La Presse Pontissalienne 193 - Novembre 2015

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Pontissalienne n° 193 - Novembre 2015

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POLITIQUE

Le spécialiste de la commune nouvelle “Il faut que les élus locaux se remettent en question”

L a Presse Pontissalienne : Comme veut le faire Pontarlier, vous vous êtes engagés dans un processus de commune nouvelle. Où en êtes-vous dans la démarche ? Thierry Speitel : L’arrêté préfectoral a été pris le 14 juillet dernier, l’entrée en vigueur de la commune nouvelle sera effective le 1 er janvier prochain. Cette commune nou- velle regroupera les trois communes actuelles de Kaysersberg, Kientzheim et Sigolsheim. L.P.P. : Vous en serez le futur maire ? T.S. : J’ai dit que je me mettais en retrait pour ces questions-là. Je ne veux pas être bloquant pour la réussite de ce projet. L.P.P. : Quel est l’intérêt pour les communes de se regrouper au sein d’une commune nouvelle ? T.S. : C’est la première loi depuis Napoléon qui nous permet, nous les communes, d’écrire notre propre histoire. Cette récente loi sur les communes nouvelles, que l’on doit à Jacques Pélissard le maire de Lons-le-Sau- nier et ancien président de l’association des maires de France est basée sur le volon- tariat. Et ça change tout car elle incite les communes à se prendre en main. Je m’étais rendu qu’avec les baisses des dotations, notre commune aurait perdu beaucoup d’argent en 2017. Avec la création de cet- te commune nouvelle qui s’appellera “Kay- sersberg vignoble”, on fera un gain de 2 mil- lions d’euros d’ici 2020. Ce mouvement est inéluctable et c’est à nous,maires des petites communes, de l’engager. Le système avec des communautés de communes de quelques milliers d’habitants est à bout de souffle. Je crois vraiment à cet échelon qu’est la commune, mais il faut lui donner plus de consistance. L’intérêt de se grouper en com- communes voisines, il a décidé de créer une commune nouvelle, ce que souhaite faire Patrick Genre avec les dix communes du Grand Pontarlier. Devenu le spécialiste de cette question, l’élu alsacien apporte son éclairage, sans langue de bois, dans un contexte où la coopération intercommunale est au cœur de l’actualité. Thierry Speitel est maire de la commune de Sigolsheim en Alsace. Avec deux autres

Thierry Speitel doit

être invité prochaine- ment par le maire de Pontarlier pour témoigner de son expérience sur le thème des

communes nouvelles.

vote ras-le-bol. Je suis d’autant plus à l’aise de parler de ça car je suis un cen- triste modéré très éloigné des thèses du F.N. On constate aujourd’hui que des avocats, des médecins, des gens instruits sont prêts à voter Le Pen, sans même adhérer aux idées du F.N., mais par simple contestation. C’est le vote-défou- loir simplement parce que le menu que la classe politique leur propose, ils ne l’aiment plus. L.P.P. : Les maires sont vent debout contre l’État qui leur coupe les vivres. Mais les communes ne doivent-elles pas aussi faire des efforts ? T.S. : Bien sûr que si ! Les communes ne doivent pas se considérer que comme des victimes. L’effort doit être commun et collectif. Combien y a-t-il de secteurs où l’on voit, à parfois 500 m de distan- ce, deux salles des fêtes ? Tout ça parce que les maires veulent flatter leur ego et laisser une trace. C’est une aberra- tion. Il faut que dans ces cas-là, les col- lectivités territoriales aussi soient res- ponsables et quand un projet n’est pas structurant, elles arrêtent de distribuer des subventions. L.P.P. : Comment expliquer aux habitants atta- chés à leur clocher que la commune nouvelle peut être la solution ? T.S. : Quand j’ai lancé le processus, j’ai rencontré 350 familles en trois réunions. Je n’ai pas eu de retour négatif. Les viti- culteurs qui ont été obligés de se regrou- per en coopératives ont bien compris l’intérêt des regroupements. Quand j’ai expliqué aux anciens que les caisses du Crédit Mutuel fusionnaient, ils ont tout de suite également visualisé les choses. Il suffit d’un peu de pédagogie. Les gens ne sont pas stupides. L.P.P. :Votre discours doit parfois détonner dans les sphères politiques ? T.S. : Certaines de mes idées dérangent : quand je dis par exemple que je suis pour le non-cumul total des mandats selon le

