La Presse Pontissalienne 169 - Novembre 2013

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Pontissalienne n° 169 - Novembre 2013

4

AFFAIRE LÉONARDA Confidences Gérard Guinot : “On n’avait plus aucune chance de les garder” Le président du comité de soutien des sans papiers a accompagné la famille Dibrani depuis son arrivée sur le sol français. Sérieusement critiqué pour son attitude, il nous livre sa version des faits dans cette affaire qui a enflammé la France au plus haut niveau du pouvoir.

L a Presse Pontissalienne : Depuis quand suiviez-vous cette famil- le ? Gérard Guinot : Le comité de sou- tien a travaillé pendant trois ans avec cette famille qui est arrivée clandestinement en France en 2009. Il y avait déjà mensonge sur le pays d’origine puisqu’en fait ils venaient d’Italie. J’ai eu droit à trois ver- sions sur la disparition des papiers. L.P.P. : Lesquelles ? G.G. : Au départ, ils auraient brû- lé en 2004 dans l’incendie de la maison qu’ils occupaient lors du conflit entre les Serbes et les Albanais. Puis, quand le res- ponsable de la C.A.D.A. (com- mission d’accès aux documents administratifs) a demandé les certificats de naissance, le père m’a répondu “ils sont bien plan- qués.” La dernière version remonte au centre de rétention àMulhouse où il a prétendu que c’était le passeur qui leur avait piqué les papiers. L.P.P. : Le père semble assez difficile à cerner… G.G. : C’est un Rom dans toute sa splendeur qui peut être colé- reux et parfois violent. L.P.P. : Ce qui ne vous a pas empêché de l’aider ? G.G. : On l’a accompagné dans son parcours d’intégration en l’aidant par exemple à réaliser un C.V. Je lui ai trouvé un emploi saisonnier sur la station deMéta- bief par le biais d’E.P.P.I. mais la demande de contrat de tra- vail a été refusée par le préfet. L.P.P. : Son comportement n’était pas toujours exemplaire ? G.G. : Je n’étais même pas cou- rant de certains vols. J’ai quand même été averti de ces actes de violence sur ses filles qui ont donné lieu à un signalement. L.P.P. : Estimez-vous être allé au bout des recours légaux ? G.G. : Oui. Les procédures ont été engagées depuis 2009. Com- me l’O.F.P.R.A. (Office français de protection des réfugiés et apatrides) a rejeté la demande d’asile, un recours a été fait devant la Cour Nationale du Droit d’Asile qui a répondu néga- tivement en estimant qu’il n’y avait pas d’avancée significati- ve dans la volonté de s’intégrer.

Pontarlier.

Cette décision a finalement abou- ti à la première O.Q.T.F. (Obliga- tion de Quitter le Territoire Fran- çais). On a fait appel sans succès avant d’aller à la cour administra- tive d’appel de Nancy. La démarche a échoué et la secon- de O.Q.T.F. a été prononcée en juin dernier. À partir de là, on a refait appel auTribunal administratif et le père a demandé alors l’assignation en résidence.

L.P.P. : Sa mère ne savait pas où elle était ? G.G. : Apparemment non. On s’est finalement rendu au collège Aubrac où j’ai retrouvé Léonarda qui m’a dit “Ça y est, c’est fou- tu !” Elle ne voulait pas y croi- re même si elle était prévenue de l’issue de l’affaire. Ses cama- rades étaient partis quand les policiers l’ont emmenée sous les yeux des collégiens d’Aubrac qui arrivaient en bus. On est retour- né à Levier avec deux profs pour consoler la famille qui s’est ren- due en minibus à l’aéroport de Lyon pour décoller à 13 heures. Le père m’a téléphoné le mer- credi matin depuis la mairie de Pristina et je lui ai répondu d’aller récupérer sa famille à l’aéroport. Ensuite, ils sont allés à Mitrovitca dans le secteur albanais. L.P.P. : Vous avez fait la une média- tique… G.G. : J’en ai bavé. C’est moi qui ai tout pris toute la journée. Le jeudi, j’ai eu droit à 15 inter- views et 5 reportages télé. Je connais bien ma leçon.

“Le père était venu pour profiter des allocations.”

