La Presse Pontissalienne 169 - Novembre 2013

AGRICULTURE 30

La Presse Pontissalienne n° 169 - Novembre 2013

AGRICULTURE Polémique en zone comté Le robot de traite sur le banc des accusés La question d’utiliser le robot de traite dans la filière comté suscite toujours autant de débat. Elle se règle parfois au tribunal comme c’est le cas au G.A.E.C. Jeanningros à Ouvans.

“O n est dans l’attente des conclusions de l’expertise pour savoir si le robot est compa- tible avec l’A.O.P. com- té. Les résultats devraient nous être communiqués dans les mois qui vien- nent” , indique Éric Jeanningros qui travaille avec son frère Bertrand sur un G.A.E.C. de 350 000 litres de lait à comté. Les deux associés ont bon espoir que la procédure engagée depuis un an au tribunal de grande instance leur donne raison. “On reçoit beaucoup d’appels d’autres producteurs intéres- sés par ce système de traite. C’est ras- surant et encourageant.” En 2009, ils décident de se moderniser en construi- sant un nouveau bâtiment équipé d’un robot de traite. Là où certains trouve- raient cela risqué, eux se sentent dans leur bon droit. “On n’est pas contre le cahier des charges. Au contraire, on le défend. Ici, à l’exception du tourteau, toute l’alimentation du troupeau lai- tier est produite sur l’exploitation” , sou- ligne Bertrand Jeanningros. “Le robot n’est pas interdit dans le cahier des charges. Ce qui est imposé, c’est l’obligation de traire deux fois par jour à heures régulières matin et soir. Ce robot reste avant tout un outil pour enlever de la pénibilité au travail. On n’a pas l’intention de produire plus mais mieux. Et ce n’est pas la façon de traire qui donne le goût du lait mais l’alimentation” , complète son frère Éric. Au cours de ces dernières années, la filière comté n’a cessé de se moderni- Gruyère A.O.C. suisse : même combat Après avoir toléré lʼinstallation de robots sur une dizaine dʼexploitations, lʼinterprofession du gruyère A.O.C. suisse a fait marche arrière en impo- sant une interdiction de traite de maniè- re automatique et continue. “On a pris cette décision car le robot posait des problèmes dʼapplication avec le cahier des charges qui spécifie de livrer le lait deux fois par jour immédiatement après les traites” , indique Philippe Bar- det, le directeur lʼinterprofession du gruyère A.O.C. suisse. Le souci nʼest pas tant dans la machi- ne proprement dite mais dans le prin- cipe de la traite en continu qui impac- te la qualité de la matière grasse. “Suite à un gros couac dans une fro- magerie, trois études ont été réali- sées et toutes ont mis en évidence ce mauvais goût de “rance” des fromages au lait de robot. Cʼest le pire des défauts. Au bout du compte, cʼest aux nouvelles technologies de sʼadapter au produit et pas le contraire.”

LE POINT DE VUE DU C.I.G.C. Claude Vermot-Desroches : “Le robot, c’est du n’importe quoi” Le président du C.I.G.C. reste farouchement opposé à l’arrivée du robot de traite dans le comté. Une question de goût, de qualité de lait et de cohérence avec la nature même du comté. La Presse Pontissalienne : On reproche souvent au C.I.G.C. son attitude conservatrice, qu’en pensez-vous ? Claude Vermot-Desroches : La filière comté n’a jamais été aussi moderne. Glo- balement, c’est dans les exploitations agricoles en lait à comté qu’il y a le plus de modernisation. L.P.P. : Pourquoi les robots n’ont pas leur place dans la filière comté ? C.V.-D. : Les robots ne sont pas compatibles en matière de lait car les fro- mages ont un goût de rance. Pour qu’un robot fonctionne bien, il faut beau- coup de surface à proximité. Avec 80 vaches, cela signifie 60 hectares acces- sibles à moins de 500 m de la stabulation. Beaucoup d’exploitations ne répondent à ce critère. On est alors obligé d’attirer les vaches avec du concen- tré mais quand on vend un morceau de comté, on vend des vaches qui vont pâturer. Je suis également scandalisé par la pression de certains fabricants de robots qui veulent profiter de l’opulence du comté. L.P.P. : Que dit le cahier des charges vis-à-vis du robot ? C.V.-D. : Il précise que la traite doit se faire deux fois par jour, le matin et le soir à des heures régulières. Ce qui est interdit, c’est la traite en libre-ser- vice. Quand un agriculteur prétend qu’il respectera le cahier des charges avec le robot, c’est du n’importe quoi. À part une ou deux exceptions, on sait également très bien que le cahier des charges ne sera pas respecté. L.P.P. : Certains estiment que le C.I.G.C. cherche à diaboliser le robot. C.V.-D. : On n’est pas contre la modernité mais on veut aussi être honnête avec le consommateur. On n’a jamais eu tant de pression avec des gens qui contestent ou remettent en cause les fondamentaux. Comme la filière va bien, tout leur est dû. Étonnant de voir à quel point ce qui est envié par beaucoup peut être décrié par les gens de l’intérieur. L.P.P. : Personne ne se plaint de la mécanisation dans le soin des fromages en cave. C.V.-D. : Non, bien au contraire car le robot a permis dans ce cas-là d’améliorer la qualité contrairement au robot de traite qui lui, supprime la qualité. Propos recueillis par F.C.

