La Presse Pontissalienne 173 - Mars 2014

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Pontissalienne n° 173 - Mars 2014

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POLITIQUE

Maître de conférences en sciences politique “L’action politique est de

plus en plus standardisée”

À moins d’un mois des élections municipales, Guillaume Gourges, universitaire bisontin spécialiste en sciences politiques, relativise le poids des clivages politiques dans les enjeux locaux. Selon lui, les élus locaux sont devenus des managers.

Guillaume Gourgues : “On assiste actuellement à un retour de l’initiative citoyenne.”

L a Presse Pontissalienne : Le clivage idéolo- gique gauche-droite a-t-il toujours un sens à l’occasion du débat sur les municipales ? Guillaume Gourgues : Depuis les débuts de la décentralisation, la place de la politique, de l’affrontement partisan dans la gestion des politiques publiques est loin d’être évidente. On se rend compte que de plus en plus on a affai- re à des membres d’une classe politique qui agissent comme des “managers territo- riaux”. Aujourd’hui les politiques urbaines sont animées par des mots d’ordre qui sont toujours les mêmes : attractivité du terri- toire, développement local, compétitivité, ce qui conduit toujours, quelle que soit l’étiquette politique, à conduire les mêmes politiques partout : réaménagement du centre-ville, des voies sur berges, création d’un tramway, etc. Les symboles de cette uniformisation, ce sont les aménagements réalisés autour du tramway ou encore les politiques d’aide à l’implantation des entre- prises. L’action politique urbaine est de plus en plus standardisée. Ce qui est para- doxal, c’est qu’on n’a jamais été autant décentralisé et que les politiques publiques se ressemblent toutes d’une ville à l’autre. On cherche beaucoup les vrais clivages poli- tiques dans les débats, on ne les trouve pas parce qu’au fond, il y a un consensus entre tous. L.P.P. : Un bon maire est désormais un bon mana- ger, c’est cela ? G.G. : Dans cette logique managériale, on a des maires qui sont à la recherche des

tée en puissance de l’intercommunalité, laquelle exige un consensus permanent. Dans ces instances intercommunales, il y a une volonté d’affaiblir les clivages par- tisans. D’ailleurs ce consensus mou rend bien souvent les intercommunalités inef- ficaces. L.P.P. : Quelle est la finalité pour des villes moyennes de tenter de concurrencer ses voisines ? G.G. : Cette concurrence féroce entre villes, personne ne l’assume véritablement et elle peut aboutir à des catastrophes car tout le monde ne peut pas gagner dans cette com-

té des luttes urbaines des années soixan- te-dix. Et les maires se sont mis ensuite à appliquer les conseils de quartiers à tout va en les canalisant progressivement dans des dispositifs officiels dans lesquels bien souvent hélas il ne se passe pas grand-cho- se. L.P.P. : L’initiative citoyenne dans les villes, c’est donc une chimère ? G.G. : On assiste actuellement à un retour de l’initiative citoyenne à travers l’Europe avec le principe de la “communauty orga- nizing” (l’organisation communautaire), un concept inventé par l’extrême gauche américaine dans les années quarante et cinquante. L’idée est de fédérer les habi- tants d’un quartier pauvre autour de pro- blèmes et de les former pour qu’ils devien- nent des leaders politiques, et organiser des campagnes de revendication radicale. Il y a en ce moment une énorme expérience à Londres. Le but est d’instaurer un rap- port de force avec les pouvoirs publics. En France, l’exemple-type actuel, c’est Notre-Dame-des-Landes. C’est l’endroit en Franc où l’on exprime des craintes sur la métropolisation à outrance et la compéti- tion sauvage entre territoires urbains. Ceux qui apportent la contradiction politique, ce ne sont plus les politiques eux-mêmes, mais ce genre de groupes sociaux. Le débat politique est en train de bouger et ce, mal- gré la ribambelle de dispositifs de démo- cratie participative qu’on enfile comme des perles. Propos recueillis par J.-F.H.

bonnes recettes et ces bonnes recettes ne sont ni de droite ni de gauche. Gérard Col- lomb à Lyon est de gauche, Alain Juppé à Bordeaux est de droite, mais tous deux seront certainement réélus car ils ont su rendre le centre-ville à ses habitants. L.P.P. : Comment expliquez-vous ces similitudes ? G.G. : D’abord par la mondialisation de la compétition urbaine, directement liée au capitalisme. Les acteurs financiers et les grands groupes ont pénétré les villes car des secteurs entiers ont été libéralisés (l’eau, le transport public, le bâtiment, les parkings…). Les élites politiques locales sont confrontées à de vrais problèmes dans leurs villes comme la désindustrialisation et ils doivent trouver d’autres sources de financement pour leur territoire. Se déga- gent alors, financées en partie par les pri- vés, des standards de développement urbain qui se diffusent partout. Comme ces grands quartiers multi-fonctionnels avec des loge- ments, de l’activité, où les investisseurs limitent ainsi les risques. Ce poids de la compétition urbaine se ressent bien sûr jusqu’à nos villes franc-comtoises. C’est ainsi que les élus locaux ont dû apprendre un nouveau métier : manager, commercial, V.R.P. C’est notamment le cas pour Besan- çon. L.P.P. : La dépolitisation du débat s’accentue donc inexorablement ? G.G. : Il y a aussi de la part des politiques eux-mêmes une volonté de dépolitiser les questions locales qui s’explique par la mon-

Bio express Bourguignon d’origine, Guillaume Gourgues, enseignant-chercheur de 32 ans est maître de conférence depuis 2012 à la fac de droit de Besançon. Il a consacré sa thèse de sciences politiques à la démocratie participative dans les régions françaises. En 2013, il a publié Les politiques de démocratie participative”. Il travaille actuellement sur le fonds d’archives du second conflit Lip.

pétition. Prenons l’exemple de Grenoble très orienté sur les nanotechnologies avec la présence du C.E.A., avec une école d’ingénieurs interna- tionalement reconnue et un tissu d’entreprises très den- se et ici en Franche-Comté, sans vraiment en débattre, on déclare se spécialiser aus- si dans les nanotechnologies au prétexte de la reconver- sion de l’horlogerie. Est-ce vraiment l’intérêt des villes de tenter ainsi de se concur- rencer ? L.P.P. : Quel regard portez-vous sur la notion de “démocratie partici- pative” dont tous les candidats aux municipales se disent être les pro- moteurs ? G.G. : C’est un dispositif héri-

“Les bonnes recettes ne sont ni de droite ni de gauche.”

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