La Presse Pontissalienne 170 - Décembre 2013

A g e n d a

La Presse Pontissalienne n° 170 - Décembre 2013

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“Je suis dans une recherche d’émotion, de vérité, d’humour” Lola Sémonin partage son temps entre la scène et l’écriture. Elle publie son nouveau roman “La Madelei- ne Proust, une vie” qui retrace l’enfance du personnage dans les années vingt dans le Haut-Doubs. Elle joue par ailleurs son dernier spectacle sur les scènes de Franche-Comté. Rencontre. CULTURE - LOLA SÉMONIN

L a Presse Pontissalienne : D’où vous est venue l’envie d’écrire l’histoire de laMade- leine Proust ? Lola Sémonin : En 1990, j’avais déjà écrit un livre qui racontait les coulisses du spectacle et les anecdotes de tournée dans les villages. Comme je suis opi- niâtre, j’ai repris contact avec les édi- tions Flammarion pour leur proposer de continuer à raconter cette aventure personnelle. Finalement, l’année der- nière, Thierry Billard, directeur litté- raire de Pygmalion (antenne Gallimard) ma proposé d’inventer plutôt une vie à la Madeleine Proust. J’ai reçu cela com- me un cadeau du ciel alors que ce per- sonnage a trente ans ! L.P.P. : Dans ce livre, on découvre l’enfance de la Madeleine dans une ferme du Haut-Doubs. L’histoire se passe entre 1925 et 1939. Vous décrivez une vie extrêmement rude, avec sou- vent des touches d’humour,mais qui nous éloigne du personnage comique que le public a l’habitude de voir ? L.S. : Sur scène, La Madeleine Proust dit beaucoup de choses sur cette vie dure. D’ailleurs quand elle les raconte, elle ne rit pas. En revanche, c’est la façon dont elle formule les choses qui fait rire le public. Mais sur le fond, le propos est plein d’émotion et retrace la réalité éco- nomique, politique, religieuse, sociale d’une époque. Je n’ai pas cherché à fai- re un livre drôle, mais livre historique. C’est l’histoire de la Madeleine Proust dans le Grande Histoire. L.P.P. : À la fin du roman, on quitte la Madelei- ne Proust alors qu’elle a quatorze ans. Elle n’ira plus à l’école. Comment va-t-elle évoluer et fina- lement s’en sortir ? L.S. : Elle va devenir un personnage roma- nesque. Il va lui arriver ce dont j’ai par- lé dans mes spectacles. Elle va faire le “Tour du monde”, rencontrer le petit Kamel, être confrontée à la technologie. Il va lui arriver des tas d’aventures, c’est sûr.Toutes n’ont pas encore été prévues.

Ce roman est un premier tome. Il y en aura au moins trois. Le prochain ne sor- tira pas avant 2015. Mais je peux déjà annoncer que l’histoire se passera pen- dant la guerre de 39-40. J’écris, mais je joue également mon dernier spectacle “LaMadeleine Proust, trente ans de scè- ne”, avec lequel je tourne en région jus- qu’en 2014 et partout en France en 2015. L.P.P. : Dans ce roman, les personnages font des commentaires sur la situation sociale de l’époque. Ils pourraient être transposés pour décrire la crise actuelle. Finalement, à vous lire, en 80 ans, les choses n’ont pas beaucoup changé ? L.S. : Dans le livre, Ricet dit à moment : “Pour qu’ils s’en sortent, il faut que les gens consomment. Mais comme ils ont peur de la crise, ils ne consomment pas.” Sur le fond, rien n’a changé. Il y a des points de comparaison entre le contex- te actuel et celui dans lequel se dérou- le l’histoire. C’est la crise de 29 ! Ce sont les mêmes mots, les mêmes arguments. Côté politique et économique, nous sommes pris dans la même grosse mâchoire du capitalisme. Ce qui a chan- gé, c’est l’emprise de la religion sur les gens qui a reculé.

mais on l’en empêche. Pourquoi ? L.S. : Cette petite Madeleine aime la lec- ture en effet. Mais le livre est considé- ré comme diabolique à l’époque. L’accès à la culture est banni car il peut condui- re à une remise en cause de tous les pou- voirs en place : l’État, la religion, mais également le pouvoir du père. L.P.P. : La description que vous faites des condi- tions de vie n’est-elle pas un peu caricaturale ? L.S. : Si on lit des documents d’époque, on remarque qu’il n’y avait pas d’argent. Les seuls revenus dumonde paysan pro- venaient de la vente du lait. On faisait tout à pied. Le cheval n’était utilisé qu’occasionnellement pour les déplace- ments, car il ne fallait pas user les fers qui coûtaient cher. La peur de manquer était très présente dans ces populations qui ont extrêmement souffert pendant la guerre de 14-18. Les gens se privaient toute l’année pour honorer les grands événements comme unmariage, un bap- tême ou une communion. En revanche, à l’époque, on savait tout recycler. “On n’avait rien, mais on faisait avec !” C’est une leçon que nous devrions réapprendre à l’heure de la surconsommation. Ce livre est aussi le fruit d’un travail d’historienne. J’ai beaucoup lu, fait beau- coup de recherches sur cette époque, car la romancière que je suis a envie de por- ter un regard précis sur la réalité que je décris. L.P.P. :Sommes-nous plus heureux aujourd’hui ? L.S. : On ne peut pas comparer ! Le pro- blème à l’époque dans ces fermes, c’est que les gens n’imaginaient pas qu’ils puissent y avoir une autre vie possible. “On était pauvre disait Madeleine, mais comme on ne le savait pas, on n’était pas malheureux.” Cela veut tout dire. L.P.P. : Au chapitre “les Anglais débarquent”, Madeleine qui devient une jeune fille découvre qu’elle a ses règles sans savoir ce qui lui arri- ve ? Pourquoi avoir choisi de raconter cet épi-

