La Presse Pontissalienne 176 - Juin 2014

DOSSIER 24

La Presse Pontissalienne n° 176 - Juin 2014

Les Verrières-de-Joux Fabrication de chaînes Sedis a eu recours aux femmes Face à la Suisse, cette entreprise installée à deux pas de la frontière n’a eu d’autre choix que d’accentuer la féminisation de son effectif. Une main-d'œuvre plus stable.

P remier effet et non des moindres, le travail frontal- ier a fragilisé durablement le tissu industriel du Haut- Doubs ou ce qu’il en restait. L’impact est d’autant plus fort qu’on se rap- proche du bassin helvétique comme c’est le cas aux Verrières-de-Joux. “On emploie aujourd’hui 62 salariés alors qu’on était plus de 100 il y a une quin- zaine d’années. Cette réduction d’ef- fectif s’explique en partie par la prox- imité avec la Suisse” , indique Raymond Brenet, le directeur. Ce dirigeant estime que le passage aux 35 heures a égale- ment accentué le phénomène. “On est passé à un système d’annualisation du temps de travail avec règlement des heures supplémentaires en fin d’année. Cela ne correspondait pas du tout à la volonté des ouvriers français qui voulaient d’abord travailler plus pour gagner plus.” En deux ans, la Sedis a perdu une trentaine de salariés hommes. Ces départs concernent principalement l’atelier de composants où l’on réalise des opérations de découpage et de cisail- lage d’acier. Conséquences : une par- tie de l’activité a dû être transférée sur

le site Sedis de Troyes dans l’Aube. “On a été contraint de réorganiser la production” , poursuit le directeur. Face aux difficultés récurrentes de recruter du personnel masculin, l’en- treprise des Verrières a privilégié l’op- tion féminine en renforçant l’automa- tisation de l’atelier d’assemblage. “On a formé le personnel féminin sur ces postes qui ne nécessitent pas trop d’ef- forts physiques” ajoute le directeur. Cette stratégie s’avère payante. Elle s’inscrit dans la logique dumari frontal- ier et de l’épouse qui n’a pas forcément besoin d’aller travailler chez nos voisins. La carte de la féminisation a peut-être sauvé le site des Verrières d’une fer- meture inéluctable. “La Sedis appar- tient aujourd’hui à un groupe indien qui continue à nous faire confiance” , apprécie Raymond Brenet. Comme quoi, tous les savoir-faire ne sont pas délocalisables.

À l’instar d’autres entreprises en zone frontalière, celle des Ver- rières s’efforce aussi de fidéliser son personnel. Premier avantage : des salaires de 5 à 10 % supérieurs à la moyenne dans l’industrie. Ici, cha- cun touche le 13 ème mois. “On a mis en place un ser- vice de transport avec une

Ici, chacun touche le 13 ème mois.

navette de bus entre Pontarlier et Les Verrières-de-Joux” , complète Raymond Brenet. Le directeur tempère aussi son propos en soulignant que la situation est moins tendue qu’auparavant du simple fait que les nouveaux frontal- iers viennent aujourd’hui de l’extérieur. Les employeurs suisses n’ont pas hésité à élargir le rayon de recrutement géo- graphique pour faire face à leurs besoins.

Face à la Suisse, le fabricant de chaînes a trouvé son salut en renforçant la féminisation de sa main-d’œuvre.

La réponse sociale d’Isa France Exemple À 1 km de la frontière Tenter de rivaliser avec la Suisse sur la question des salaires est un combat perdu d’avance. Pour conserver sa main-d’œuvre, l’entreprise horlogère basée à Villers-le-Lac a fait preuve d’imagination en développant le volet social.

