La Presse Pontissalienne 184 - Février 2015

LE DOSSIER

La Presse Pontissalienne n° 184 - Février 2015

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LES FRONTALIERS FACE AU TAUX DE CHANGE

Passé l’effet d’aubaine qui a pour conséquence immédiate de faire bondir les salaires des frontaliers, l’envolée du franc suisse si elle perdure aura des effets inévitables sur l’emploi et l’économie suisse. Des effets forcément négatifs pour une économie suisse largement exportatrice qui risque de s’essouffler.

Explosion du franc suisse : une fausse bonne nouvelle Économie Abolition du plafond La décision de la Banque Nationale Suisse d’abolir le plafonnement du franc suisse bouleverse et déstabilise les rapports transfrontaliers en matière d’emploi et d’économie. Les frontaliers gagnent plus, certes. Faut-il s’en réjouir pour autant ?

Des entreprises comme Dixi au Locle avaient déjà proposé de baisser les salaires des frontaliers.

D u jour au lendemain, les travailleurs fronta- liers ont vu leur salai- re augmenter de 20 %. La conséquence indirecte d’une décision prise en haut lieu par la Banque Nationale Suisse. Le 15 janvier, l’organisme financier a décidé d’abandonner le cours plancher de 1,20 franc suisse pour 1 euro qu’elle avait établi en septembre 2011 pour lutter contre l’appréciation de la devi- se helvétique. Si en décembre 2014 un travailleur frontalier percevait 3300 euros en touchant un salaire de 4000 francs suisses, il a touché un mois plus tard 4 000 euros pour le même salaire de 4000 francs suisses par le simple jeu du taux de change. Ou com- ment gagner plus sans travailler plus… Cette augmentation du pouvoir d’achat s’est donc faite du jour au lendemain. Si l’on prend un peu de recul, l’envolée du franc suisse est encore plus spectaculaire. “Pour un salaire de 6000 francs suisses, un tra- vailleur frontalier perçoit donc

entre les politiques monétaires menées dans les principales zones monétaires ont fortement augmenté ces derniers temps et qu’elles pourraient encore s’accentuer, la banque helvétique est parvenue à la conclusion qu’il n’est plus justifié de maintenir le cours plancher. “Depuis sep- tembre 2011, la B.N.S. rachetait des devises pour essayer de main- tenir un taux plancher qui ne pénalise pas les exportations suisses. Mais les Suisses ont eu peur que le dollar s’envole par rapport à l’euro et donc peur de ne pas pouvoir remonter la pen- te. Lié à l’euro, le franc suisse risquait alors d’être trop sous- évalué” explique de son côtéAlain Marguet, le président de l’Amicale des frontaliers. Si ce déplafonnement du taux de change a un impact direct sur le pouvoir d’achat des fronta- liers, il est sans doute nécessaire de raisonner à plus long terme. Pour beaucoup, c’est une faus- se bonne nouvelle. “C’est même une mauvaise nouvelle pour la garantie de l’emploi” estimeAlain

désormais près de 6000 euros. En 2008, et ce n’est pas si loin- tain, pour un même salaire de 6000 francs suisses, l’équivalent en euros était de 3 750 euros” illustre Jean-François Besson, secrétaire général du Groupe- ment Transfrontalier Européen. Pour comprendre ces écarts, il n’est pas inutile de revenir sur la décision récente de la Banque Nationale Suisse. Selon l’organisme bancaire,

Marguet. Sur la bande fronta- lière, des entreprises ont d’ailleurs procédé à des licen- ciements quelques jours après la décision de la Banque Natio- nale. Parmi elles, la société Petit- jean aux Brenets (canton deNeu- châtel). D’autres grandes manufactures prévoient un allé- gement de leur effectif. Selon nos informations, Jaeger- LeCoultre en vallée de Joux aurait commencé à se séparer de ses travailleurs temporaires qui sont au nombre de 300, soit un quart de l’effectif global. L’horlogerie, comme toutes les branches industrielles exporta- trices de Suisse, est forcément touchée par cette décision. Les milieux économiques suisses ne se sont d’ailleurs pas privés de condamner cette décision qui a même été qualifiée de “tsu- nami” par Nick Hayek, le big boss du groupe horloger Swat-

ch. Pour le directeur de l’office du tourisme du canton de Vaud Andreas Banholzer, “c’est une catastrophe pour le tourisme.” Même son de cloche recueilli dans les journaux suisses par le responsable de l’entreprise F.K.G. Dentaire de La Chaux-de-Fonds, Thierry Rouiller : “Cette annon- ce constitue une catastrophe, c’est même de l’inconscience” a-t-il déclaré. Pour tenter de contre- carrer cette décision-couperet, certains patrons suisses ont même évoqué la possibilité de baisser les salaires des tra- vailleurs frontaliers.C’est notam- ment le cas de la société Dixi au Locle. “J’ai lancé cette idée com- me un ballon d’essai” s’est jus- tifié le patron de Dixi, estimant que la décision de la banque suis- se “a entraîné une profonde dis- crimination vis-à-vis des tra- vailleurs résidant en Suisse.” Une discrimination qu’il fau-

drait “absolument corriger.” Ce genre de propos a immédiate- ment été balayé par les syndi- cats suisses. “Toute décision ten- dant à baisser les salaires des seuls frontaliers serait illégale” tranche l’Amicale des fronta- liers. Trois semaines après cette déci- sion surprise de la BanqueNatio- nale Suisse, il est évidemment prématuré de tirer les ensei- gnements à long terme de ce séisme qui a secoué la Suisse et plus particulièrement l’Arc juras- sien. Les taux du franc suisse peuvent retrouver un cours plus “normal”, tout comme ils peu- vent encore grimper. “Certains économistes disent que le cours peut monter jusqu’à 1 franc suis- se pour 0,70 euro” note Jean- François Besson. Du côté des entreprises suisses, personne n’ose imaginer ce scénario. J.-F.H.

l’introduction du cours plancher en 2011 avait eu lieu dans une période d’extrême sur- évaluation du franc et de très for- te incertitude sur lesmarchés finan- ciers. Cette mesu- re exceptionnelle et temporaire a préservé l’économie suisse de graves dom- mages. Mais par- tant du constat que les disparités

“Cette annonce constitue une catastrophe.”

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