Éric et Bertrand Jeanningros ont investi dans un nouveau bâtiment équipé d’un robot de traite qu’ils n’ont pas le droit d’utiliser.

ser avec par exemple la généralisation des robots de cave sans que la quali- té du fromage n’en soit affectée. “On automatise partout même dans les salles de traite et personne ne s’en plaint.” Les deux frères sont dans l’impossibilité de traire avec le robot en raison du

refus de leur coopérative. Ils conti- nuent à travailler avec l’ancien systè- me de traite en attendant de pouvoir exploiter complètement leur nouvelle stabulation. “On reste confiant. C’est le projet de notre vie” , conclut Éric Jean- ningros.

JURA VOISIN Mise en service prochaine “Il faut savoir évoluer” La tentation du robot se propage aussi au G.A.E.C. de l’Aurore. Cette exploitation laitière située à Molain dans le Jura investit dans deux robots qui seront mis en service d’ici la fin de l’année.

E ntre Ouvans et Molain, la démarche est sensiblement la même avec des producteurs qui profitent de construire ou réno- ver leur stabulation pour s’équiper d’un robot. “On a fait un nouveau bâti- ment il y a deux ans. On était en aire paillée libre. On a tout couvert. Main- tenant on est en logette et tout est conçu pour le robot” , explique Robert Lacroix qui a transmis les rênes de la ferme familiale à ses fils Thierry et Jean- Pierre. Avec un troupeau de 75 laitières, le G.A.E.C. de l’Aurore a investi dans deux robots, condition sine qua non pour rester en phase avec les préco- nisations du cahier des charges du comté en matière de traite. “Aujour- d’hui, on met environ 3 heures pour traire. Avec le robot, cela nous pren- dra peut-être 4 ou 5 heures matin et soir mais on ne sera pas dans un sys- tème de libre-service. On respectera donc tout à fait le cahier des charges qui, il semble utile de le rappeler, n’interdit le robot. Je ne vois pas pour- quoi le C.I.G.C. nous empêcherait de

traire avec ce système” , poursuit Robert Lacroix. Le G.A.E.C. de l’Aurore a choisi le robot pour plusieurs raisons. Moins cher qu’un roto, cet équipement dispose en plus d’une assistance informatique de premier plan, permettant de détecter mammite, chaleur, cellule, vache qui porte… “C’est très pointu. Sur le plan de l’hygiène du lait, on peut difficile- ment fairemieux” , poursuit l’agriculteur. Du côté de la fruitière de la Combe d’Ain où le lait est livré, aucune consigne n’a encore été émise sur un éventuel refus du lait de robot. “Pour l’instant, la coop n’interdit rien et je ne souhai- te pas que cela finisse au tribunal.” Pour Robert Lacroix, le robot ne va pas à l’encontre des valeurs du com- té et ne se soustrait pas à l’homme. Il répond aussi aux attentes des jeunes agriculteurs plus forcément prêts à accepter la contrainte que représen- te la traite. “Ce n’est pas parce qu’on met un robot qu’on ne va plus s’occuper des vaches. Je ne suis pas remonté contre le C.I.G.C., je dis simplement qu’il faut savoir évoluer.”

Pour Claude Vermot- Desroches, les choses sont claires : “Le lait de robot n’est pas compatible avec les pâtes pressées cuites.”

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