La Presse Pontissalienne 185 - Mars 2015

MOUTHE - RÉGION DES LACS 26

La Presse Pontissalienne n° 185 - Mars 2015

MOUTHE

Un nouveau président

Le comité de défense chez Mimi toujours en veille environnementale

Fondée en 1991 pour s’opposer à l’implantation d’un circuit d’essais automobiles sur les alpages du Risoux, cette association milite pour la préservation de l’environnement local. Son président historique Arsène Letoublon vient de passer la main à Chris- tophe Cuenet, agriculteur à Mouthe. Rencontre.

A vec sa sincérité et son inté- grité, Arsène Letoublon n’aurait sans doute pas réus- si une brillante carrière poli- tique. Non pas qu’il manquait de com- pétences et de charisme, ceux qui le connaissent peuvent en attester. Ni de popularité notamment à la fin de l’affaire Chez Mimi. Certains ont ten- té de le rallier à leur cause. L’homme n’a jamais cédé. Son parti à lui, son biotope, c’est la nature jurassienne. À 81 ans, il choisit de passer le témoin d’un comité qui a été de tous les com- bats environnementaux duHaut-Doubs depuis 30 ans. Et il le fait d’autant plus facilement qu’il a toute confian- ce en celui qui le remplace. Christophe Cuenet, 49 ans, adhère à l’association depuis sa création. “Ce qui me plaît, c’est que ce soit un agriculteur qui me succède” , apprécie Arsène Letoublon. On ne s’attend pas trop en effet à retrou- ver ce genre de profession à la tête d’une association de protection de la nature. Christophe Cuenet a assumé ses convic- tions quand le comité a voulu démon- trer qu’il existait d’autres alternatives au traitement chimique des campa- gnols. Par son entremise, le comité de défense Chez Mimi qui militait pour le retour du piégeage a su rallier à sa cause les agriculteurs de Mouthe. “On refusait l’usage de la bromadiolone. On était plus favorable à l’embauche de piégeurs.” Pendant une dizaine d’années, entre 2000 et 2010, Arsène Letoublon va s’atteler à la tâche en piégeant le rongeur sur le parcellaire agricole de Mouthe. Il opérera avec une rigueur toute scientifique dans la méthode et le comptage des rongeurs capturés. “On est intervenu sur 400 hectares. À la fin, il n’y avait pratiquement plus de campagnols. La première année, on avait piégé 9 000 campagnols mais il

nous manquait des preuves. À partir de là, on a récupéré les queues qu’il fal- lait sécher à l’air pour ne pas qu’elles pourrissent” , explique Arsène Letou- blon qui se déplaçait alors avec ses bocaux pour prouver l’efficacité du pié- geage. L’expérience a bénéficié d’une très forte couverture médiatique. “Un jour, j’ai reçu un appel téléphonique d’un Marseillais surpris d’apprendre qu’on piégeait encore des campagnols en l’an 2000. Il est venu à Mouthe pour observer. En fait, c’était un cinéaste qui a réalisé deux films diffusés à la télé- vision.” Si le courant passait très bien avec les chercheurs qui travaillaient sur ces questions de pullulations, les rapports étaient beaucoup plus tendus avec une grande partie de la profession agrico- le qui ne jurait que par la bromadio- lone à haute dose sans autre considé- ration pour les dégâts sur la faune

sauvage. Le ton mon- tait vite dans les réunions et Arsène Letoublon appréciait alors d’avoir à ses côtés un agriculteur comme Christophe Cuenet. “On savait bien que ce n’était pas possible de faire cela tout le temps. Le pié- geage prend beaucoup de temps. On voulait sensibiliser, montrer qu’il existait des alter- natives. On espérait aus- si que les chambres d’agriculture prennent le relais.” Au rayon souvenirs marquants, Arsène évoque la venue de ce président de chambre d’agriculture qui a com- plètement changé son discours et ses critiques

Le dossier atterrit sur le bureau de Jacques Chirac.

