dos- siers, même si beaucoup sont déjà compétentes. On investit des mil- lions d’euros dans les stations d’épuration, mais si elles ne fonc- tionnent pas correctement, c’est là que les problèmes surviennent. C’est la raison pour laquelle nous allons accompagner les collecti- vités sur cette question jusqu’en 2020, voire au-delà. Malgré les baisses de moyens. L.P.P. : À quelle baisse faites-vous allu- sion ? B.L. : Celle que l’État versait à l’Agence de l’eau. Chaque année, nous mettions la même somme que l’Agence de l’eau, à savoir 3 millions d’euros, sur l’assainis- sement. L’État a ponctionné plu- sieurs millions au plan national sur le budget de l’Agence de l’eau. C’est un très mauvais signe pour l’environnement. L’État tient un double discours où d’un côté il prô- ne l’environnement et de l’autre il retire des moyens. Ce n’est pas sérieux. Cette décision nous obli- gera hélas à prioriser nos actions, on ne pourra plus intervenir par- tout comme on le faisait jusqu’ici. La priorité seramise sur les zones hyper-sensibles et les zones kars- tiques. L.P.P. : L’état des rivières de ce dépar- tement vous inquiète-t-il ? B.L. : Évidemment que cela m’in- quiète et cette dégradation ne date pas d’hier, elle est visible depuis le début de la décennie. On a demandé à la fédération de pêche avec laquelle on travaille de fai- re des états des lieux précis de la population piscicole. Je retiens que sur les captages 2017, il y a un léger mieux sur la Loue. La situation est plus inquiétante sur le Cusancin ou le Dessoubre. On ne va pas arriver du jour au len- demain à rétablir la situation sur tous ces cours d’eaumais si on n’y croyait pas, on ne mettrait pas tous ces moyens financiers. L.P.P. : Et les efforts sont souvent mis à mal par des comportements indignes comme le récent épandage sauvage de Charmauvillers. Difficile dès lors de ne pas associer la profession agricole à la pollution ? B.L. : Ce genre de comportement est évidemment intolérable.Mais avec la vigilance citoyenne ren- due plus facile grâce aux photos prises sur les smartphones, la pho- to de quelqu’un qui vide sa fosse à lisier par précaution et parce qu’il en a l’autorisation sera la même que celui qui fait un épan- dage sauvage. Peuvent naître dès

Béatrix Loizon a pris du grade lors du remaniement de l’automne dernier en devenant vice-présidente du Département.

lors des amalgames préjudiciables à toute la profession agricole. Le cas de Charmauvillers est à condamner de manière très fer- me, c’est une catastrophe pour l’image de la profession qui est mise à mal par une minorité d’in- conscients. L.P.P. : Et il y a ce sentiment d’impuni- té qui ne passe plus… B.L. : L’agriculteur en question a eu une amende de 135 euros, pas plus qu’un simple délit routier. C’est pitoyable. On nous accuse souvent d’être impuissants sur ces questions mais le Départe- ment n’a pas la police de l’eau. C’est l’État qui l’a. Il faut donc que la loi change sur ce point. J’ai alerté nos parlementaires en ce sens. L.P.P. : Cela pose aussi la question de la mise aux normes des installations. Où en est-on dans le Doubs ? B.L. : Sur les 2 800 exploitations pérennes dans le Doubs, il y en a encore 400 qui doivent subir une mise aux normes.Toutes ces exploi- tations devront être aux normes avant la fin de l’année 2020. Le Département les aidera toutes à se mettre aux normes. L.P.P. : Alors que le volet économique a été transféré à la Région, le Départe- ment a-t-il encore une marge de manœuvre pour soutenir les agriculteurs du Doubs ? B.L. : En effet, les aides écono- miques ont été transférées à la Région, à l’exception des aides éco- nomiques dans le cadre du Plan de développement rural (P.D.R.) pour lequel on peut toujours agir avec les aides F.E.A.D.E.R. C’est un vrai levier qui représente plu- sieurs millions d’euros par an. Il y a aussi des dossiers, et c’est dom- mage, que la Région a refusé de reprendre comme les aides aux jeunes agriculteurs ou l’aide à l’électrification rurale. Sur ce der- nier point, on travaille actuelle-

