La Presse Pontissalienne 184 - Février 2015

La Presse Pontissalienne n° 184 - Février 2015 19

Réaction Jean-François Besson “Ce phénomène crée trop de déséquilibres” Le secrétaire général du Groupement Transfrontalier Européen relativise largement l’euphorie des premiers temps née du taux de change particulièrement favorable aux travailleurs frontaliers.

L a Presse Pontissalienne : En tant que défenseur des intérêts des frontaliers, cette abolition du pla- fond est-elle une bonne nouvelle pour les frontaliers ? Jean-François Besson : C’est indéniable- ment une bonne nouvelle à court ter-

me pour les frontaliers qui voient leur pouvoir d’achat bondir de 20 % du jour au lendemain. ais derrière cet effet d’aubaine, il y a de vraies questions. ous les frontaliers avec qui je parle de cette question se demandent ce qui va se passer et craignent que ce taux de

change ne mette en péril une partie de l’économie suisse, et donc leur emploi. ien sûr, certains disent “ça va payer mes vacances” , mais derrière, il y a une véritable inquiétude.Maintenant, bien malin qui pourra dire si ça va durer. Une chose est sûre : on peut d’ores et déjà dire que ce n’est pas une bonne nouvelle pour l’économie suisse. L.P.P. : Il y a de vrais risques de dévissage ? J.-F.B. : Depuis quelques années, l’économie suisse était sous un ciel bleu azur. Plusieurs facteurs sont venus assombrir ce ciel. La votation du 9 février 2014 sur la libre circulation, la fiscalité des entreprises qui a été augmentée récemment et ce franc suis- se devenu tout à coup plus fort. ujour- d’hui, une entreprise étrangère qui veut venir s’implanter en Suisse va y regarder à deux fois. Elle va voir qu’elle paiera plus d’impôts, qu’elle ne pour- ra pas embaucher qui elle veut et que ses produits seront moins compétitifs à cause du franc fort. L.P.P. : Cette récente décision de la Banque Nationale peut-elle conduire à des licencie- ments en masse ? J.-F.B. : C’est difficile à dire. Pour une entreprise dont l’activité est plus ten- due en ce moment, ça peut clairement faire basculer la décision de se sépa-

a droit à ce genre de discours. Tout cela fait beaucoup de bruit pour pas grand-chose. Cette histoire de taux de change est d’ailleurs un peu perverse parce qu’on s’aperçoit que dans beau- coup d’entreprises, les frontaliers n’ont pas été augmentés justement à cause des variations favorables du taux de change. Dans le temps, tout cela risque de provoquer un vrai décalage dans les salaires entre un travailleur suis- se et un frontalier. L’autre effet per- vers, c’est que le taux de change remet un peu plus de tensions dans les entre- prises et même côté français d’ailleurs où on stigmatise les frontaliers. On n’avait pas besoin de cela. L.P.P. : Pour le commerce en revanche, c’est tout bénéfice ? J.-F.B. : Côté suisse, c’est une catas- trophe évidemment. Et même si côté français, les commerces bénéficient de l’attrait de l’euro, si on prend un peu de hauteur, ces coups de boutoir ne sont pas bons pour la région. Dans un an, si le balancier repart dans l’autre sens, on risque d’assister à des licen- ciements dans les commerces français. Ce phénomène crée trop de déséqui- libres. Propos recueillis par J.-F.H.

rer d’une partie de son personnel. Dans l’horlogerie notamment où on est dans une période un peu plus tendue, certes après trois ans de quasi-euphorie. L.P.P. : Quels conseils donnez-vous à vos adhé- rents ? J.-F.B. : Des conseils de prudence, sur- tout sur leurs engagements financiers. l faut bien avoir conscience que les choses peuvent s’inverser très vite. Les anciens frontaliers ont conscience de ces fluctuations, les nouveaux, moins,

car ils n’ont pas le recul nécessaire. Il suffirait aussi que l’euro repar- te pour que les choses changent. i l’économie repart en Europe, il y aura forcément un réajustement.Tout cela fait partie du risque du frontalier. On conseille donc aux frontaliers de ne pas s’endetter plus que nécessaire et de mettre de côté. L.P.P. : Comment réagissez- vous par rapport à la volon- té affichée par quelques patrons de baisser les salaires des pendulaires ? J.-F.B. : À chaque fois, on

“Les choses peuvent

s’inverser très vite.”

Jean-François Besson est le secrétaire général du Groupement Transfrontalier Européen (photo G.T.E.).