sode de la vie d’une femme ? L.S. : L’histoire des règles chez les filles n’est jamais traitée. On ne parlait pas de cela à l’époque et je ne suis pas cer- taine que les mères en parlent plus aujourd’hui à leur fille. Il y a 5 ans, j’ai fait une exposition à Grand’Combe-Cha- teleu. J’ai délibérément choisi le thème des règles. J’ai interrogé pour cela une centaine de femmes de tous les âges en leur demandant ce qu’on leur avait dit des règles. Et j’ai écrit leur témoignage sur ce qu’on appelait les “pattes à cul.” J’ai pu remarquer que quelles que soient les générations, c’est un sujet dont on parle peu. C’était plus vrai encore à l’époque de la Madeleine Proust où la communication dans les relations était pleine de non-dits et de secrets. Dans le livre, j’évoque également l’abus sexuel. Le père, fuyant, n’a pas de considéra- tion pour ce genre de chose et dit sim- plement “c’est du passé.” L.P.P. : En filigrane de votre livre, on mesure le poids de la religion dans la vie quotidienne des gens. Était-il possible de s’en affranchir ? L.S. : Souvent les paysannes de l’époque ont eu une overdose des prières et de l’Église. Quand quelque chose d’excessif s’impose à une personne, soit elle finit par le rejeter d’une manière ou d’une autre, soit elle devient militante poli- tique. Personnellement, je suis allée à l’église jusqu’à l’âge de 18 ans, car ma mère voulait faire plaisir à sa mère et lui montrer qu’elle nous élevait bien. La bonne éducation était d’aller à la mes- se. D’ailleurs, quand j’ai dû écrire des chapitres sur le baptême ou le maria- ge, j’étais tentée de les bâcler car j’étais dans le rejet de cette religion catholique qui a longtemps maintenu les gens dans l’ignorance. Ce que la Madeleine Proust va abandonner, c’est l’obligation d’aller à la messe.À l’inverse, je comprends que des personnes gardent des souvenirs merveilleux des cérémonies.

Lola Sémonin a donné une vie à la Madeleine Proust dans un roman étonnant.

L.P.P. : L’instituteur de Madeleine va enlever le crucifix de sa salle de classe. C’est une autre scène qui fait écho au débat sur la laïcité tou- jours présent dans l’actualité. Mais cela était- il plausible dans un petit village ? L.S. : J’ai voulu faire un clin d’œil à Frei- net qui a commencé à enseigner dans les années vingt. J’ai donc choisi un ins- tituteur laïc et républicain. Ce n’est pas récent le fait que des instituteurs se soient trouvés à défendre la laïcité face à la religion. En revanche, à l’époque, les enfants étaient élevés avec la mora- le dans les écoles. Le carcan était très lourd, car c’était le carcan de la peur. À l’inverse, le laxisme que l’on ressent aujourd’hui de ne pas avoir de morale est grave aussi. L.P.P. : Le chapitre sur Léon Blum et l’arrivée des congés payés est aussi remarquable… L.S. : Léon Blum pour la Madeleine, c’est le père Noël avec les droits sociaux. On ne peut pas cracher sur les congés payés, sur ces droits si souvent bafoués. L.P.P. :Quand écrivez-vous et dans quelles condi- tions ? L.S. : Quand j’écris, je suis dans une recherche d’émotion, de vérité, de poé- sie, d’humour. J’écoute beaucoup de musique quand j’écris, du rap, du jazz, de la musique classique. J’écris de 18 heures à 6 heures du matin. J’adore écrire, c’est comme si je regardais un film. J’essaie de mettre en éveil tous les sens de mes personnages. Parmi les

“On n’avait rien, mais on faisait avec !”

L.P.P. :Madeleine adore l’école. Pourtant, elle va en être privée. La vie de la ferme passe avant tout… L.S. : À l’époque, les gosses de paysans étaient des esclaves.Ils représentaient de la main-d’œuvre pas chère. Il fallait des gosses pour les fermes et des gosses pour la religion. Dans les grosses familles, l’aîné reprenait la ferme, une fille allait au couvent, et le cadet entrait au sémi- naire pour racheter les péchés de tout le monde.

L.P.P. : La jeune fille aime lire,

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