Le point de vue d’un patron “Le salaire minimal aurait tiré les salaires vers le bas” François Thiébaud, président de l’entreprise hor- logère Tissot, réagit aux résultats de la dernière votation en Suisse. Dans l’horlogerie, les salaires en dessous de 4 000 francs sont rares. La Presse Pontissalienne : L’idée d’un salaire minimal à 4 000 francs suisses n’était pas une bonne idée ? François Thiébaud : À mon avis non, car cette mesure aurait eu pour conséquence de tirer les salaires vers le bas dans le secteur hor- loger. Le salaire minimal dʼembauche dans le canton de Genè- ve est à 3 980 francs mais dès que le salarié possède un C.F.C., ce salaire dʼembauche est déjà de 4 485 francs. À Neuchâtel, dès 19 ans et sans diplôme, le salaire est de 3 580 francs suisses, avec un C.F.C. il est de 4 380 francs et ce, sur 13 mois. Soit, rap- porté sur douze mois, 4 745 francs suisses. L.P.P. : Donc pour l’horlogerie, que les citoyens aient dit “non” lors de la récente votation, c’est plutôt une bonne nouvelle ? F.T. : Je pense cʼest un signe de maturité et de responsabilité de la part du peuple suisse. Si on prend notre exemple, 20 % de lʼassemblage de nos montres se font dans le Jura suisse et 80 % dans le Tessin. Si cette votation était passée, on aurait suppri- mé des emplois dans le Jura et au Tessin car on aurait rapatrié

S ituée à Villers-le-Lac, à deux pas de la frontière suisse, l’entreprise hor- logère Isa France n’a pas été épargnée par la fuite de sa main-d’œuvre.Tout a changé “le jour où nous avons cessé de nous lamenter, lorsque nous avons compris qu’il fallait trou- ver autre chose que de tenter de rivaliser avec la Suisse sur la question des salaires, ce qui est illusoire. On ne peut pas reprocher à ce pays ce que nous ne parvenons pas à faire en France. Il fallait trouver d’autres

armes” note la direction de la société. La solution a été de développer le volet social.Depuis une dizaine d’années, divers outils ont été

isé une enquête auprès de ses collaborateurs pour évaluer justement l’impact de sa poli- tique sociale. “Il y a trois grandes tendances qui reviennent dans cette étude. La première, qui est mise en avant, est la qualité de vie dans l’entreprise, la prox- imité avec la hiérarchie, l’équili- bre avec la vie personnelle. La seconde est la reconnaissance et la troisième, la formation” résume la direction. En quelques années, le taux de départ est passé de 10 voire 12 % à 3 voire 5 %. “Cela ne veut pas dire que

nous sommes à l’abri de prob- lèmes. Nous ne devons pas nous endormir.” En 2013, Isa France a reçu le prix de l’innovation sociale décerné par l’État et la Région qui vient couronner sa politique salariale dont un des points forts est la formation. Elle a transformé en facteurs constructifs ce que beaucoup de patrons considèrent comme des contraintes typiquement françaises. Par exemple sur le thème de la pénibilité, Isa France a mis en place une for- mation ergonomie dans laque- lle chacun est acteur de la démarche. En 2012, alors que l’entreprise horlogère faisait face à des difficultés économiques qui auraient dû l’amener à licencier, elle a mis en place un vaste plan de for- mation pour tous ses salariés. “Chaque collaborateur a eu reçu d’une à plus de quarante journées de formation. Les gens sont revenus plus qualifiés. 23 d’entre eux ont été diplômés. À l’extrême, nous avons fait du prêt de personnel à une société du Val de Morteau, ce qui nous a permis de faire une économie provisoire de six salaires. Grâce à ces mesures, les gens ont gardé la confiance en leur entreprise et ils sont revenus plus forts.” Aujourd’hui, Isa France a réin- tégré son personnel. La société de Villers-le-Lac emploie une centaine de personnes. Elle sait comment réagir pour préserv- er ses compétences quand la conjoncture se durcit.

mis en place afin de valoriser l’ensemble des salariés et créer ainsi un lien entre eux et l’en- treprise pour laquelle ils tra- vaillent. Et cela fonctionne. Isa France a réal-

“La qualité de vie dans l’entreprise.”

nos emplois à Neuchâtel, ce qui nous aurait en plus économisé des frais de logistique et de transport. Cette votation, si elle était pas- sée, aurait été au détriment de lʼemploi dans les cantons qui ne sont pas encore au niveau des 4 000 francs suisses. Et si on avait voté pour les 4 000 francs, ça aurait également blo- qué les salaires et leur progression dans des cantons comme Neuchâtel qui sont déjà au- dessus. De toute manière, dans lʼhorlogerie, on est obligé de pratiquer des salaires inté- ressants, au risque de se faire piquer nos bons éléments. Les salaires sont naturellement tirés vers le haut. Recueilli par J.-F.H.

“C’est un signe de maturité et de responsabilité.”

Isa France, qui emploie une centaine de personnes, a l’image d’une entreprise sociale.

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