La Presse Pontissalienne 165 - Juillet 2013

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Pontissalienne n° 165 - Juillet 2013

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POLITIQUE

La députée du Doubs Barbara Romagnan “Il y a une obligation à “publiciser” l’utilisation de l’argent public”

La députée socialiste du Doubs plaide pour que les élus rendent publique l’utilisation qu’ils font de leur réserve parlementaire et de leur indemnité représentative de frais de mandat (I.R.F.M.). À l’Assemblée Nationale, elle est une des rares à le faire. Cette mesure simple contribuerait selon elle à rétablir la confiance entre les Français et leurs élus.

L a Presse Pontissalienne : L’Assemblée Nationale vient d’adopter le projet de loi sur la transparence destinée à “res- taurer l’exemplarité de la République.” Faites-vous partie des élus qui estiment que cette loi aurait dû aller plus loin en rendant systématique entre autres, la publication des réserves parlementaires ou en frappant d’inéligibilité tout élu condamné pour enri- chissement personnel comme l’a suggéré l’U.M.P. Laurent Wauquiez ? Barbara Romagnan : Il ne faut pas tout attendre de la loi ! Sans qu’il soit néces- saire de légiférer, je rappelle que les députés peuvent d’eux-mêmes rendre publique l’utilisation de leur réserve parlementaire ou de leur indemnité représentative de frais de mandat (I.R.F.M.), comme je le fais. J’estime qu’il y a une obligation à publiciser l’utilisation des dotations publiques. Ce qui est sans précédent dans cette loi, c’est qu’elle fait progresser l’autorité indépendante qui a des moyens pour mener les investigations nécessaires afin de s’assurer qu’un élu n’est pas dans une situation de conflit d’intérêt ou qu’il n’y a pas enrichissement. L.P.P. : Vous plaidez personnellement pour le mandat parlementaire unique. Qu’apporterait à la vie politique cette mesure si elle s’appliquait ? B.R. : Amon sens, il y a plusieurs choses. Le parlementaire représente l’intérêt général de la nation. Partant de là, il me paraît difficile d’être enmême temps porte-parole des intérêts des habitants d’une commune ou d’un département. Ensuite, le mandat unique est un enjeu pour la gauche. Nous prétendons vou- loir partager les richesses, il faut que l’on partage aussi le pouvoir ! Quand on cumule les mandats, on délègue for- cément une partie du travail à d’autres élus ou à des fonctionnaires. On ne me fera pas croire que deux personnes pour gérer deux mandats différents ne valent pas mieux qu’une seule. Enfin, il serait préférable que les élus ne puis- sent pas garder trop longtemps les mandats. Il faut que les gens chan- gent, qu’il y ait plus de femmes, plus de personnes issues de toutes les caté- gories socio-professionnelles. Pour cela, une révision du statut de l’élu est sans doute nécessaire. Or, nous sommes dans un système où les mêmes restent en poste pendant des décennies. Dans notre pays, nous avons un rapport par- ticulier au pouvoir et à l’argent. Mais quand une assemblée est composée d’hommes blancs de plus de soixante ans, je peux comprendre que la socié- té ne s’y reconnaisse pas. Cette réali- té contribue à éloigner les électeurs de la démocratie. L.P.P. : On a l’impression que les choses chan- gent sous l’impulsion d’une nouvelle généra- tion d’élus dont vous êtes ? B.R. : Nous sommes peut-être plus enclins à remettre le système en cau- se quand on est nouveau parlemen-

taire. Nous sommes plus perméables à l’état de la société. En revanche, ce souci de transparence n’est pas lié à la génération. René Dozière, par exemple, qui n’est pas le plus jeune des parlementaires milite depuis long- temps pour la transparence. Il fait par- tie de ces élus qui publient l’utilisation de leur I.R.F.M. et qui ne font pas de bruit. Ce qui est important, c’est de ne pas être sans cesse dans le discours. Des décisions doivent être prises. L.P.P. : En ce moment, le débat tourne autour du “halte aux privilèges des élus.”Mais quels sont les privilèges des parlementaires ? B.R. : Je ne rentrerai pas dans ce dis- cours-là car c’est la meilleure façon d’entretenir ce sentiment du “tous pour- ris.” Cela sous-entend que les parle- mentaires sont en place pour prendre du bon temps, profiter de leur week- end et s’en mettre plein les poches. Ce n’est pas vrai ! La plupart des parle- mentaires utilisent l’argent public pour servir leurs concitoyens. Cependant, ce n’est parce que nous sommes élus que nous devons pouvoir bénéficier d’un régime dérogatoire concernant la retraite par exemple. L.P.P. : Vous militez pour plus de transparen- ce dans l’utilisation des réserves parlemen- taires par les députés. Vous en agacez beau- coup à gauche avec ce sujet. Pourtant, la transparence ne devrait-elle pas relever du bon sens surtout dans le contexte actuel ? B.R. : Dans le groupe socialiste, 90 % des députés disposent de 130 000 euros par an au titre de la réserve parle- mentaire. Cette égalité de traitement est nouvelle. C’est un premier point. En revanche, la transparence reste au bon vouloir de chaque député. C’est ce que je conteste, car il s’agit d’argent public. Quand j’ai été élue, j’ai dit que je réservais cette enveloppe aux pro- jets qui concernent l’enfance, la santé et le développement durable. J’ai publié cela. C’est le minimum que l’on puis- se faire sachant que dans la plus peti- te des mairies, chaque euro utilisé doit être justifié.