principe “un élu-un man- dat”, oui, parfois, ça déran- ge. Je ne suis pas un pro- fessionnel de la politique, je n’en vis pas, j’ai une entre- prise à faire vivre, contrai- rement à beaucoup d’autres élus pour qui les mandats sont devenus “alimentaires”. Le problème français, c’est qu’on est tout le temps en train de vouloir recaser les uns ou les autres, c’est com- me ça que la politique ne se renouvelle pas. Il faut abso- lument que les élus se remet- tent en question s’ils veu- lent à nouveau être crédibles. Ils sont souvent déconnec- tés. Ce que je dis ne peut pas être considéré comme démagogique parce que j’applique ce que je dis. J’ai

parition des petites communes ? T.S. : Les communes de 50 habitants, ça n’a plus de sens aujourd’hui ! Tout ce qui sera en dessous de 1 000 habitants, ça va deve- nir très compliqué. Les maires des petites communes vont finir par être cantonnés aux crottes de chien ! Il devient nécessai- re de se regrouper. Il y a 36 000 communes en France, il faudrait diviser ce nombre par trois. Comme l’a fait l’Allemagne et je ne crois pas que ça fonctionne mal en Alle- magne. Il faut changer notre raisonne- ment. L.P.P. : En quel sens ? T.S. : En se posant la question de ce qu’on va laisser aux générations futures. Des dettes ? C’est la raison principale qui me fait avancer en politique. Nous sommes en train de vivre à crédit sur le dos de nos enfants. Si on continue avec ce raisonne- ment-là, on va se retrouver avec une socié- té qui se crispe de plus en plus. Il faut poser les choses, repartir de la base de l’organisation démocratique qu’est la com- mune. Mais en ce moment c’est tout le contraire qui se passe. On est en train de faire des grandes Régions alors que la ques- tion des Départements n’est même pas réglée, alors même qu’on aurait dû com- mencer par revoir ce socle qu’est la com- mune. L.P.P. : Le regroupement des communes peut être un début de réponse ? T.S. : Oui. Il faut aussi prendre des déci- sions concrètes et commencer par exemple par fermer l’E.N.A. Cette école dans laquel- le les futures élites marchent sur 4 cm de moquette ne sert plus à grand-chose, qu’à emmerder la vie des Français. Les consé- quences de ces crispations, on les voit dans les urnes. L.P.P. : Ces dysfonctionnements de nos institutions encourageraient le vote extrémiste selon vous ? T.S. : Évidemment. Et le vote extrémiste, comme on le voit notamment chez moi en Alsace, n’est pas un vote raciste, c’est un

Bio express Thierry Speitel, 53 ans, maire de Sigolsheim (Haut-Rhin). Entré en politique en 1995 en tant que conseiller municipal, puis adjoint trois ans plus tard.

Maire depuis 2001, il a été réélu en 2008 et en 2014. Expert nommé par

“Le vote extrémiste, n’est pas un vote raciste, c’est un vote ras-le-bol.”

l’association Mairie-conseils, service d’intérêt général de la Caisse des Dépôts destiné aux élus communaux et intercommunaux.

mune nouvelle est encore plus fort quand cette com- mune couvre le périmètre d’une communauté de com- munes car on y gagne sur les deux tableaux : les dota- tions de la commune nou- velle sont bonifiées de 5 % et vous gardez les dotations de la communauté de com- munes. La communauté d’agglomération de Cher- bourg est devenue commu- ne nouvelle. Pour elle, c’est tout bénéfice. L’autre avantage des com- munes nouvelles, c’est qu’elles vont permettre loca- lement de ne pas réduire les services à la population grâce aux économies d’échelle que ça permet. Enfin, avec 10 maires dans une communauté de com- munes, ça fait 10 coqs dans le poulailler. Avoir un vrai chef permet aussi de mieux avancer.

“Les communes de 50

eu aussi quelques soucis avec d’autres élus : par exemple, je n’ai pas eu l’investiture d’un parti pour des élections locales par- ce que j’ai été le premier maire à me marier avec un autre homme… L.P.P. : Vous continuez pourtant à faire de la poli- tique ? T.S. : Beaucoup de mes amis me disent “qu’est-ce tu t’emmerdes à faire de la poli- tique alors que tu as une entreprise ?” et si je continue, c’est vraiment pour ceux qui vont nous succéder. Nous avons une vraie responsabilité envers eux. Je continue à faire de la politique car je continue à y croi- re. Le jour où je n’y croirai plus, j’arrêterai. L.P.P. : Pour revenir à la question initiale, vous encou- ragez donc vivement les communes du Grand Pon- tarlier à se regrouper en commune nouvelle ? T.S. : Je n’ai pas à intervenir dans les affaires des élus locaux, mais je ne peux en effet que les encourager à pousser la réflexion. D’ailleurs, le maire de Pontarlier a dit qu’il m’inviterait à venir témoigner chez lui. Propos recueillis par J.-F.H.

habitants, ça n’a plus de sens aujourd’hui !”

L.P.P. : Vous prônez donc la dis-

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