La Presse Pontissalienne 184 - Février 2015

A g e n d a

La Presse Pontissalienne n° 184 - Février 2015

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PLATEAU DE LEVIER - MARTIN VIDBERG

“Être Charlie, c’est avoir la liberté de faire ce que je veux” Enseignant devenu dessinateur de presse en 2008, Martin Vidberg publie quotidiennement des dessins sur le site Internet du Monde depuis son bureau installé dans le Haut-Doubs. Il croque l’actu du jour avec ses personnages “patates”, y compris dans les moments les plus durs.

L a Presse Pontissalienne : À la suite de l’attentat contre Charlie Hebdo, les des- sinateurs de presse ont publié multi- tude de dessins. On aurait pu s’attendre au contraire que la gravité de la situation les paralyse totalement. Comment expliquez-vous cela ? Martin Vidberg : On s’est retrouvé dans l’action. Nous ne pouvions pas ne pas dessiner pendant les attentats. Au contraire, il y avait urgence à le faire. Pendant trois jours, je n’ai pas éteint la télévision. L.P.P. : Dans la plupart des dessins, il y avait toujours une pointe d’ironie et d’humour. Dans l’un des vôtres, vous faisiez dire à votre per- sonnage “si vous ne vous rendez, pas notre dessinateur d’élite va caricaturer le prophè-

ment, je n’ai pas l’impression que les journaux donneront plus de place à la caricature. Pourtant, c’est à eux de défendre notre métier. L.P.P. : Après ce qui s’est passé, peut-on tout caricaturer et s’amuser de tout ? M.V. : Le dessin est une façon de com- muniquer. Quel que soit le sujet, il faut dessiner. L’humour n’est peut-être pas toujours la bonne manière. En 2010, lors du tremblement de terre d’Haïti, j’ai produit des dessins qui ont été diver- sement appréciés car les lecteurs n’aimaient pas que l’on s’autorise à fai- re de l’humour avec une situation huma- nitaire dramatique. Mais les réactions les plus virulentes que j’ai reçues datent de l’époque où je dessinais sur Ségolè- ne Royal. Elles venaient de ses parti- sans. Je peux dire des conneries, je l’accepte, je le revendique. Cela fait par- tie de la prise de risque quand on fait du dessin humoristique. L.P.P. : Néanmoins depuis les attentats, vous obligez-vous à une forme d’auto-censure ? M.V. : Je suis très prudent sur le terme de censure qui sous-entend une forme de volonté politique de restreindre la liberté d’expression. Je parlerais plu- tôt de choix éditoriaux différents. Char- lie Hebdo est sur une ligne éditoriale combattante, qui en cela ne ressemble pas aux autres, en tout cas pas à la mienne. Cela n’empêche pas qu’il faille la défendre. Je fais un dessin par jour pour Le Monde. Je suis libre de faire ce que je veux sur le sujet de mon choix. Mes dessins ne sont pas très corrosifs. Je ne suis ni Cabu, ni Charb. Je ne suis pas un puncheur, mais un auteur qui produit des dessins décalés. Dès que

te !” Comment le public a réagi face à tous ces dessins d’actualité ? M.V. : Ce dessin en particulier a été vu plus d’1 million de fois après sa mise en ligne. Il a été partagé plus de 600 000 reprises sur facebook. Il est tombé à un moment où les lecteurs avaient besoin de voir ce type de dessins. Je l’ai publié le 9 janvier, pendant les attentats. L.P.P. :Avez-vous réagi sous le coup de l’émotion qui a submergé tout le pays ? M.V. : Dessiner pour Internet est un métier qui fonctionne avec l’actualité et qui vit dans cet ascenseur émotion- nel. Pendant les attentats, nous avons produit en effet beaucoup de dessins sous le coup de l’émotion. Un certain nombre d’entre eux sont périmés aujour- d’hui. Mais ils étaient utiles au moment où ils ont été faits car ils répondaient à une attente du lecteur. C’est notre devoir d’accompagner les émotions dans ces temps forts de l’actualité. Je suis toujours surpris des retours qu’il y a sur un dessin de presse. L.P.P. : Est-ce que ces événements vont chan- ger le regard des gens sur le dessin de pres- se ? M.V. : Ce que j’aimerais voir changer, ce n’est pas la perception des gens sur le dessin de presse qui ont besoin de ce regard humoristique posé sur l’actualité par les dessinateurs. Le regard qu’il faudrait changer est celui de la presse sur notre métier, car elle laisse de moins en moins de place au dessin. Au len- demain des attentats du 7 janvier, il y a eu ce besoin de défendre les dessina- teurs de presse. Personnellement, j’ai vu mes dessins paraître dans “Elle” ou “La Voix du Nord”. Malgré cet engoue-

Martin Vidberg dessine “l’actu en patates”. Un humour, des humeurs, qui plaisent aux internautes.

j’ai l’idée en tête, je me lance dans le dessin. Le Monde peut décider de ne pas publier mon dessin s’il ne répond pas à la ligne éditoriale. L.P.P. : En publiant sur Internet, êtes-vous plus exposé puisque vos dessins n’ont pas de fron- tière. Ils sont susceptibles d’être vus, y com- pris dans les pays où la liberté d’expression est restreinte voire inexistante ? M.V. : C’est vrai lorsqu’on publie un des- sin sur Internet, on a une visibilité beau- coup plus grande. J’ai reçu des com- mentaires en arabe, sans contenu agressif, sur certains dessins que j’ai publié suite aux attentats du Charlie Hebdo. Je ne suis pas un combattant du dessin de presse. Je traite des évé- nements avec un discours clair de liber- té de la presse, mais avec un angle de vue différent. Je joue beaucoup sur l’absurde, je rends des situations ridi- cules. L’objectif est de rester original dans son domaine. Cependant, je ne contrôle pas la vie d’un dessin une fois qu’il est publié. Il m’est même arrivé que certains d’entre eux soient repris sur des tracts politiques. Cela me gêne. L.P.P. : Charlie Hebdo était-il allé trop loin avec les caricatures du prophète ? M.V. : Nous sommes tous des amuseurs.

Quand on fait nos dessins, on pouffe de rire de notre coin. Une fois encore, Char- lie Hebdo avait cette ligne éditoriale combattante qui est différente de la mienne. Il n’en reste pas moins que Cabu, Charb et les autres, font partie des dessinateurs qui ont poussé les gens de ma génération à se lancer dans le dessin de presse. L.P.P. : Auriez-vous pu dessiner le prophète ? M.V. : Je n’ai pas eu l’idée d’un dessin sur le pro- phète. Partant de là, je ne me suis rien interdit. La religion n’est pas un thème qui m’intéresse en général. “Je suis très attentif à l’actualité.”

L.P.P. : Que signifie pour vous être Charlie ? M.V. : On peut avoir l’esprit Charlie Hebdo. Nous étions tous Char- lie Hebdo après les atten- tats. Pour la majorité des gens, être Charlie était pour eux une manière de défendre la liberté de la presse et tant mieux. Pour moi être Charlie, c’est avoir

Ce dessin paru le 9 janvier a été par plus d’1 million de fois sur le site du Monde.

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