Arsène Letoublon vient de passer la main à Christophe Cuenet le nouveau président du comité de défense chez Mimi.

en voyant les résultats sur le terrain. “Il s’est en d’ailleurs excusé publique- ment” , rappelle Arsène Letoublon, pas rancunier, mais qui apprécie la droi- ture. On ne piège plus dans les champs de Mouthe. Les campagnols sont revenus moins nombreux semble-t-il. Les chas- seurs du coin ne tirent plus les renards. Le grand fait d’arme, pacifique il va s’en dire, du comité reste la lutte com- me l’implantation du circuit d’essais automobiles. “Avant même de créer l’association, on s’était mobilisés contre la création d’équipements nordiques dans la tourbière de Mouthe. On a fait annuler cette folie.” Le premier écho du projet de circuit est venu d’un musher jurassien en expédition dans le Grand Nord qui est passé près d’un centre d’essais similaire où on lui a appris qu’un autre projet était à l’étude dans le Risoux. “Peu après, j’ai reçu un coup de fil anonyme d’une personne qui m’annonçait qu’on allait massacrer les hauts de Mouthe pour faire un circuit. On a reçu le document avec les plans. On l’a ensuite fait passer au maire de Pontarlier, Yves Lagier, qui a deman- dé des explications au président du Conseil général de l’époque, Georges Gruillot lors d’une réunion à Mal- buisson où étaient conviés les maires du secteur. C’est le point de départ du combat.” Petit rappel des faits. À la demande de différents constructeurs automo- biles, le Conseil général du Doubs avait été chargé de trouver 400 hectares de terrains nécessaires à la construction d’un centre d’essais en conditions extrêmes. D’où le choix du Risoux. La commune deMouthe était prête à céder deux alpages. Chez Liadet et Chez

Mimi. Pour arriver à la surface néces- saire, le Conseil Général a pris la déci- sion d’acquérir les deux ‘“Bâties” et “Chez Bougaud”. Le centre d’essais devait employer au moins 300 ingé- nieurs. “On a choisi de s’identifier à l’alpage Chez Mimi car cette ferme a toujours eu une vocation d’accueil. Elle était connue par des milliers de per- sonnes.” Sur les conseils de juristes, les créa- teurs du comité optent pour une asso- ciation fermée où l’on n’entre que sur parrainage. Ceci afin d’éviter des adhé- sions contre-productives. Le comité qui compte alors 33 membres organise la lutte. La télévision régionale s’en fait l’écho. Georges Gruillot se déplace à Mouthe pour s’expliquer devant les élus. Il est accueilli par 200 sympa- thisants acquis à la cause de Chez Mimi. Rapports tendus mais courtois. Le comité multiplie les actions. En sep- tembre 1991, il organise une grande manifestation sur l’alpage où se retrou- vent 2 500 personnes. Juste avant Noël, nouvelle réunion publique à la salle des fêtes de Mouthe pleine comme un œuf. Preuve de l’engouement popu- laire autour de cette affaire, l’incontournable pétition à plus de 60 000 signatures dont 800 en prove- nance du Canada. Le sauvetage du Risoux devient un combat internatio- nal. De nombreux Suisses de la Val- lée de Joux apportent leur soutien au comité français. Arsène Letoublon se souvient avoir reçu 134 journalistes de tous les médias. Le soufflé du centre d’essais connaît un premier coup de mou avec le retrait du constructeur Mercedes qui craint pour son image. Plutôt que de ferrailler avec Georges Gruillot, le comité déci-

de de taper à l’étage national. Par l’entremise d’un mystérieux soutien suisse, le dossier atterrit sur le bureau de Jacques Chirac. “En février, j’ai reçu un appel m’annonçant que l’affaire de Chez Mimi était terminée. La nouvel- le sera confirmée 15 jours plus tard lors de la réunion budgétaire au Conseil général. À l’époque, un seul conseiller nous a soutenus, c’était Jean-Louis Fousseret.” Le Conseil général avait investi 12,75 millions de francs dans l’achat des trois alpages qu’il possède toujours. Après cette affaire, le comité se mobi- lisera contre d’autres projets : golf autour du lac, plage des Grangettes, parc nautique de Malbuisson, téléca- bine entre le Mont d’Or et le lac, voie verte, neige de culture à Métabief… “On est toujours prêt à intervenir en renfort sur d’autres communes sous réserve que les gens du cru se mobili- sent comme ce fut le cas pour la voie verte” , indique le nouveau président. Le comité compte aujourd’hui 28 membres. Des pionniers comme Ser- ge Madelon, le secrétaire, ou Jean- Louis Michaud, le trésorier sont tou- jours là. “On vient d’accueillir un jeune de 26 ans qui a été parrainé par 5 adhé- rents comme cela est stipulé dans nos statuts.” Christophe Cuenet refuse d’être considéré comme un intégriste de l’environnement. “On cherche d’abord à préserver le patrimoine. On dénonce les abus. On croit aussi dans la capa- cité des locaux à discerner le bien du mal. On suit par exemple de très près le projet d’aménagement touristique à la source du Doubs. On a toujours été apolitique. Personne ne peut rien nous reprocher sur ce plan.” F.C.

Le 29 décembre 1991, le comité organise une réunion publique à la salle des fêtes de Mouthe en présence de 1 240 personnes.

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