La Presse Pontissalienne 183 - Janvier 2015

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Pontissalienne n° 183 - Janvier 2015

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LEVIER

Jean-Pierre Gurtner “Lamontée du Front National m’inquiète”

Le conseiller général du canton de Levier a décidé de ne pas se représenter. La réforme territoriale qui va modifier en profondeur le mandat dont seront investis les futurs conseillers départementaux est une des raisons qui l’ont poussé à arrêter.

L a Presse Pontissalienne : Vous faites par- tie des conseillers généraux qui ont déci- dé de ne pas se représenter. Qu’est-ce qui a motivé votre décision ? Jean-Pierre Gurtner : La réforme territoriale me semble très compliquée. Aujourd’hui, je travaille sur 15 communes dans le can- ton de Levier. Mes successeurs en auront 57. C’est énorme. Le plus difficile sera de conserver avec les communes le lien de proximité qui fait la richesse de ce man- dat. Cette idée demettre en place des équipes de quatre élus géographiquement repré- sentatives de ces nouveaux territoires me paraît complexe. Je ne me voyais pas évo- luer dans ce système-là qui va obliger les élus à trop de déplacements s’ils veulent maintenir ce lien de proximité essentiel à mes yeux. L.P.P. : Les cantons sont plus étendus, et le porte- feuille de compétences des futurs Départements sera très probablement réduit à compter de 2017. Le regrettez-vous ? J.-P.G. : Je trouve hallucinant que l’on envi- sage de transférer aux Régions la compé- tence économique et la compétence route du Département. Le conseiller général est un des élus les mieux placés pour défendre le développement économique de son ter- ritoire car il est en contact permanent avec le terrain. Je trouve cette idée révoltante car l’économie et les routes sont les deux nerfs de la guerre en milieu rural. Il est probable que le tourisme et la culture soient également transférés à la future grande région. L.P.P. : En quoi est-ce un problème que ces com- pétences soient transférées aux Régions ? J.-P.G. : Le problème avec les conseillers régionaux est qu’on risque de se retrouver en présence d’élus éloignés des probléma- tiques de terrain. Nous allons perdre le pragmatisme dont font preuve les conseillers généraux à l’égard de leurs concitoyens. Lors des élections régionales, on vote des listes, avec une tête de liste qui une fois

(revenu de solidarité active) grâce à une dotation d’État et à ses recettes fiscales. Le Département reverse ensuite cet argent aux allocataires et aux structures associa- tives compétentes. Ce budget s’élève à 66,4 millions d’euros en 2015. C’est 4,3 mil- lions d’euros de plus par rapport à 2014. Cela ne cesse d’augmenter. Au regard de cette situation, je souhaite que l’on modi- fie le système pour le rendre plus efficient en travaillant davantage sur l’insertion. L.P.P. : Concrètement, comment cela pourrait se tra- duire ? J.-P.G. : J’ai proposé au Conseil général d’appréhender l’insertion sous un angle dif- férent. L’idée que j’émets est d’innover autour de l’agroalimentaire solidaire pour favoriser le retour à l’emploi des personnes en difficulté. On peut imaginer que le Dépar- tement investisse dans des serres dédiées à la culture maraîchère. Elles seraient chauffées grâce à de petites unités de métha- nisation et fonctionneraient ainsi toute l’année. Ces serres donneraient à la fois du travail aux personnes en insertion, et devien- draient en priorité une source d’alimentation pour les personnes à faible revenu. Nous sommes en plein dans la valorisation des circuits courts. Cette économie n’est pas délocalisable. Nous ne sommes pas dans le virtuel, mais le contact avec la terre et le contact humain. Il y a en plus une relation au temps de la nature qui me semble inté- ressante dans ce travail. Ce mode d’insertion permettrait à mon sens d’apporter un équi- libre à des personnes qui vivent isolées en ville. Par cette approche nouvelle, le but est que le Conseil général devienne acteur de l’insertion via la filière alimentaire. Par ce biais, on peut créer de la richesse et du lien avec les autres. Le Département pour- rait utiliser le F.S.E. (Fonds social euro- péen) qu’il perçoit pour financer ce projet. L.P.P. : Où seraient installées ces serres ? J.-P.G. : Il faudrait les implanter en péri- phérie des grandes agglomérations où les besoins en insertion sont plus forts. Je pen- se à Besançon pour commencer, à Mont- béliard, et pourquoi pas à Pontarlier. L.P.P. : Il est possible qu’un canton au moins bas- cule à l’extrême droite dans le pays de Montbé- liard. Comment percevez-vous la poussée du F.N. ? J.-P.G. : La montée du Front National m’inquiète. Beaucoup de gens sont prêts à donner leur voix au F.N. non pas par adhé- sion mais par révolte. Petit à petit, on fran- chit des marches qui ne font plus peur à personne et qui gagent une catégorie d’électeurs jeunes, actifs, bien ancrés dans la réalité sociale et territoriale. La réfor- me territoriale telle qu’elle a été imaginée, va éloigner les élus du terrain et ouvrir de nouvelles brèches pour le F.N. qui tient un discours de proximité. L.P.P : Est-il possible d’empêcher la montée du F.N. et comment ? J.-P.G. : Notre crédibilité passera par une suppression de la technocratie qui est deve- nue trop lourde, non réactive. Elle est aus- si zélée que frileuse. Or, c’est l’administration qui a le pouvoir dans ce pays, pas les élus. On en arrive à des situations où personne n’est responsable, c’est ce qui tue la démo- cratie autant que la politique. Ce qui nous tue aussi, c’est cette forme d’impérialisme de l’élite politique et de sa cour. Elle se revendique de De Gaulle, le mythe du sau- veur qu’elle entretient.Mais nous ne sommes plus dans une génération d’élus sauveurs.