Entreprise La compétitivité suisse malmenée Salaires des frontaliers diminués : un syndicat monte au créneau

Deux entreprises basées à La Chaux-de-Fonds et au Locle veulent baisser de 20 % les salaires de leurs employés, en majorité fronta- liers. Le syndicat U.N.I.A. évoque un “dumping social”. Ces mesures sont-elles légales ?

dont 20 % de frontaliers. À La Chaux-de-Fonds, comme dans la vallée de Joux, les pen- dulaires peuvent s’attendre à des bouleversements au niveau de leur emploi même “s’il faut éviter de s’agiter, relativise le syndicat. Mais on sait que cer- taines entreprises ont déjà demandé aux employés de gri- gnoter leurs heures supplémen- taires.” Certaines (à l’image de Girard-Perregaux) réduisent le temps de travail. “Les entre- prises n’ont pas le droit du jour au lendemain, de façon unila- térale, de modifier le congé.” À l’inverse, le syndicat s’oppose au fait de faire travailler 45 heures les travailleurs au prix de 40 heures car cela “équi- vaut à retarder les licenciements” évoque le syndicat. Pierre Castella, président de la société d’outillage de précision Dixi basée au Locle, a proposé un différentiel de prix pour moi- tié assumé par l’entreprise, et pour moitié mis à la charge des clients et des distributeurs. Il a également évoqué d’indexer les salaires au pouvoir d’achat des salariés. “J’imagine que cela signifierait tout simplement adapter le salaire au taux de

de baisse de salaire, soit une hausse du temps de travail de 4 heures par semaine, une mesu- re qui n’entrera peut-être pas en vigueur mais nous devons être prêts si la tempête arrive.” Pour l’heure, U.N.I.A. ne peut pas affirmer que ces mesures sont illégales, surtout si les employeurs respectent les délais légaux de modification des contrats de travail. “Mais au cas où seuls les frontaliers seraient concernés, alors il s’agirait de discrimination, qui ouvrirait la porte au dumping salarial, relève Catherine Laub- scher. Si une entreprise est ten- tée de réduire le salaire, elle vio- lerait les règles de la libre circulation du traité européen” poursuit-elle. Pour cette syndi- caliste, les salariés suisses ont tort de penser que baisser le salaire d’un frontalier équivaut à préserver leur emploi : “Les entreprises suisses seraient alors tentées de n’embaucher que des frontaliers, forcément moins chers” image Catherine Laub- scher qui rappelle que le rôle de son syndicat est de protéger tant le travailleur suisse que le fron- talier. U.N.I.A. est majoritaire en Suisse avec 10 000 membres

L es patrons suisses cher- chent par tous les moyens à préserver leur compétitivité après la hausse du franc, quitte à fran- chir la ligne rouge. Au Locle et à La Chaux-de-Fonds, deux entreprises - selon le syndicat U.N.I.A. - proposent de baisser de 20 % le salaire des fronta- liers. Ce sont “des pratiques dan- gereuses” , “une brèche catastro- phique pour les salaires neuchâtelois” , “la porte ouverte au dumping salarial” déclare la secrétaire régionale d’U.N.I.A. Catherine Laubscher qui n’a pas mâché ses mots pour qua- lifier les mesures prises - ou envisagées - par deux entre- prises du canton neuchâtelois pour contrer la force du franc. Toujours selon le syndicat suis- se, l’entreprise allemandeWec- kerle - injoignable - entend bais- ser les salaires jusqu’à 20 %.

Arrivée au Locle en 1998 avec le soutien de la promotion éco- nomique neuchâteloise, elle emploie environ 70 personnes et fabrique des produits de maquillage. Les employés inté- rimaires ont été informés mer-

credi 28 janvier par les agences de pla- cement concernées, qui leur ont déjà donné un nouveau contrat à signer. H.L. Technology emploie environ 80 personnes dans le secteur du médico- dentaire à Chaux- de-Fonds. Son direc- teur René Benninger a confir- mé au quotidien régional suisse L’Impartial “qu’il a proposé à ses employés soit 10 %

Catherine Laubscher, secrétaire régionale du syndicat U.N.I.A. pour la région de Neuchâtel et Chaux-de-Fonds, défend les travailleurs suisses et frontaliers.

“Nous devons être prêts si la tempête arrive.”

tivité à l’export. Ils seront les premiers touchés. Le retour du bâton du franc fort n’en est que plus douloureux. Que peuvent faire des entreprises ? “Qu’elles se montrent inventives et qu’elles aient recours au chômage par- tiel, qui peut désormais inter- venir face au franc fort” conclut le syndicat qui prend pour exemple la crise de 2008 à laquel- le le canton a plutôt bien résis- té.

change, et la réponse est claire- ment non ! Ce serait comme dire que le salaire doit être adapté en fonction des charges de l’employé (célibataire ou pas, enfants à charge pas…)” com- mente la syndicaliste d’U.N.I.A. Les travailleurs français ont compris que les fédérations d’employeurs suisses réfléchis- saient activement au moyen de limiter l’impact de la hausse du franc suisse sur leur compéti-

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