L.P.P. :Comment s’est- il retrouvé au centre de rétention à Mulhouse ? G.G. : Quand il s’est rendu dans cette ville pour récupérer une voiture, il a été intercepté par les forces de l’ordre avec seule- ment son O.Q.T.F. en poche. Le préfet du Haut-Rhin a décidé de l’expulsion, d’où le choix de le garder au centre de rétention à partir du 28 août. À partir de ce moment-là, on ne peut plus rien faire. On restait en liaison avec un comité local de l’ordre de Malte mais il n’est plus ques- tion de retour à Levier. L.P.P. : L’expulsion était inévitable ? G.G. : La seule solution, c’était de demander le regroupement familial. On est allé au bout des possibilités. Le préfet du Haut- Rhin a demandé deux laissez- passer. Le premier était à des- tination de la Serbiemais comme le père a refusé, il est retourné au centre de rétention. Le pas- sage au tribunal a confirmé l’expulsion pour le Kosovo. La police l’a finalement embarqué au Bourget le lundi 14 octobre à destination de Pristina. L.P.P. : Étiez-vous au courant du jour de départ du reste de la famille ? G.G. : Le mardi soir, j’étais chez eux à Levier avec des ensei- gnants et Louis Philippe qui les a beaucoup aidés. J’ai été pré- venu du jour de départ le mer- credi matin suite à un appel de Louis Philippe. On a alors cher- ché à joindre Léonarda qui dor- mait en fait chez une copine à

L.P.P. : Pensiez-vous que cette affaire allait prendre une telle ampleur ? G.G. : Évidemment non. J’ai été surpris comme tout le mon- de qu’on puisse en arriver là. L.P.P. :R.E.S.F. 25 (Réseau éducation sans frontiè- re) s’est montré très cri- tique sur votre attitude ? G.G. : Ils m’ont traité de délateur, de rené- gat, sans respect vis- à-vis des enfants. Avec les enseignants, ils auraient voulu qu’on donne priorité aux enfants et qu’on refuse l’expulsion. L’expulsion n’était pas notre objectif. L.P.P. : Rares sont ceux qui sont venus vous aider au comité… G.G. : Au départ, on était une bonne ving- taine. Quand les deux responsables sont partis dans le Midi, on est resté 4 ou 5

“J’ai décidé d’arrêter.”

“Ce qui arrive aux enfants n’est qu’une conséquence”, regrette Gérard Guinot en annonçant son retrait du comité de soutien des sans papiers.

dans ce comité et on n’a jamais vu aucun membre de R.E.S.F. de Besançon. Je sais ce que j’ai fait. J’ai mes soutiens. Ce qui arrive aux enfants n’est qu’une conséquence. J’ai cherché à défendre du mieux possible le père qui dans cette affaire a totalement manipulé ses enfants. L.P.P. : Il n’a jamais eu l’intention de s’intégrer ? G.G. : Il était venu pour profiter des allocations. La famille aurait dû quitter le Centre d’accueil de Levier en avril. Il a refusé en déclarant que si la police inter- venait, il ferait sauter l’immeuble et toute sa famille. C’est un cas compliqué, un gueulard au sang chaud. On n’avait aucune chan- ce de le garder et de garder les enfants.

L.P.P. : Ce n’est pas toujours le cas ? G.G. : D’autres familles ont été intégrées mais elles ont mon- tré une réelle volonté même en restant sous le coup d’une assi- gnation. L.P.P. :Que pensez-vous du cadre régle- mentaire ? G.G. : La circulaire de Manuel Valls a le mérite d’être plus car- rée et moins subjective. J’ai écrit au gouvernement pour qu’elle prenne plus en compte les demandeurs d’asile qui n’ont pas la possibilité de travailler. J’ai aussi demandé de raccour- cir les délais de présence des adultes de 5 à 3 ans et de deux ans de scolarité pour les enfants. Ces demandes ont été refusées. Du coup, j’ai repassé le dossier à l’Inspection Générale de l’Administration.

L.P.P. : Est-ce que cette affaire a été instrumentalisée ? G.G. : Tout est politisé, même pas par le Front de gauche car appa- remment c’est encore plus à gauche que ça… J’assimile les réactions des jeunes lycéens à du Mélenchonnisme pur et dur. On manipule les gamins pour des choses qu’ils ne connaissent pas. L.P.P. : Allez-vous continuer ? G.G. : Mon épouse m’a dit : c’est fini, tu arrêtes. Effectivement, je vais arrêter. Les gens de R.E.S.F. 25 ont dépassé les bornes au niveau agression et incompréhension. J’ai fait tout le boulot. Je pense aussi qu’Harlem Désir aurait pu se renseigner avant de s’exprimer. Propos recueillis par F.C.

Made with FlippingBook Learn more on our blog