ment avec le Syded pour voir dans quelle mesure ce syndi- cat peut reprendre le flambeau. Grâce à nos efforts, la plupart de nos politiques d’aide ont pu être conservées. L.P.P. : En tant que membre de la F.D.S.E.A., n’y a-t-il pas risque de conflit d’intérêts à gérer cette commission agriculture ? B.L.:Il suffit d’in-

finalement nulle part.Avec Alain, on s’entend bien, mais on ne se voit pas. On a perdu toute notion de proximité qui faisait la riches- se de notre fonction. En plus, ce canton couvre trois communau- tés de communes, deux circons- criptions. C’est du grand n’importe quoi. Cette réforme a été un vrai gâchis, et pour nous élus locaux, c’est une vraie frustration. L.P.P. : Un mot pour terminer sur la pré- sidence Christine Bouquin. Il y a eu ce petit remaniement au sein de l’équipe à l’automne, puis le directeur général des services est parti. On sent un certain flot- tement dans la maison Département… B.L. : À notre arrivée, nous nous sommes réparti le travail et au bout d’un moment, certains n’ont plus souhaité être vice-présidents. Personnellement, j’ai pris ce petit remaniement comme une marque de reconnaissance. On avait aus- si besoin d’un D.G.S. qui connais- se la “boutique” et sur ce point, Gilles Da Costa a été la bonne per- sonne. Avec le travail qu’il a fait, je comprends d’ailleurs pourquoi la présidente de Région l’a rap- pelé. Maintenant, la présidente Christine Bouquin est en train de recruter un nouveau D.G.S., le D.G.A. Jean-Louis Guillet a accep- té de jouer les prolongations le temps de la transition. S’il y avait le moindre flottement, on n’en serait pas là à présenter partout sur les territoires notre contrat de territoire. Il n’y a pas le moindre doute sur le fait que Christine Bouquin “tienne la baraque” dans un Département où l’investisse- ment repart, où la dette diminue et tout cela sans augmenter d’un centime les impôts locaux. On a traversé des mois compliqués avec le contexte qui était celui de la réforme territoriale.Aujourd’hui, les éclaircies sont là et je suis fiè- re de voir ce qu’on a réussi àmettre en place avec des politiques pour le long terme. n Propos recueillis par J.-F.H.

Bio express

l Béatrix Loizon est née le 16 novembre 1966 l Elle est agricultrice à Mérey-sous-Montrond

l 7 ème vice-présidente du Département, elle est en charge de l’environnement, de la Trame verte et bleue, de l’espace rural et périurbain l Secrétaire de la 3ème commission “Dynamique territoriale” l Elle est administratrice d’une C.U.M.A., du Crédit Agricole d’Ornans et secrétaire du G.E.D.A.F. Loue-Lison (Groupe d’Études et de Développement Agricole Féminin)

“Le canton d’Ornans est un territoire complètement incohérent.”

terroger toutes les autres orga- nisations agricoles pour voir que j’ai toujours mis un point d’hon- neur à travailler avec tout le mon- de. Et cette situation ne va pas perdurer car nous sommes en train de vendre notre exploitation de Mérey-sous-Montrond, pour des raisons de santé. L.P.P. : Près de trois ans après la réfor- me territoriale, le nouveau canton d’Or- nans qui couvre 64 communes de Crou- zet-Migette aux Alliés a-t-il prouvé sa pertinence sur le plan géographique ? B.L. : La seule chose positive est que celui qui traverse le dépar- tement de part et d’autre est désor- mais obligé de passer par le can- ton d’Ornans ! Pour le reste, c’est un canton complètement incohé- rent. Les mariages forcés ne sont pas forcément des mariages heu- reux. Ne vaut-il pas mieux être seul sur un petit territoire qu’à deux sur un grand secteur ? L.P.P. : Le binôme Béatrix Loizon-Alain Marguet n’est pas efficace ? B.L. : Au début, on a essayé de se répartir un peu le territoire entre nous deux. On s’aperçoit qu’on passe son temps en voiture et en essayant d’être partout, on est

forcément là que les choses avan- cent le plus. C’est plus dans les petits groupes de travail tech- niques que les dossiers avan- cent. L’idée est de privilégier les travaux pra- tiques plutôt que les grands- messes. Il y avait par exemple un groupe consacré à l’eau et à l’agri- culture qui a déjà eu lieu deux fois, et nous en met- tons en place un nouveau dédié à l’eau et à l’assai- nissement. Car

“Le cas de Charmauvillers est une catastrophe pour la profession.”

Made with FlippingBook flipbook maker