La députée Barbara

Romagnan est parfois critiquée pour

ses prises de position au P.S.

son groupe.

la moitié d’entre eux l’a fait ! Quand j’ai été élue, j’ai démissionné du Conseil général comme je l’avais dit. Comment voulez-vous que l’on soit crédible pour régler des problèmes aussi impor- tants que le chômage, lorsqu’on n’est pas capable de respecter un engagement comme celui du non-cumul ? De mon point de vue, ces différentes mesures sur le non-cumul, la transparence autour de l’argent des parlemen- taires, seraient sans doute insuffisantes,

dépenses. Pouvez-vous nous dire à quoi vous sert votre indemnité représentative de frais de mandat qui avoisine les 5 800 euros nets par mois ? B.R. : Je l’utilise pour couvrir les frais liés à ma permanence comme le loyer, le fonctionnement. Une partie sert éga- lement à des travaux d’impression comme un quatre pages que j’ai pré- paré pour évoquer le bilan d’une pre- mière année d’exercice. J’ai acheté éga- lement 400 exemplaires du magazine Alternatives Économiques sur l’économie sociale et solidaire en Franche-Comté. L’I.R.F.M. me sert aus- si à organiser des conférences, et à compléter la rémunération de mes col- laborateurs. L.P.P. :Quelle est la conséquence de ce manque de transparence sur l’argent des parlemen- taires ? B.R. : Le problème est qu’il puisse y avoir des dérives. Ce doute jette le dis- crédit sur la classe politique. Les citoyens devraient pouvoir juger de l’utilisation de l’argent public. L.P.P. :Pourquoi, selon vous,une majorité d’élus traîne les pieds sur ces questions de trans- parence et de non-cumul,alors que cela semble si simple de publier la manière dont l’argent public est utilisé ? B.R. : Je n’ai pas la réponse. C’est peut- être un problème de culture. Les élus considèrent peut-être qu’ils n’ont pas à faire la preuve de leur honnêteté. Or, en ne publicisant pas l’utilisation de l’argent public, on nourrit le fait que tout le monde puisse dire n’importe quoi sur le sujet. L.P.P. : Est-ce la crédibilité de la classe poli- tique qui est en jeu dans le débat sur le non- cumul des mandats ? B.R. : Une majorité de députés socia- listes a signé une lettre avant les élec- tions législatives, stipulant qu’ils démis- sionneraient de l’exécutif dans lequel ils siègent s’ils devaient être élus. Pas

L.P.P. : François Hollande continue à dévisser dans les sondages. Quelle importance accor- dez-vous aux enquêtes d’opinion ? B.R. : L’action publique a besoin de temps au regard des problèmes aux- quels nous sommes confrontés. Cela ne sert à rien de publier toutes les semaines des enquêtes d’opinion. Créer 60 000 postes dans l’Éducation natio- nale, tout en prenant en compte la for- mation des maîtres, ne se fait pas en un jour. Cela prend du temps. Il faut donc attendre pour que l’action porte ses fruits. L.P.B. : Comment vous sentez-vous dans cet- te fonction de parlementaire ? B.R. : C’est un mandat passionnant car on est libre de son organisation. C’est une situation qui est enviable finalement. Je mesure cela, j’essaie donc d’en être digne. Nous sommes dans des conditions de travail et de liberté intéressantes. Cette liberté a un prix : 5 000 euros par mois d’indemnités. Cela justifie que l’on explique à nos concitoyens ce que l’on fait. L.P.P. : Dans le cadre de la réorganisation ter- ritoriale de l’I.N.A.O., l’antenne de Poligny est menacée. Vous avez écrit au ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll pour lui faire part de votre inquiétude. La décision est-elle prise ? B.R. : La décision n’est pas prise. Le problème de Poligny est que c’est une des plus petites délégations, et enmême temps nous sommes une des régions qui concentrent le plus d’A.O.C. Le comté est la première A.O.C. de Fran- ce en terme de tonnage. Culturelle- ment, c’est très fort. En Franche-Com- té, les coopératives sont historiquement très ancrées. Beaucoup de gens dépen- dent de ces A.O.C.

“L’action publique a besoin de temps.”

mais elles me paraissent nécessaires pour reconquérir la confiance des Fran- çais. Beaucoup d’élus prennent mes prises de position sur ce sujet comme une leçon. Je le regrette. L.P.P. :Vous dites que François Hollande a cédé aux lobbies sur la question du non-cumul. Qui sont ces lobbies ? B.R. : Il y a sans doute des élus locaux qui cumulent et qui n’ont pas l’intention d’arrêter. Ces gens-là sont aussi des soutiens de François Hollande, ils l’ont été durant la campagne présidentiel- le. L.P.P. : Que répondez-vous aux socialistes qui prétendent que votre seul objectif, par vos prises de position, est de vous faire remar- quer et de faire parler de vous ? B.R. : Je n’oublie pas ce qui fait que je suis élue ! Je ne suis pas ingrate, je ne crache pas dans la soupe. Je ne prends pas une position dissonante dans le but de me faire remarquer. Je cherche à faire admettre qu’on puisse avoir une part de doute et que les choses ne sont pas blanches ou noires sur cer- tains sujets. Ce n’est parce qu’on vote différemment qu’on est en rupture avec

Or, quelle légitimité a un député pour attribuer cet argent, seul, à des asso- ciations par exemple ou pour soutenir tel ou tel projet ? Cet argent public pourrait être mal utili- sé. Selon moi, ces enve- loppes devraient revenir aux collectivités. La logique serait plutôt cel- le-là. L.P.P. : Rien n’oblige non plus les parlementaires à rendre compte de l’utilisation de l’I.R.F.M. qu’ils perçoivent en plus de la réserve parlemen- taire. Là encore, vous faites partie des rares élus qui publient en détail leurs

“Je ne suis pas ingrate.”

Propos recueillis par T.C.

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