Jean-Pierre Gurtner : “Le conseiller général a un rôle humaniste dans notre société.”

élue va installer aux res- ponsabilités des per- sonnes qui n’auront pas forcément les compé- tences requises pour s’occuper, par exemple, d’économie. Elles n’auront peut-être pas non plus la pertinence qui résulte d’une capacité à innover. Alors que notre démo- cratie réclame des gens de terrain, nous allons mettre en place des gens d’appareil. L.P.P. : Que restera-t-il aux Départements ? Le social ? J.-P.G. : Le social est déjà la compétence qui nous prend le plus de temps. Elle demande une atten- tion particulière de la part des élus. L.P.P. : Vous avez justement proposé au Conseil général qui attribue le R.S.A. d’innover dans le secteur de l’aide socia- le. Pouvez-vous nous en dire plus ? J.-P.G. : Je propose que l’on organise une gestion directe de l’aide sociale. Actuellement, le Conseil général finance le R.S.A.

ordinaire que le préfet valide le découpa- ge cantonal sans que nous ayons droit au chapitre, et qu’à l’inverse, lorsqu’on l’interpelle sur cette question, il botte en touche. L.P.P. : Dans quelques mois, vous quitterez donc le Conseil général. L’heure de la retraite politique a sonné. Qu’allez vous faire ? J.-P.G. : Je vais rester au conseil municipal de Levier. Je suis élu depuis 13 ans au Conseil général. C’est un mandat très inté- ressant qui contribue à ouvrir l’esprit à la fois sur la richesse de nos institutions et sur la pauvreté qui est à la porte de nos villes et de nos villages. Cette misère, on ne la voit pas. Mais c’est une misère de situation qui demande de la compréhen- sion et un accompagnement des personnes qui dans la vie ont été défavorisées. Nous sommes totalement à l’opposé de ce qu’on nous montre à la télévision et de la poli- tique qui mène aux paillettes. Le Conseil général est une institution qui ouvre les yeux sur ce qu’est notre société aujourd’hui. Chaque élu du Département, qu’il soit de gauche ou de droite, est confronté à des gens qui sont dans la misère et qui deman- dent de l’aide. Chacun d’eux est en prise directe avec cette réalité de terrain et se mobilise pour apporter une solution. Le conseiller général a un rôle humaniste dans notre société. Propos recueillis par T.C.

L.P.P. : En même temps, lorsque l’U.M.P. annonce déjà que Christine Bouquin sera présidente du Conseil général du Doubs si le Département bas- cule à droite, on est en plein dans les arrangements que vous dénoncez ? J.-P.G. : Je trouve qu’attribuer les places et donner des lots de consolation avant même d’avoir gagné les élections, c’est un peu fort. Il faut déjà commencer par avoir des pro- jets, par les défendre, et se présenter devant les électeurs. Il faut ensuite gagner les élec- tions. Une fois cette étape franchie, si le Conseil général bascule à droite, il y aura peut-être d’autres élus que Christine Bou- quin pour occuper la fonction de Président. L.P.P. : Dans la réforme territoriale, Levier perdrait son titre de chef-lieu de canton au profit de Fras- ne. Le conseil municipal s’insurge contre cela. Espé- rez-vous obtenir gain de cause ? J.-P.G. : Levier réclame le titre de chef-lieu car c’est tout simplement la ville la plus importante du canton. Elle compte 500 habitants de plus que celle de la commu- ne de Frasne. Il s’est passé qu’au départ, dans le premier projet de découpage can- tonal, Levier n’était pas dans le même can- ton que Frasne. Nous étions avec Ornans. Finalement, l’État a encore modifié les fron- tières et cette fois-ci nous sommes avec Frasne, une commune qui est moins peu- plée que Levier. Le conseil municipal de Levier a donc déposé un recours pour que la commune soit désignée chef-lieu de can- ton. Cette demande est légitime. C’est extra-

“Nous sommes à l’opposé d’une politique qui

Bio express Jean-Pierre Gurtner

62 ans Conseiller général du canton de Levier depuis 2001 (réélu en 2008) Président de la C.C.A. 800 de 2003 à 2014 Conseiller municipal de Levier depuis 1983 Enseigne la biologie et l’écologie au lycée agricole de Levier depuis 1975

mène aux paillettes.”

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